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Les jeunes Bruxellois ont-ils encore le droit d’aller se baigner ?
29·07·22

Les jeunes Bruxellois ont-ils encore le droit d’aller se baigner ?

Temps de lecture : 5 minutes Crédit photo :

Photo by Brooklyn Morgan on Unsplash

Fabrice Claes
Traducteur Fabrice Claes

Les jeunes Bruxellois en ont assez d’être stigmatisés chaque été lorsque, par manque de lieux de baignade agréables à Bruxelles, ils cherchent à se rafraîchir à la Côte ou ailleurs en Flandre. « Quand on se fait contrôler trois fois dans le train de Gand, on arrive frustré à Blaarmeersen. »

Avant même que les grandes vacances commencent, les traditionnelles discussions s’enflamment déjà sur les jeunes Bruxellois qui viennent semer la pagaille dans les centres de loisirs aquatiques flamands. Cette année-ci, ce ne sont pas des lanceurs de parasols qui ont mis le feu aux poudres, mais des images sur TikTok montrant principalement des garçons qui, dans l’étang de Blaarmeersen, s’amusent à se balancer une carpe à la figure et, un peu plus tard, à la faire dévaler un toboggan, les branchies ouvertes et les nageoires écartées.

Quelques jours plus tard, une accompagnatrice de train a signalé s’être sentie menacée par un groupe de deux cents jeunes revenant de De Nekker, un parc de loisirs malinois, entraînant l’annulation préventive du train pour Bruxelles.

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La publication de nombreux messages similaires, conjuguée à la perspective d’un été chaud, nous force une fois de plus à nous interroger : Bruxelles ne peut-elle pas offrir davantage de lieux de baignade ? Et comment éviter de nouvelles escalades ?

La réponse à la première question est facile à trouver : non. La capitale fait face à un manque chronique de lieux de baignade. Et non, la situation n’est pas près de s’améliorer.

Pas de moyens, pas d’espace

La Région compte aujourd’hui 31 bassins accessibles au public, soit l’équivalent d’une piscine pour environ 39 000 habitants. En Flandre, le ratio s’avère plus favorable, avec une piscine pour 22 000 habitants. Celles-ci sont gérées par les communes, qui ont tout le loisir d’en construire davantage si elles le souhaitent. Seulement, cela coûte énormément d’argent.

« La construction d’une piscine de taille moyenne coûte environ trois millions d’euros, et son entretien tout au long de l’année mille euros par mètre carré. »

« À l’heure actuelle, les moyens manquent souvent », explique Augustin Habra, du centre d’expertise perspective.brussels, qui suit le dossier. Selon les calculs du centre, la construction d’une piscine de taille moyenne coûte environ trois millions d’euros, et son entretien tout au long de l’année mille euros par mètre carré. « Mais l’explosion des prix des matières premières a probablement provoqué depuis lors une augmentation des coûts. »

Et quand bien même les finances suivraient, par le biais de partenariats par exemple, une autre réalité propre aux grandes villes vient entraver le projet : le manque d’espace. « Il est déjà difficile de trouver un lieu pour bâtir de simples infrastructures sportives, comme un terrain de football, déplore M. Habra. Imaginez donc la construction d’une piscine olympique de cinquante mètres et de douze couloirs. »

Des citoyens mécontents

Le secrétaire d’État Pascal Smet qualifie d’erreur historique l’annulation, en 2009, par ses successeurs, de son projet de piscine dans le quartier maritime. « Cette piscine aurait-elle résolu tous les problèmes ? Bien sûr que non. Mais il faut bien commencer quelque part. »

La majorité actuelle s’est engagée sur deux nouveaux projets au moins : une piscine en plein air sur le toit du site des Abattoirs et un étang de baignade dans le parc de Neerpede. Mais même dans le meilleur des cas, ce n’est qu’en 2024 au plus tôt que ces deux projets verront le jour. Quoique celui de Neerpede risque bien de se compliquer : une pétition très suivie, déjà signée par 3 250 citoyens, fait état du mécontentement des riverains à l’égard de la partie récréative du projet. Officiellement, les auteurs de la pétition craignent la destruction d’un habitat naturel unique, mais officieusement, les résidents du quartier redoutent évidemment le bruit et les scènes semblables à celle de Blaarmeersen.

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Reste le canal, qui divise Bruxelles en deux sur une longueur de dix-huit kilomètres. Dans les faits, c’est le plus grand bassin de la ville. D’ailleurs, devant l’écluse d’Anderlecht, à savoir la partie la plus propre du canal, des jeunes sautent déjà régulièrement dans l’eau, faisant fi des interdictions dues à la circulation des péniches et aux risques sanitaires engendrés par des bactéries et d’autres substances toxiques rejetées par les égouts.

En résumé, les prochaines années ne verront naître aucune nouvelle infrastructure de baignade dans la capitale. Du moins, pas de manière structurelle. Car la piscine en plein air Flow, conçue par le très sympathique collectif Pool is Cool, ne fait que soigner un symptôme. Il convient donc de se demander comment accueillir les visiteurs bruxellois d’ici là.

Liste noire

En ce qui concerne les comportements dévastateurs de certains jeunes, Smet est catégorique : « Ceux qui ne savent pas se comporter correctement, sous l’effet de la chaleur et de la testostérone, il faut les appréhender comme on le fait pour les hooligans. » En revanche, il ne veut pas que les domaines de loisirs bloquent systématiquement les jeunes « uniquement pour les bloquer ».

Smet poursuit : « Même lorsque Bruxelles disposera d’infrastructures suffisantes, Blaarmeersen et Ostende resteront les destinations favorites des jeunes, car ces lieux sont pour eux synonymes de vacances et de dépaysement, même léger. Puis, c’est abordable, surtout. Tout le monde ne peut pas se permettre de voyager en Espagne. »

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Bruno Pessendorffer, porte-parole de Blaarmeersen, a vécu des journées pour le moins agitées, mais souscrit au point de vue du secrétaire d’État : « Tout le monde, gantois ou non, reste le bienvenu pour passer un bon après-midi. »

Toutefois, le domaine de Blaarmeersen a mis en place un certain nombre de règles, afin de rendre l’expérience « vivable », pour reprendre les termes du porte-parole. Ainsi, la capacité est limitée à 4 500 visiteurs, il faut passer par un système de réservation et une clôture entoure la zone de plage. Mais pourquoi doit-on présenter sa carte d’identité à l’entrée ? « Pour savoir qui doit payer quatre euros, et non pour vérifier sur une liste noire, qui n’existe d’ailleurs pas », assure M. Pessendorffer.

Une palette de couleurs plus joyeuse

Après les événements récents, Pessendorffer n’entend pas jeter de l’huile sur le feu. « Les jeunes font des bêtises, comme ils en ont toujours fait. Une seule balle de football qui renverse une petite glacière par accident suffit à entraîner une dynamique de groupe et des débordements. »

Cependant, il se refuse aussi à minimaliser les faits. D’autant plus que plusieurs familles gantoises avec enfants – leur cœur de cible – ont déjà indiqué ne plus vouloir ou oser se rendre au domaine en périodes de forte affluence. C’est pourquoi, en cas d’agression, d’intimidation ou de perturbation avérée, la sécurité intervient sur le champ.

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« L’ancien militaire en moi dit : c’est exactement la bonne approche. Réagir avec fermeté à un problème local. » Cela dit, M. Passendorffer et le responsable des lieux, M. Farys, considèrent qu’il faut agir dès l’entrée du parc. « Avant, l’intérieur était peint aux couleurs du service des sports de Gand : le rouge et le blanc. Mais cette combinaison évoque surtout l’interdiction et l’obligation. Pour pallier ce problème de perception, nous avons consulté des experts, qui nous ont recommandé une autre palette de couleurs, plus joyeuse. On utilise donc le nudging pour influencer l’attitude des gens en créant une atmosphère qui les calme au lieu de les rendre agressifs. »

Pour améliorer l’ambiance, le domaine a également recruté des stewards qui parlent les mêmes langues que les jeunes de Bruxelles afin de mieux interpréter les signaux, ce qui évite de devoir recourir immédiatement à un arsenal de mesures lourdes telles que les expulsions et les amendes.

Accompagnement policier

Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, riposte – non sans ironie – Aimen Horch sur Twitter. « Mais lorsque, comme moi, on se fait contrôler trois fois sur le trajet vers Gand, on se laisse gagner par une certaine frustration. On s’énerve, on se sent attaqué à tort et on ignore pourquoi. Pardon, oui, on sait pourquoi : parce qu’on a la peau trop foncée. Cela a le don d’irriter, voire d’enflammer certains jeunes. Et de belles couleurs n’y changeront pas vraiment grand-chose. »

« Certains faits ne justifient en rien ces pratiques aussi intimidantes que disproportionnées. Il ne faut pas faire payer à la majorité les mauvais comportements d’une minorité. »

Horch, lui-même d’origine algérienne et conseiller communal Groen à Vilvorde, regrette que le débat déraille. Pour lui, les mesures prises sont excessives. Des patrouilles de police, des hélicoptères, des caméras de surveillance, et la dernière trouvaille de la gouverneure d’Anvers Cathy Berx : instaurer une sorte de « loi football » pour les domaines de loisirs, afin que certaines personnes ne puissent plus entrer nulle part… « Certains faits ne justifient en rien ces pratiques aussi intimidantes que disproportionnées. Il ne faut pas faire payer à la majorité les mauvais comportements d’une minorité. »

À cet égard, M. Horch, à l’instar d’autres témoins (qui n’osent même plus se rendre à la Côte), ne considère pas que le manque de piscines bruxelloises constitue le principal problème, mais bien « la stigmatisation et la criminalisation systématiques de jeunes gens d’origine marocaine, amazighe, sénégalaise ou turque, dont le plus grand tort est de rechercher un peu de répit une fois venus les jours chauds. »

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