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22/03, mardi noir
23·03·16

22/03, mardi noir

Au lendemain des attentats de Bruxelles, DaarDaar a décidé de vous proposer, à titre symbolique, une sélection des éditoriaux des principaux quotidiens du nord du pays. Ils seront publiés au compte-goutte tout au long de cette journée de deuil national.

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

Une du quotidien Het Nieuwsblad du 22/03

Une fois de plus, il nous faut trouver les mots pour dire l’indicible, pour expliquer l’inexplicable. Tout comme on ramasse les gravats à Zaventem et à la station Maelbeek, on doit rassembler, tant bien que mal, les fragments d’événements pour recomposer la réalité dans l’espoir d’y trouver un sens et une perspective. Et ce, même si les mots ressemblent à un ânonnement inintelligible.

Tandis que Bruxelles cherche à retrouver son souffle, les dirigeants du monde entier manifestent leur compassion. C’est une routine qui s’installe. Nous connaissons les déclarations qui déferlent en cascade pour dénoncer l’horreur. Beaucoup de «nous ne pouvons pas» plier devant la terreur, toucher à nos valeurs fondamentales, augmenter l’angoisse. Au moins autant de «nous devons» rester calmes et continuer à vivre, agir avec efficacité, étouffer le danger dans l’œuf. Sans oublier ce que nous ne serons «plus jamais»: en sécurité, naïfs, innocents.

Nous connaissons ces témoignages de soutien parce que nous les avons exprimés nous-mêmes par le passé. Nous avons dit «Je suis», ce qui signifiait «quelqu’un d’autre, quelqu’un qui a lui-même connu la terreur». Sur Facebook et Twitter, les temples du vivre ensemble, #prayfor c’était toujours pour les autres.

Mais hier, il en fut autrement. Parce que c’était notre tour. Parce que ce sont nos couleurs qui illuminent maintenant les monuments du monde entier. Parce que, cette fois-ci, nous ne sommes plus dans la longue file d’attente pour présenter nos condoléances, mais que c’est nous qui les recevons.

Et parce que c’est si proche de nous. Qui ne connaît pas le hall des départs de Zaventem? Qui n’y a jamais déposé quelqu’un, bu un dernier café, cherché le desk de check-in? Combien de Belges prennent tous les jours le métro, le seul moyen de transport de la capitale qui ne connaît pas les embouteillages? Le réseau GSM a été saturé parce que chacun connaissait quelqu’un qui aurait pu peut-être se trouver au mauvais endroit au mauvais moment.

Aux jours sombres, les grands mots. Rien ne sera plus jamais pareil, le monde a changé. Vraiment? Notre monde a changé, oui. Celui qui espérait encore que cela ne nous arriverait pas doit abandonner cette illusion. Mais qui croyait encore vraiment cela? Nous avons surtout appris hier qu’il y a une différence énorme entre savoir qu’un événement peut se passer et le voir se dérouler en vrai à la télévision.

Le monde n’a pas changé. Si l’on peut affirmer une seule chose, c’est que le monde reste de plus en plus semblable à lui-même. New York, Madrid, Londres, Paris. Et maintenant Bruxelles. Et ajoutons-y d’emblée tous les autres endroits dont on voit moins de photos à sensation mais où le sang rougit tout autant le pavé des rues. Le 22 mars est notre mardi noir, mais sur le calendrier mondial de la terreur, il n’est qu’une des nombreuses dates cerclées de noir. Cette violence aveugle toujours répétée entraîne toujours la même panique aveugle.

Angoisse, panique et chaos. Les terroristes en rajoutent. Dans l’espoir d’en faire le terreau de la polarisation, de la haine et de nouvelles violences. Ici et ailleurs. La seule opposition possible à cette escalade est d’être beaucoup plus nombreux. Et d’avoir la capacité d’y croire en quelque sorte passionnément, sans éprouver le besoin de vouer aux gémonies ceux qui ont d’autres convictions que les nôtres et de les bombarder en retour. C’est beaucoup. Mais, en des journées comme celle d’hier, c’est aussi ridiculement peu.

Et maintenant? Nos premières pensées vont à ceux pour lesquels la question est devenue sans objet. Notre monde comporte désormais un avant et un après, mais nous sommes les chanceux, les survivants, qui ne souffrons que de petites blessures à l’âme. Devant la perte stupide d’au moins 34 vies, on ne peut que garder le silence. Face au chagrin des proches, nos propres angoisses et notre propre désarroi sont futiles.

Il ne faudra pas longtemps avant que les décideurs arrivent avec des solutions. Plus de répression, plus de contrôle, plus de fermeté, moins de tolérance envers les intolérants! Non, plus de prévention, plus de douceur, plus d’accompagnement, plus de dialogue! La situation est nouvelle, les recettes restent les mêmes. Maintenant que Bruxelles – ma Bruxelles, notre Bruxelles – saigne, cette montée prévisible aux barricades semble dès l’abord futile.

Nous devrons agir tous ensemble tout simplement. Et encore bien plus. Nous devrons gérer les coins de rue de Molenbeek et notre politique internationale. Nous devrons créer une perspective pour ceux qui veulent le changement et écarter les intentions de ceux qui sèment la mort et la désolation. Nous devons rassurer et réconforter. Nous devons pouvoir essayer de nous comprendre même si nos opinions sont totalement différentes. «Rassembler», ainsi Job Cohen décrivait-il sa principale mission de bourgmestre d’Amsterdam. Cela pourrait être la devise de notre époque.

Notre devoir est si grand et notre pouvoir si faible. Le doute l’emporte sur la certitude. C’est ce qu’il semble, maintenant que la poussière n’est pas encore retombée. Un ânonnement inintelligible, c’est toujours mieux que rien quand tous les mots sonnent creux. Et cela n’est pas grave. Les certitudes sont bien plus graves. Elles peuvent tuer. Tracer un dessin sur le sol, allumer une bougie, respecter une minute de silence en se tenant par la main. C’est tellement plus sensé que l’implacable certitude meurtrière de la terreur.

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