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24·09·15

L’inquiétante militarisation de la police anversoise

Temps de lecture : 5 minutes Crédit photo :

Chris Kyle, tireur d’élite en Irak : « J’ai utilisé le 300 Win Mag pour tuer la majorité de mes victimes. » Cette même munition va être utilisée par la police anversoise

(cc) Eric Constantineau

Lode Vanoost
Auteur⸱e
DaarDaar
Traducteur⸱trice DaarDaar

Le CD&V, l’Open VLD et la N-VA ont approuvé l’acquisition d’armes de guerre et de balles de calibre 300 pour renforcer l’armement de la police anversoise. Il y a peu, les partenaires de coalition avaient déjà donné leur aval sur l’achat de quatre FN 303 semi-automatiques à balles de peinture. Avec cette décision, les instances politiques de la ville font un pas de plus vers la dangereuse militarisation de leur corps de police.

Au sein des partis politiques et des corps de police, les partisans d’une police militarisée vivent leur heure de gloire à Anvers. Petit à petit, leurs rêves les plus fous deviennent réalité. Avec la décision récente de la coalition CD&V, Open VLD et N-VA, une nouvelle limite morale vient d’être franchie.

L’acquisition des FN 303 tirant des projectiles à impact (balles de peinture, spray au poivre) n’était semble-t-il qu’une première étape vers la militarisation de la police. Non seulement ces armes ne contribuent pas au renforcement de la sécurité (voir l’article De Wereld Morgen sur le risque accru que courent les victimes innocentes), mais elles sont bien peu de chose à côté des nouveaux projets de la ville d’Anvers.

Les armes aux balles de calibre 300 (7,62 mm de large et 67 mm de long) sont toujours mortelles. Aux États-Unis et au Canada, les armes de chasse lourdes tirant ce type de munition sont très populaires auprès des chasseurs de grizzlis et d’élans. Un seul de leurs tirs peut tuer un élan mâle de 475 kg à près d’un kilomètre.

L’American Sniper opte pour le calibre 300

Il est évident que la police anversoise ne projette pas de chasser le grand gibier. Pour le choix du calibre, elle s’est probablement inspirée de l’ouvrage American Sniper, une autobiographie de Chris Kyle, un tireur d’élite américain.

Cet homme détient le record du nombre de victimes (160) abattues en Irak et en Afghanistan, ainsi que celui de la plus grande distance de tir mortel (1920 m). En 2013, il sera lui-même assassiné par un tireur d’élite en apprentissage. Son statut de héros militaire lui vaudra une adaptation au cinéma par Clint Eastwood, qui en réalisera le film éponyme « American Sniper ».

Dans son ouvrage, Kyle cite notamment sa munition préférée. Il s’agit sans aucun doute du calibre 300. « J’ai utilisé le 300 Win Mag pour tuer la majorité de mes victimes. C’est une balle d’excellente qualité, quel que soit l’usage que vous souhaitiez en faire. Elle offre une précision et une force de frappe exceptionnelles. Les armes sont certes légèrement plus lourdes que les autres, mais elles ont la précision d’un laser. Aucune cible ne vous échappera dans un rayon d’un kilomètre et pour les cibles plus proches, aucun régalage fastidieux n’est nécessaire : même si le viseur est réglé sur 500 mètres, vous n’aurez aucune difficulté à atteindre une cible à 100 mètres.

Inappropriée pour la ville

On peut logiquement s’interroger sur la nécessité d’utiliser ce type d’arme lourde dans un environnement urbain. Pour le conseil communal d’Anvers, la question ne se pose pas : un budget de 80 000 € sera dégagé pour l’achat de 27 armes de ce type et de 85 000 € supplémentaires pour les munitions qui les accompagnent.

Tous les agents ne seront toutefois pas formés à leur maniement. « Quelques dizaines », nous dit-on, sans donner de chiffre exact. L’objectif est de disposer d’une équipe d’intervention rapide qui puisse agir dans les 3 à 5 minutes, n’importe où en ville. Les armes ne seront pas portées de manière ostentatoire, mais « rangées en toute sécurité » dans les voitures de patrouille.

Verviers et Charlie Hebdo

Les autorités justifient les budgets investis (comme pour l’achat des FN 303) en renvoyant aux attentats contre Charlie Hebdo du 7 janvier 2015 et à l’attaque de Verviers du 15 janvier 2015, où deux présumés djihadistes ont trouvé la mort. Ces justifications méritent également réflexion.

Depuis plusieurs années, des agents de police et militaires français lourdement armés patrouillent dans les villes et des équipes d’intervention rapide se tiennent prêtes à intervenir. Charlie Hebdo faisait l’objet de menaces depuis de nombreuses années et la plupart des journalistes de la rédaction avait des gardes du corps personnels. Aucune de ces deux mesures n’a pourtant pu empêcher l’attaque.

Pour ce qui est de la fusillade à Verviers, des djihadistes équipés d’armes lourdes auraient été éliminés. Rien n’est pourtant moins sûr, car on ne sait en fait pratiquement rien sur ce qui s’est réellement passé lors de cette action. En tout cas, l’opération à Verviers fut accomplie avec succès, sans pour autant impliquer l’utiliser d’armes lourdes telles que les autorités anversoises souhaitent aujourd’hui acquérir.

Rien de tel qu’une enquête discrète et préventive

Aux États-Unis, alors que la police militarisée a fait de nombreuses victimes innocentes, elle n’a pas encore réussi à empêcher la moindre attaque terroriste à l’artillerie lourde (la majeure partie de ces actes terroristes aux États-Unis est perpétrée par des chrétiens de race blanche).

En revanche, les services de renseignements national et international, le FBI et la CIA, affirment avoir déjoué des dizaines d’attentats grâce à leur travail d’investigation. Autrement dit, les armes lourdes ne sont pas en mesure de se substituer à un travail d’investigation en profondeur. L’expérience américaine nous apprend aussi qu’une surveillance discrète, invisible aux yeux du citoyen (et du criminel), s’avère bien plus efficace (et a un effet dissuasif beaucoup plus important).

On ne peut tirer qu’un seul enseignement de l’histoire des armes à feu. Lorsque la police se munit d’armes lourdes, les criminels et les fanatiques en font de même. En d’autres termes : non seulement ces armes ne renforceront pas la sécurité des citoyens anversois, mais la police s’expose à un plus grand danger.

Dans le cas qui nous occupe, il nous faut chercher ailleurs les raisons de la décision de la N-VA, du CD&V et de l’Open VLD. Grâce à l’acquisition de ces armes de guerre, la police pourra réduire progressivement la présence controversée et impopulaire de militaires dans les rues. Présentée comme une puissance de frappe supplémentaire, cette acquisition entend en outre satisfaire la volonté des forces d’extrême droite qui garnissent encore les rangs des partis politiques et du corps de police, avec comme conséquence objective : un renforcement de la psychose et de la peur parmi la population. Savoir s’il s’agit de l’objectif ultime de cette acquisition relève d’une autre question.

L’exemple américain

Avec d’autres États membres de l’Union européenne, la Belgique est admirablement parvenue à réduire à quelques cas isolés les attaques meurtrières perpétrées sur des agents de police. En ce qui concerne les victimes innocentes abattues par des agents de police, nous avons aussi de quoi nous réjouir en Europe.

Les dix pays comptant les forces de police les plus violentes au monde sont, par ordre décroissant, le Mexique, le Pakistan, l’Égypte, l’Iran, la Corée du Nord, la Russie, le Brésil, l’Afrique du Sud, la Chine et les États-Unis. Ce sont également les dix pays qui ont les services de police les plus lourdement armés et militarisés au monde.

Dans leur accord de gouvernement, nos ministres fédéraux ont indiqué, entre autres choses, que la police devait être mieux protégée contre les plaintes émises par les citoyens. L’acquisition de ces armes de guerre, dans un contexte d’impunité croissante, n’augure rien de bon pour l’avenir.

Article en V.O. de Lode Vanoost sur De Wereld Morgen

Traduit du néerlandais par Lynn Gehot et Guillaume Deneufbourg

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