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Qu’est-ce qui nous pousse à filmer des catastrophes?
25·08·22

Qu’est-ce qui nous pousse à filmer des catastrophes?

Cet article est issu du blog de Lieve: elle parle des choses dont on parle sur une terrasse, autour d’un café ou d’un verre de vin. La vie et ce qui nous occupe. Chaque jour, sur le blog Uit Het Hart, sur le site et l’application de De Standaard. Et aujourd’hui aussi dans le journal.

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

Photo by Marlon Lara on Unsplash

Virginie Dupont
Traductrice Virginie Dupont

Vous êtes au volant, roulez tranquillement sur l’autoroute et montez le volume de la radio. En bande-son, Beyoncé vous booste le moral. Et puis, soudain, une mer de feux clignotants, de gyrophares et de voitures à l’arrêt. Des cônes rouges et blancs délimitent un périmètre sur la route.

Vous baissez le son, votre cœur fait un bond : que s’est-il passé ici ? Vous tendez le cou le plus possible. Un accident, clairement. Vous hésitez entre regarder et détourner le regard. « Regarde », murmure votre voix intérieure. « Non, ignore », crie votre moi consciencieux. Vous regardez. Juste un instant. Vous déglutissez. Ce que vous voyez est terrible. Impressionnant aussi. Et tout ce qui est impressionnant donne généralement lieu à une photo ou une vidéo. C’est juste un automatisme. Et vous, vous feriez quoi ?

C’est ce qui s’est passé lundi sur l’E40 à Grand-Bigard. Après un accident mortel, une quarantaine d’automobilistes circulant dans l’autre sens ont été surpris en train de filmer la scène avec leur smartphone. Ils ne resteront pas impunis. « Ce genre de comportement montre, d’une part, un manque total de respect envers les victimes de l’accident et constitue, d’autre part, un danger grave pour la sécurité routière », a déclaré la procureure du Roi Ine Van Wymersch dans un communiqué de presse.

Strépy: la faute aux constructeurs automobiles ?

Les contrevenants risquent une amende de 174 euros avec perception immédiate ou une citation à comparaître devant le tribunal de police, qui peut ordonner une déchéance du droit de conduire de minimum huit jours, ainsi qu’une amende de minimum 30 euros.

Filmer en soi n’est pas interdit par la loi belge, bien qu’on puisse arguer qu’il s’agit d’une violation du droit à l’image, puisque les personnes filmées n’ont pas donné leur autorisation. Il en va autrement en Allemagne par exemple, où il est explicitement interdit de filmer les accidents, et où les amendes sont encore plus salées en cas de décès.

Curieux

Comme c’est souvent le cas dans cette rubrique, la grande question est : pourquoi ? Pourquoi sommes-nous, en tant qu’êtres humains, si enclins à observer le malheur de nos semblables ? Voire à vouloir l’immortaliser ? Ce n’est pas la première fois que cette question se pose.

Ces dernières années, les incidents similaires se sont multipliés, tant chez nous qu’à l’étranger. Faisant suite à un autre embouteillage cinématographique, le psychologue de crise Erik de Soir a déclaré il y a quelques années dans ce journal qu’un curieux sommeille en chacun de nous : « Je me méfie de ceux qui critiquent les indiscrets. »

En anglais, il existe un terme magnifique pour désigner ce genre de spectateur : rubbernecker. Une personne au cou aussi souple que du caoutchouc, de sorte qu’elle peut l’étirer dans toutes les directions pour voir à 360 degrés.

« Le désir de regarder un accident est inhérent à l’être humain. C’est lié à notre peur de la mort. »

Regarder est une chose, photographier et filmer en est une autre. Le psychologue social Koen Ponnet (UGent) établit clairement la distinction entre les deux. Il comprend le premier phénomène, pas le second. « Le désir de regarder un accident est inhérent à l’être humain. C’est lié à notre peur de la mort. On se retrouve face à un événement qui pourrait nous arriver, et on a donc tendance à analyser la situation pour savoir comment on pourrait l’éviter. Il y a aussi une forme d’empathie, précisément parce qu’on se rend compte qu’on n’est pas à l’abri. »

« Mais filmer toute la scène et, pire encore, partager la vidéo ou la publier sur les réseaux sociaux, c’est autre chose. C’est là que l’impulsivité, le sensationnalisme et la confusion des normes entrent en jeu. »

Trophée de la souffrance

Vouloir marquer des points avec la misère de quelqu’un d’autre, il semble que ça se résume à ça en fait. Brandir un trophée de la souffrance. De plus, comme nous passons notre temps sur nos téléphones, le seuil d’utilisation de l’appareil photo dans ce type de situation est de plus en plus vite franchi.

Erik de Soir partage cet avis : « Ce comportement correspond à la théorie de l’activation : dans un état d’activation accrue – une excitation accrue – nous nous rabattons sur le comportement dominant, dans lequel nous avons été conditionnés. Et comme nous utilisons nos téléphones tous les jours, il est habituel pour nous de le dégainer pour un oui ou pour un non. Que ce soit pour photographier un concert au Pukkelpop ou un accident. »

Les réseaux sociaux font de plus en plus office de pilori social

Vous n’avez pas envie d’imaginer ce que ressent la victime d’un accident en voyant passer une photo d’elle sur les réseaux sociaux. Mais en soi, on peut étendre cette scène à d’autres domaines de la vie.

En rougissant de honte, j’avoue avoir un jour posté sur Instagram la photo d’une femme à la coiffure si extravagante qu’elle ne pouvait qu’être reconnue directement par ceux qui la connaissaient de près ou de loin, même si je l’avais photographiée de dos. Et un jour en vacances, j’ai pris un cliché d’un gardien de monument endormi. Il faut bien l’avouer : le tableau était superbe. Mais je n’ai récolté que des likes de parasites. Je réalise que la différence est parfois ténue.

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