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10·05·16

«Ils préfèrent travailler avec des hommes blancs flamands»

Dave Sinardet, professeur en science politique connu des deux côtés de la frontière linguistique, vous propose en exclusivité sa sélection d’articles de la presse flamande sur DaarDaar, dans le cadre de notre campagne de crowdfunding.

Temps de lecture : 5 minutes Crédit photo :

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Sur le site d’Associated Terminal Operators (ATO), au cœur du port d’Anvers, une septantaine de dockers blancs ainsi que des ouvriers majoritairement allochtones s’affairent autour de conteneurs de la fabrique de malt Boortmalt. La mécanique semble parfaitement huilée. Sauf qu’une limite presque surréaliste traverse la scène : les dockers sont des Flamands blancs, tandis que les simples ouvriers sont surtout d’origine allochtone – même si certaines tâches sont pratiquement identiques.

Le groupe d’ouvriers allochtones d’ATO ne peut travailler que sur des conteneurs vides. Cela va de la réparation au nettoyage en passant par le déplacement des conteneurs vides. La manipulation des conteneurs remplis est par contre réservée aux ouvriers statutaires du port. Aussi bien des ouvriers allochtones d’ATO que des dockers autochtones déplacent des conteneurs sur le site du terminal. La diversité du personnel employé par ATO est une exception sur le site du port d’Anvers. « Certains collègues managers du port parlent du petit Turkménistan », explique Johan Gemels d’ATO. En 2016, il faut toujours se munir d’une loupe pour trouver des ouvriers d’origine allochtone sur les quais du port d’Anvers, mais également pour trouver du personnel féminin.

Point sensible

Combien sont-ils? Même sur ce point, les choses ne sont pas claires. La nationalité et le pays de naissance fournissent certes une indication, mais l’image renvoyée est incomplète, souligne Yann Pauwels. Il est conseiller principal auprès de Cepa, l’organisation patronale du port.

Les chiffres de Cepa montrent que 271 dockers ne sont pas des Belges, soit 3,24% de l’ensemble des ouvriers du port. Si on inclut ceux qui sont Belges mais pas nés en Belgique, la proportion monte à 7,17%. Les ouvriers issus des deuxième et troisième générations, qui sont nés en Belgique et ont la nationalité belge, ne sont pas repris dans ce chiffre.

La proportion allochtone est encore renforcée par les ouvriers logistiques du port et la main d’œuvre extérieure qui vient en renfort lorsque les ouvriers du port sont dépassés (voir graphique).

Chez Cepa, on admet que le diversité constitue depuis des années un point faible. « Il serait préférable que la composition du groupe d’ouvriers portuaires reflète davantage la diversité de notre société », reconnaît Pauwels.

Des effort particuliers sont-ils fournis pour accroître la diversité ? D’après Guy Vankrunkelsven, directeur chez Cepa, ce n’est pas le cas. « Parce que nous n’avons aucun problème pour trouver des candidats dockers. »

En entendant une telle déclaration, Johan Gemels, d’ATO, fronce les sourcils. Il a l’impression qu’une grande partie de ses collègues employeurs du port préfère le statu quo. « Je suppose qu’ils préfèrent travailler avec des hommes blancs flamands », indique Gemels. Il s’efforce néanmoins, avec le responsable du terminal ATO, Ahmet Altunbay, un Belge d’origine turque, d’y remédier. « Nous essayons de motiver nos ouvriers allochtones pour devenir ouvrier portuaire. Leur travail est en grande partie similaire à celui effectué par les ouvriers d’ATO. » Mais l’expérience montre que cela ne va pas forcément de soi. « C’est une aventure dont l’issue est incertaine », lance Gemels.

Seuils d’accès élevés

Un constat s’impose: les salariés d’origine allochtone sont confrontés à des seuils d’accès très élevés. Pour devenir docker, il faut avoir suivi une formation. Celui qui ne parle pas ou ne comprend pas le néerlandais a peu de chances de réussir, même si la formation ne comprend pas de test de langues.

Mais il n’y a pas que la barrière de la langue. Il y a aussi une question d’argent. « Le salaire d’un simple docker est à peine plus élevé que celui d’un ouvrier engagé en CDI chez ATO. Ce sont des fonctions spécifiques, comme celle de grutier, qui font la différence. »

Gemels : « De plus, certains reculent devant l’exigence d’être au chômage pour pouvoir s’inscrire à la formation de docker. Je serais dès lors obligé de les licencier. Ils apprennent des collègues que ce n’est pas évident de réussir la formation. Alors qu’ils se rendent parfaitement compte que le travail qu’ils effectuent ici pour ATO est en tous points identique à celui que font les dockers. »

Chez les employés et certainement chez les ouvriers en CDI, la diversité est importante. Mais le groupe de dockers qui travaille chez ATO reste majoritairement flamand et masculin. Gemels et Altunbay estiment qu’au-delà des règles formelles, il y a aussi les règles non écrites qui rendent les choses très difficiles pour les personnes d’origine allochtone qui souhaitent devenir docker.

Altunbay : « En théorie, tout le monde peut devenir docker. Mais dans la pratique, vous avez peu de chances d’y parvenir si vous n’êtes pas dans l’ambiance du port. Celui qui n’a pas déjà un pied dans le port, risque d’être un peu perdu au moment où on décide d’engager des dockers. Et celui qui est quand-même au courant et est intéressé, comprend rapidement que la procédure pour devenir docker est assez complexe. »

Altunbay ne cache pas sa méfiance par rapport à la manière dont se déroulent les évaluations. « Certains sont jugés inaptes pour le métier de docker, alors qu’ils donnent satisfaction depuis des années en tant qu’ouvrier chez ATO. »

Cepa, qui organise les formations, réfute cette affirmation. « La procédure de recrutement est la même pour tout le monde. Nous ne tolérons aucune discrimination », assure Guy Vankrunkelsven.

Langage de docker

Il semble en outre qu’une règle linguistique non écrite ait cours au sein du port. Celui qui veut se faire accepter rapidement par les ouvriers du port d’Anvers a intérêt à maîtriser le plus rapidement possible le langage des dockers. Ahmet Altunbay (ATO) concède que depuis qu’il a débuté en 1982 au port d’Anvers en tant que soudeur pour un réparateur de conteneurs, il a vu changer beaucoup de choses. « Confier la direction d’un terminal à quelqu’un d’origine étrangère comme moi était vu avec beaucoup de suspicion. Il a fallu du temps avant que les mentalités changent. »

La diversité au sein du port d’Anvers a surtout progressé dans les bureaux. Mais avant que les choses ne changent sur les quais, il passera encore beaucoup d’eau sous les ponts de l’Escaut.

Yann Pauwels, de chez Cepa, reconnaît le faible nombre d’ouvriers portuaires d’origine allochtone. « La langue constitue en effet un obstacle de taille. Une faible connaissance du néerlandais est un handicap lors des tests psychotechniques auxquels les candidats sont soumis. »

Il ne cache pas non plus que la tradition familiale joue encore beaucoup. « Le métier de docker est encore souvent transmis de père en fils. » Pauwels admet qu’il n’est guère aisé pour les personnes extérieures de saisir la spécificité et la complexité du statut de docker.

Le résultat, c’est que les changements sociétaux ne se manifestent que très lentement parmi les dockers. Le renouvellement du contingent de dockers se passe déjà de façon assez lente. Les vagues de recrutement dépendent en grande partie de la volonté des partenaires sociaux d’ouvrir le contingent. « Nous fonctionnons actuellement avec un contingent qui a été formé voici 10 à 20 ans. L’âge moyen du docker est de 45 ans », selon Yann Pauwels. Il s’attend à ce que la diversité ne se manifeste que sur le long terme.

Gemels et Altunbay, de chez ATO, ne se disent pas très confiants non plus. Gemels place ses espoirs dans une réforme du cadre réglementaire du travail portuaire. Celui-ci ne contient pour l’heure aucune mesure de nature à renforcer la diversité sur le lieu de travail. « Avec le système actuel d’embauche des dockers, les choses ne changeront pas. »

« La pression devra venir de l’extérieur », conclut Ahmet.

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