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17·05·16

Ce jour où les vilains syndicalistes vous manqueront

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Attendez un instant. N’allez pas trop vite. Si vous êtes de ceux qui, comme de coutume à notre époque, ont du mal à s’identifier à l’infortune de leurs semblables, ne lisez pas plus loin : mon propos, de toute évidence, vous échappera. Pour ceux qui sont en revanche encore capables d’empathie, je vous invite à imaginer le scénario qui suit.

Vous êtes gardien de prison. Vous touchez environ 1 600 euros nets par mois et voici des années que vos conditions de travail, pourtant pénibles, n’intéressent personne. Vous avez un travail difficile, peu valorisé par la société, et vous bossez dans des bâtiments délabrés, où les gens sont entassés comme du bétail. Des appels à l’aide, vous en avez lancé des dizaines, des centaines ― que dis-je — des milliers, mais aucun gouvernement ne vous a jamais vraiment pris au sérieux. En conséquence, quand vous entendez le ministre de la Justice vous promettre solennellement pour la énième fois qu’on investira une bonne fois pour toutes dans le capital humain et l’infrastructure des prisons, vous n’en croyez plus un mot. La seule question qui vous préoccupe est de savoir comment vous y prendre pour vous faire enfin entendre.

Bien. À présent glissez-vous dans la peau d’un bagagiste lambda à l’aéroport de Zaventem. Vous touchez 1 400 euros nets par mois et vos conditions de travail infernales sont elles aussi inchangées depuis des années. Pire, tout doit aller toujours plus vite, mais avec moins d’effectifs ; une gageure que les lois de la physique rendent tout simplement impossible. Mais en dépit de tout, vous vous en sortez. Après les attentats, vous acceptez même de faire encore quelques heures supplémentaires pour le bien de la patrie, quitte à devoir vous déplacer à l’autre bout du pays ou à l’étranger pour prendre en charge les nombreux vols qui ont dû être déviés vers d’autres aéroports. Mais quand vient enfin le jour où votre employeur doit honorer son engagement et vous rémunérer en bonne et due forme, il a soudainement l’esprit occupé par tout autre chose que l’équité et votre sécurité financière, qui sont pourtant si élémentaires. Vous vous demandez alors comment lui faire comprendre que votre travail, si difficile, mérite plus de respect.

Depuis quelques jours, on tire une nouvelle fois à boulets rouges sur les syndicats et les grévistes. Un phénomène qui a toujours été très à la mode. L’opinion publique en a ras-le-bol de tous ces conflits sociaux. Le problème, c’est que cette condamnation du plus grand nombre s’accompagne d’un effet secondaire d’une grande perversité : elle fait le jeu du gouvernement et du patronat. En effet, plus le peuple condamne l’action des grévistes, moins le gouvernement et les employeurs seront à l’écoute de leurs revendications, pourtant bien légitimes. Que ceux qui s’apitoient, certes à juste titre, sur le triste sort de ces prisonniers délaissés pendant des semaines, ou de ces voyageurs pris en otage à Zaventem, songent peut-être à aller crier leur colère au gouvernement fédéral ou à Aviapartner, plutôt que de s’en prendre à ceux qui n’ont vraisemblablement qu’un seul moyen d’imposer leurs revendications.

N’allez pas croire que je déborde de sympathie pour Rudy Notionnel et les autres cadors syndicaux. Mais je ne crois pas qu’il soit avisé de se laisser emporter aveuglément par la déferlante manipulatrice antisyndicale et antigrève. Car si on limite demain le droit de grève, les travailleurs les plus vulnérables seront plus que jamais sans défense.

Et alors ? C’est vrai, vous ne vous en porterez peut-être pas plus mal. Mais attendez donc de voir disparaître votre ancienneté et la majoration automatique de votre salaire qui va avec. Car ce système est lui aussi menacé : tout le monde prône aujourd’hui la majoration salariale fondée sur le mérite. Le jour où vous serez seul face à votre patron, les yeux dans les yeux et sans porte‑parole syndical pour lui demander une augmentation après des années de bons et loyaux services, ces vilains syndicalistes risquent de bien vous manquer.

Et une fois ce moment venu, ne comptez pas sur ma compassion.

Traduit du néerlandais par Guillaume Deneufbourg

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