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« Retour à l’agriculture féodale? Non merci! »
21·10·20

« Retour à l’agriculture féodale? Non merci! »

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

(cc) aitoff via Pixabay

Le groupe Colruyt fait l’acquisition de terres agricoles afin d’avoir son mot à dire sur ce que les cultivateurs-exploitants y font pousser. Un modèle économique d’un genre nouveau, qui n’est pas vraiment au goût de Hendrik Vandamme, président du Syndicat des agriculteurs flamands (ABS).

Des investisseurs qui acquièrent des terres agricoles ? Des champs rachetés par des industriels fortunés s’installant comme « agriculteurs » ? Bien connue du monde agricole, la pratique ne date pas d’hier. Parmi les autres classiques du genre, le rachat de très grandes parcelles appartenant à l’État ou la réaffectation de terres cultivables. Des projets qui font généralement couler beaucoup d’encre, comme il y a quelques années, lors du rachat en un seul lot de plus de 400 hectares de terres agricoles appartenant au CPAS de Gand par le patron de Katoennatie, Fernand Huts. Aucun agriculteur ne peut rivaliser.

Afin de garantir l’approvisionnement de ses magasins, Colruyt se met donc à racheter des terres agricoles. En 2018 déjà, le groupe avait acquis une ferme bio à Alveringem. À l’époque, je craignais que cet achat ne marque le début d’une nouvelle ère. Je ne m’étais pas trompé.  Le nom de la société d’exploitation – Agripartners – illustre à merveille la stratégie : « racheter des terres, demander aux agriculteurs de les cultiver selon les consignes du propriétaire et faire ensuite passer cette collaboration comme un beau partenariat entre alliés du secteur agricole ».

Taillables et corvéables à merci

En soi, l’achat des terres agricoles n’a rien de condamnable, pour peu que l’agriculteur-exploitant soit libre de les cultiver à sa guise. Mais à partir du moment où ils doivent le faire sur commande du groupe – ce qui est déjà le cas de la ferme biologique dans le Westhoek, la pratique s’assimile à un retour de plusieurs siècles en arrière, à l’époque où le serf était taillable et corvéable à merci, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer sur son estime de soi.

Il existe assurément d’autres manières de bâtir une relation durable avec les producteurs. Les bons exemples d’accords contractuels ne manquent pas, tous secteurs confondus.  Un modèle de coopération qui a déjà porté ses fruits dans le secteur agricole et horticole et qui permet de verrouiller les ventes et les revenus des entreprises.

Les nouveaux rapports de force que Colruyt est en train de créer posent donc question. Les chiffres du groupe de distribution belge sont bons, on le sait. Tout comme personne n’ignore qu’ils profitent depuis des années de leur politique des « meilleurs prix ». Même si Colruyt prétend n’être qu’un « suiveur » en matière de politique tarifaire, les conséquences de cette approche sur le secteur et la chaîne agroalimentaire sont tout sauf négligeables.

Pour soigner leur image, Colruyt – et d’autres grands distributeurs – sélectionne quelques prestataires triés sur le volet : éleveurs de porcs, producteurs laitiers, fruiticulteurs. Ces éleveurs et cultivateurs ne travaillent pas sur des terres appartenant au groupe, et ne doivent pas respecter un schéma clairement défini, mais sont présentés comme des partenaires privilégiés, qu’on retrouve ensuite tout sourire sur les affiches publicitaires des grands magasins.

Pseudo-indépendants

En revanche, un agriculteur labellisé « Agripartner » qui travaille sur des terres Colruyt à la façon d’un pseudo-indépendant, c’est nouveau. J’y vois une version moderne de ce qu’était naguère la relation entre le serf et le seigneur. À la différence que la ferme du château se trouve cette fois aux confins de la Flandre-Occidentale, ou quelque part autour de Bruxelles, et que le propriétaire et son intendant sont à Hal. En tant qu’agriculteur local, cette évolution me dépasse. Et quand j’apprends que Colruyt veut en plus imposer les cultures, j’ai encore plus de mal à l’avaler.

Tel est le grand problème de ce nouveau modèle économique ou ce « modèle de collaboration du futur », comme d’aucuns aiment à l’appeler. Ce n’est pas le modèle économique que les agriculteurs et horticulteurs flamands attendent. Outre la difficulté d’accès à la terre pour tout agriculteur, qu’il soit conventionnel ou biologique, cette évolution de la relation entre le propriétaire terrien et le producteur qui doit la travailler n’est pas souhaitable pour cultivateur indépendant. S’il arrive, bien entendu, que des agriculteurs et des horticulteurs indépendants choisissent la sécurité en signant des contrats à l’occasion, ils doivent rester maîtres de leurs choix et ne jamais suivre servilement quelque directive dictée par une autorité supérieure.

Stratégie marketing

On pourrait y voir une nouvelle façon d’augmenter les marges à travers la mise en place de légumes étiquetés « Colruyt ». Quoi qu’on en dise, les bénéfices et les résultats annuels guideront toujours les choix des grands industriels. Cette stratégie commerciale axée sur le produit « maison » sera sans nul doute payante, mais il existe peut-être d’autres moyens de concrétiser l’intégration verticale.

Certes, tout modèle économique un tant soit peu durable mérite sa chance, mais de mon point de vue d’entrepreneur indépendant, ce que propose Colruyt ne doit pas avoir notre préférence. Autrefois, le rachat de fermes avait bonne presse auprès des citadins aisés en quête de calme et d’un cadre champêtre. Aujourd’hui, nos campagnes attirent les géants de la distribution. Et demain ?

 

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