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26·02·16

Enseignement bilingue: aux parents de jouer!

Cécile Walschaerts est ex-journaliste, fonctionnaire international à l’ONU, à New York. Elle s’exprime, ici, à titre privé.

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

(cc) iStockphoto

 

Auteur⸱e

New York, un samedi d’hiver — Une quarantaine de parents est réunie dans la bibliothèque de l’école P.S. 17 à Brooklyn. Ils écoutent attentivement Sylvia Wellhöfer, une maman d’origine allemande, leur présenter un projet de maternelle bilingue anglais-allemand : une première dans l’enseignement public. Dans la salle, il y a des parents allemands mais aussi suisses, autrichiens, américains, hispaniques et moi, une Belge.  Depuis quelques années, New York vit une révolution linguistique, des classes bilingues s’y multiplient et viennent répondre à la demande exponentielle de parents issus de toutes les origines. Il faut dire que jusqu’à une période relativement récente, le monolinguisme des 1 800 établissements publics de New York était un peu en contradiction avec la réalité démographique de cette ville de 8,4 millions d’habitants, dont près de la moitié parle une autre langue que l’anglais à la maison.

Les États-Unis ont une histoire étrange avec le multilinguisme. Plus de 350 langues sont parlées sur le territoire américain et près de 200 dans la ville de New York. Le pays ne reconnaît aucune langue officielle dans sa Constitution. Même si plus de la moitié des États fédérés ont adopté l’anglais, la toponymie, les factures, les répondeurs téléphoniques sont très souvent bilingues. «  For English, press one. Para Espanol, oprima dos » est une constante dès que vous appelez un service aux États-Unis. À New York, par exemple, lorsque vous passez votre test pour le code de la route, on vous demandera dans quelle langue vous souhaitez l’examen. Grec, arabe, chinois, italien ? La liste des options est impressionnante.

Le bilinguisme, pilier de l’intégration

En 1968, les États-Unis ont adopté le « Bilingual Education Act », qui met en place des subventions fédérales pour les écoles développant des classes bilingues innovantes. Celles-ci visent principalement les enfants issus de l’immigration. Adopté dans le contexte du mouvement pour les droits civiques et la défense des minorités, ce texte répondait aux revendications de parents asiatiques et latino-américains qui s’étaient organisés pour mettre en évidence les difficultés de leurs enfants dans l’enseignement anglophone. Les arguments de ces parents ont été entendus jusqu’à la Cour suprême des États-Unis. À l’époque, le terme « bilingue » était pourtant tabou. Le but de cet « Act » n’est pas de parvenir à un bilinguisme effectif des enfants mais d’utiliser la langue maternelle pour mieux intégrer celles et ceux qui ne parlent pas suffisamment bien l’anglais. Il s’agit d’offrir à ces élèves une période de transition « bilingue », étape obligée vers l’instruction monolingue.

La théorie et la pratique

Il existe aujourd’hui près de 300 classes bilingues dans la ville de New York. Elles sont appelées « Dual-Language Programs ». Dès l’âge de 4 ou 5 ans, les enfants new-yorkais ont la possibilité d’être exposés à l’espagnol, au chinois, au français, au yiddish, au russe, au japonais, au coréen, au créole haïtien, au bengali, à l’arabe, à l’hébreu et, à partir de la prochaine rentrée scolaire, à l’allemand. Cette « dualité linguistique » peut parfois varier d’une école à l’autre en fonction des professeurs, de la direction ou du soutien apporté par les parents. Ces programmes ont le vent en poupe. Des officiels se déplacent depuis les quatre coins du monde pour les découvrir, les étudier ou les parrainer. À présent, beaucoup de chercheurs et de linguistes à travers le monde mettent en lumière les avantages d’un bilinguisme précoce chez les enfants et ses bénéfices sur leur développement cognitif et socio-culturel.

De New York à la Belgique

Ce qui est tout à fait révolutionnaire, c’est la manière dont les programmes les plus récents ont vu le jour à New York. Ici, pas de politique ou de tensions linguistiques entre les communautés. Le pragmatisme est roi. Il y a une demande et on y répond dans l’intérêt des enfants et, au final, d’une éducation publique qui se doit d’être de qualité. Le plus souvent, ce sont des groupes de parents extrêmement motivés qui sont à l’origine de l’ouverture d’une classe bilingue dans leur quartier. Ils ont réuni toutes les informations sur les familles intéressées, ils ont rencontré les responsables locaux et ceux des écoles, ils ont mis au point une campagne de sensibilisation. Parfois, ils bénéficient du soutien moral ou logistique d’institutions comme le Goethe-Institut, les services culturels de l’Ambassade de France à New York ou encore la Japan Society. Le gros des démarches repose sur leur enthousiasme et leur ambition à intégrer ce programme dans le melting-pot de leur district scolaire.

Je suis maman. La période d’inscription dans les écoles new-yorkaises bat son plein. Aujourd’hui, mon enfant pourrait aller à l’école gratuite en anglais et dans l’une des deux langues officielles de mon pays d’origine, à savoir l’allemand ou le français.  Je ne serai pas étonnée si, dans quelques années, une classe bilingue anglais-néerlandais voyait le jour à New York, l’histoire de la ville et de ses quartiers étant profondément liée à celle des immigrants des Pays-Bas. Brooklyn vient en effet de « Breukelen », près d’Utrecht. Il existe déjà une école privée en néerlandais, ‘t Klokhuis, lancée en 1998 à Manhattan et qui bénéficie, entre autres, du soutien de la Flanders House, la représentation de la Communauté flamande à New York. J’ai vécu toute mon enfance en Flandre et j’allais à l’école en français à Bruxelles. C’est ainsi que s’est progressivement construit mon bilinguisme français-néerlandais, en conjuguant des environnements familial et scolaire linguistiquement complémentaires. Ce bilinguisme m’a offert des perspectives immenses vers l’anglais, ainsi que des facilités vers d’autres langues. Si j’ai grandi entre deux langues, les hasards de la vie ont fait que j’ai épousé un germanophone à New York et, à l’heure des choix scolaires pour notre enfant, le multilinguisme de notre famille et celui de nos origines nous rattrape à toute vitesse. À New York, il est possible et il peut se faire dans une diversité socio-économique, à l’école publique plutôt qu’en établissement privé aux frais scolaires exorbitants.

Je lis régulièrement dans la presse flamande ou francophone des articles vantant « le parfait bilinguisme » de telle ou telle personnalité de notre pays, presque comme s’il s’agissait d’un miracle.  Je vois parfois des élus ou élues brandir le bilinguisme pour lutter contre le chômage des jeunes, en particulier à Bruxelles. Ce matin-là, à Brooklyn, j’étais un peu à Eupen. J’ai eu envie de partager cette sensation avec vous, lecteurs belges. L’expérience de New York peut être enrichissante et inspirante. Elle montre qu’en matière d’enseignement des langues, c’est aux parents de jouer. Face à leurs demandes de bilinguisme, face à leur obstination, le politique et l’école se sont adaptés.

 

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