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Nadia Nsayi, politologue belgo-congolaise: « Notre société est malade »
10·06·20

Nadia Nsayi, politologue belgo-congolaise: « Notre société est malade »

Temps de lecture : 5 minutes Crédit photo :

(c) Isopix

Auteur⸱e
Fabrice Claes
Traducteur Fabrice Claes

À la fois noble et dangereuse, la manifestation contre le racisme à Bruxelles fait craindre aux virologues de nouvelles contaminations. La politologue belgo-congolaise Nadia Nsayi, 36 ans, était présente parmi les 10 000 personnes venues manifester ce dimanche devant le Palais de Justice. Elle aussi, a hésité à se rendre à ce rassemblement de masse en pleine crise du coronavirus. Mais pour Nadia Nsayi, le message était trop important. « Une société qui se lève face à l’injustice, c’est une société en bonne santé. »

« J’habite en Belgique depuis trente ans et je n’avais encore jamais vu 10 000 personnes de toutes les couleurs manifester contre le racisme. Il s’agit d’un signal fort envoyé au monde politique. Il est temps d’agir ! » Nadia Nsayi, qui a émigré du Congo vers la Belgique à l’âge de cinq ans, n’en revient toujours pas. La politologue de la KUL, auteure du roman autobiographique Dochter van de dekolonisatie (Fille de la décolonisation), répond de manière rationnelle aux questions qui ont suscité, ce dimanche, des réactions plutôt émotionnelles.

Un tel rassemblement en pleine crise du coronavirus était-il responsable ?

« Même pour moi, c’était un dilemme, surtout après avoir respecté scrupuleusement toutes les règles sanitaires pendant trois mois. Mais au bout du compte, tout s’est passé en toute sécurité (presque tout le monde portait un masque) et de manière pacifique. »

Pourtant, à la fin, des échauffourées ont eu lieu, avec 150 arrestations à la clé.

« La violence d’une petite minorité ne peut pas détourner l’attention du message principal : il faut combattre le racisme. »

Le racisme est-il plus difficile à combattre que le coronavirus ?

« Le coronavirus a provoqué la création immédiate d’un gouvernement de plein pouvoir, quoique provisoire. Les responsables politiques ont écouté les experts et ont mis sur pied des bases légales sur lesquelles la population a pu s’appuyer. Le racisme, contrairement au virus, ne se combat pas en trois mois. Il n’en demeure pas moins que le monde politique a les capacités d’envoyer enfin un signal clair démontrant qu’il prend la question au sérieux. »

Et la Rue de la Loi ne le fait pas ?

« Non. D’un point de vue électoral, le racisme n’est pas un sujet sexy. Il exige une autocritique, c’est-à-dire la critique d’un groupe important de personnes blanches. Mais dans un passé lointain, il n’était pas spécialement sexy de plaider pour le droit de vote des femmes, alors qu’elles constituaient la moitié de la population. Les personnes LGBT ont aussi dû lutter. Et aujourd’hui, c’est au tour des gens de couleur de s’émanciper. Malheureusement, il a fallu attendre qu’un homme noir meure des suites d’une violence policière en Amérique. »

Quelle doit être la priorité ?

« Il est intolérable que des personnes ne puissent pas accéder à un emploi ou à un logement à cause de leur couleur de peau. D’après une étude menée par la Fondation Roi Baudouin, soixante pour cent des Congolais sont diplômés de l’enseignement supérieur, mais ils sont quatre fois plus souvent au chômage. C’est dramatique. Nous savons que le retard socio-économique nourrit l’instabilité sociale. Il ne fait que générer de la frustration et de la colère. D’où les manifestations et les échauffourées. Dimanche, on a compté 150 émeutiers. Il faut rester vigilant afin que ce groupe ne grandisse pas à l’avenir, car cela mettrait en péril la stabilité de notre société. »

Êtes-vous parfois victime de racisme ?

« On me balance régulièrement des insultes à la figure : sale noire, rentre dans ton pays… À Zaventem, on m’a fait sortir d’une longue file d’attente pour ouvrir ma valise. J’ai demandé à l’agent pourquoi il m’avait choisie moi, la seule voyageuse de couleur. Malgré mon insistance, je n’ai jamais reçu de réponse convaincante. »

Notre société n’offre-t-elle aucune chance aux personnes noires ?

« Bien sûr que si. Mais il faut être stimulé, que ce soit à la maison, à l’école, ou ailleurs. À l’âge de cinq ans, je suis arrivée en Belgique avec ma mère. À Saint-Josse, l’une des communes les plus pauvres du pays. Ma mère est entrée en contact avec un couple flamand de Landen. L’homme est devenu mon parrain, la femme ma marraine. Grâce à eux, j’ai pu aller à l’école à Landen, ce qui a facilité mon apprentissage du néerlandais. Si j’avais grandi, moi, fille d’une mère célibataire, peu scolarisée et noire, à Saint-Josse, je n’aurais jamais pu avoir les mêmes chances. »

Vous auriez pu adopter le nom de famille de votre père. Peut-être que Nadia Clerebaut aurait plus de chances que Nadia Nsayi.

« Je peux, comme l’ont fait de nombreux membres de ma famille, belgiciser mon nom en Clerebaut. Pourtant, je préfère garder le nom africain avec lequel je suis né. Je veux être reconnue pour mes connaissances, mes compétences et ma personnalité. Une société qui ressent le besoin de regarder le nom de famille sur un CV est une société malade. Donc oui, notre société est malade. »

La manifestation contre le racisme a fait ressurgir la polémique sur les personnalités historiques. Des statues de Léopold II ont été taguées et incendiées.

« Voilà qui en dit long sur ce que nous appelons la violence. Le vandalisme et l’incendie volontaire sont des violences, évidemment. Mais ces statues symbolisent aussi la violence : celle d’un roi belge qui, à la fin du dix-neuvième siècle, a semé la terreur dans sa colonie privée autoproclamée. »

Faut-il donc retirer ces statues ?

« Pour ma part, nous pouvons les laisser où elles sont. Sinon, on effacerait les souvenirs de la colonisation. Ces souvenirs sont importants, aussi douloureux soient-ils. Par contre, il faudrait y apposer des pancartes avec des textes critiques. »


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Et le Père Fouettard ? Les uns trouvent qu’il faut garder ce personnage, qui fait partie de notre culture, tandis que d’autres y voient un signe de racisme.

« Pour moi, le dossier du Père Fouettard symbolise bien la mesure dans laquelle un groupe est à l’écoute de l’autre groupe. Qu’entend-on par « notre » culture ? Les Belges blancs sont-ils les seuls à pouvoir donner leur avis à ce sujet ? Si tel est le cas, on parle bien en termes de « vrais » Belges et de citoyens de second rang. »

Êtes-vous dans le camp de ceux qui veulent mettre fin au personnage de Père Fouettard ?

« (réaction vive) Oh non ! Moi, je plaide pour le compromis du Père Fouettard couvert de suie. »

Les noirs sont-ils racistes contre les blancs ?

« Tout le monde a des préjugés, les Congolais aussi. En raison de la colonisation, ils considèrent encore souvent les Flamands comme des gens stricts par exemple. Mais qui dit préjugés, ne dit pas spécialement racisme. On ne peut pratiquer la discrimination sur la base de l’origine ou de la couleur de peau que si on a le pouvoir. Dans quel domaine les personnes de couleur ont-elles le pouvoir de discriminer les personnes blanches ? »

Peut-on éradiquer le racisme ?

« Je répondrais à la question par une autre question : peut-on éradiquer le sexisme et l’homophobie ? Tout dépend des structures de pouvoir. Tant que des hommes blancs et hétérosexuels ne sont pas disposés à partager le pouvoir avec d’autres groupes qui ont moins de pouvoir… Peut-être faudrait-il songer à des quotas pour les gens de couleur, comme on l’a fait pour les femmes en politique et dans les entreprises. »

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