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La distance sociale, une entrave aux traditions turques et maghrébines
26·03·20

La distance sociale, une entrave aux traditions turques et maghrébines

À cause de sa culture de la solidarité interpersonnelle, la communauté turque de notre pays est particulièrement exposée au coronavirus, expliquent VEERLE DRAULANS et WOUTER DE TAVERNIER, professeurs en sociologie et en psychologie socio-culturelle à l’Université de Leuven (KUL).

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

(cc) Unsplash

Ce week-end, nous avons appris qu’à l’hôpital du Limbourg oriental de Genk, la moitié des patients atteints du coronavirus étaient issus de la communauté turque. La ministre flamande Zuhal Demir (N-VA), qui réside elle-même à Genk, explique ces chiffres par l’importance accordée à la vie en communauté chez les Turcs. Son collègue, le ministre flamand Bart Somers (Open VLD), se demande si l’explication ne réside pas plutôt dans l’organisation d’une fête de mariage (De Standaard du 23 mars). Le député Dries Van Langenhove (Vlaams Belang) a, pour sa part, livré son analyse sur Twitter : « Ces nouveaux arrivants (…) n’accordent aucune importance à nos règles. »

 

Solidarité interpersonnelle

Pour freiner la propagation du virus, Zuhal Demir a enregistré une vidéo en turc afin d’appeler la communauté à ne pas se rassembler, tandis que Bart Somers a demandé à des influenceurs issus de la communauté turque à diffuser le même message. Nous ne pouvons évidemment que nous réjouir de ce genre d’initiatives.

Cependant, le raisonnement sous-jacent, selon lequel le problème serait avant tout dû à un manque d’information, ne suffit pas. En effet, plusieurs médias ont souligné que les patients seraient principalement d’anciens mineurs de plus de 60 ans, qui constituent un groupe à risque pour les maladies respiratoires. Mais il existe encore un autre facteur qui rend la communauté turque particulièrement exposée à la contagion : la culture de la solidarité interpersonnelle.

Assistance familiale

En observant la manière dont la communauté turque prenait soin de ses aînés, nous avons été frappés par la solidarité dont elle fait preuve : dans de nombreux foyers, les enfants, une fois adultes, ont la responsabilité de prendre soin de leurs parents. Les plus âgés tentent d’éviter le plus possible les soins professionnels, surtout les soins non médicaux. Ils s’attendent à ce que leurs enfants se chargent des courses ou du nettoyage. Pour la plupart d’entre eux, un séjour en maison de retraite n’est même pas envisageable.

Leurs enfants, c’est-à-dire la deuxième génération, sont plus ouverts à une assistance professionnelle, mais en complément, et non en remplacement, de la solidarité intrafamiliale. En même temps, ils sont également soumis à une forte pression sociale qui les pousse à s’occuper le plus possible de leurs proches. Rien de tel, donc, que l’assistance de la famille.

Une maison, trois générations

Statistiquement, cette solidarité de la part des filles et fils de personnes âgées se traduit le plus souvent par la cohabitation. Edith Lodewijckx et Dirk Luyten ont analysé les données du Registre national de 2011. Il en est ressorti que plus d’un tiers des 60-74 ans d’origine turque habitaient avec leurs enfants et petits-enfants, contre à peine 3 pour cent chez les Belges non issus de la migration. Pour la tranche des plus de 75 ans, la proportion des ménages trigénérationnels atteint presque les 50 pour cent.

À Genk, où près d’un habitant sur cinq est d’origine turque, les contacts intergénérationnels sont monnaie courante. Rien d’étonnant, dès lors, au nombre particulièrement élevé d’hospitalisés dans la communauté turque dans la ville. Notons par ailleurs que les personnes originaires du Maghreb forment aussi un groupe à risque. En effet, l’étude de Lodewijckx et Luyten établit que dans cette communauté, environ un quart des 60 à 74 ans vit dans un ménage trigénérationnel.

Des soins toujours nécessaires

Ce n’est donc pas uniquement pour le plaisir que la communauté turque entretient autant de contacts intergénérationnels. Cette solidarité constitue le fondement du système d’assistance aux personnes âgées, qui en sont dépendantes. Et demander aux gens de rester chez eux ne changera rien à leurs besoins. Aujourd’hui, prendre soin, c’est garder ses distances. Pour la communauté turque, ce principe met à mal une longue tradition d’entraide informelle.

La crise que nous traversons révèle les limites d’un système de soins basé principalement sur la solidarité interpersonnelle. Les contacts personnels sont incompatibles avec la distanciation sociale aujourd’hui nécessaire. S’il est vrai que la solidarité interpersonnelle est essentielle et qu’il faut la protéger, elle doit cependant demeurer un complément aux soins professionnels. Le nombre d’hospitalisations dues au coronavirus dans la communauté turque à Genk démontre peut-être l’importance de socialiser les soins aux personnes âgées.

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