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14·05·18

Immigration et intégration : le peuple, c’est plus qu’une langue

L’auteur, Vincent Scheltiens, est historien au Centre d’Histoire politique de l’Université d’Anvers. 

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

Photo by MCML ➖XXXIII (steal my _ _ art) on Unsplash

Auteur⸱e
Fabrice Claes
Traducteur Fabrice Claes

À la suite de l’étude « Vivre ensemble dans la diversité », le ministre-président flamand Geert Bourgeois (N-VA) s’est préoccupé, dans l’émission Terzake, de l’utilisation de leur langue d’origine par les familles d’origine allochtone en Flandre. Fidèle à lui-même, il a martelé que la langue constitue une « clé pour l’intégration ». D’autre part, un reportage parmi les familles vilvordoises d’origine espagnole a révélé que les immigrés de première génération ne parlent toujours pas – ou très peu seulement – néerlandais et que, chez eux, ils utilisent toujours l’espagnol, y compris avec leurs enfants (De Standaard, 8 mai). Un « problème d’intégration » ? Pas d’accord.

Petit à petit, une partie des immigrés espagnols est retournée en Espagne après la chute de la dictature franquiste. À Saint-Gilles, Vilvorde, Boom, ainsi qu’à Anvers (dans le Kiel, aux alentours du Paardenmarkt et de la Sint-Jansplein), la vie s’est tranquillisée dans les quartiers que les immigrés espagnols bigarraient de leurs cafés populaires, peñas et autres hogares.

Gratitude

Certains sont partis, mais beaucoup sont restés. Ils avaient trouvé un emploi fixe. Ils avaient contribué à la sécurité sociale. Certains avaient même pu s’acheter un logement. Leurs enfants, comme les autres petits citadins, étaient nés ici. Leurs enfants ne pensaient pas à partir vers un pays qu’ils ne connaissaient qu’à travers des vacances chez des oncles retranchés dans une campagne agonisante. Les immigrés de la première génération qui étaient restés s’étaient attachés à leur nouveau pays. Je les ai rarement entendus critiquer la Belgique, les Wallons ou les Flamands. Au contraire, j’entendais davantage des témoignages de sympathie et de gratitude.

Une culture reproduite

Malgré leur gratitude à l’égard de ce qu’ils appelaient leur deuxième patrie, quelques histoires se sont fait entendre, mettant quelque peu à mal l’image d’une intégration réussie. Ces immigrés de la première génération se mariaient entre eux et parlaient difficilement, voire (quasiment) pas néerlandais. Leur vie sociale se déroulait dans des clubs et des bars espagnols, parfois fréquentés par des Belges en mal d’exotisme et curieux de découvrir la vie associative que les Espagnols avaient créée, avec leurs clubs de foot, leurs compagnies de théâtre ou de musique, leur cuisine traditionnelle, leurs fêtes pour enfants et même leurs élections de Miss.

Comme c’est souvent le cas chez les immigrés, on tente de reproduire dans le pays d’arrivée, par nostalgie, une culture conforme à l’époque et aux relations sociales que l’on a connues au moment de quitter le pays d’origine. Ce temps qui s’arrête n’est pas toujours l’effet du hasard. En effet, un certain nombre de ces clubs, à l’instar du Hogar español fondé en 1963 et devenu par la suite la Peña Andaluza, étaient financés et encadrés par le régime et les consulats de Franco, qui veillaient à bien mettre en valeur le côté festif et détendu de l’Espagne, et surtout à taire l’évolution politique du pays.

godverdomme

Chez eux, ces immigrés de la première génération parlaient tous espagnol et éduquaient leurs enfants – qui apprenaient le néerlandais à l’école – dans la même langue. L’espagnol de ces gens peu ou pas scolarisés, originaires de la campagne, était un español de casa, bien éloigné de l’español culto enseigné dans les écoles et pratiqué dans les médias. Parmi eux, ceux qui parlaient un peu néerlandais entrecoupaient les quelques mots de « Vloms » appris sur les chantiers ou à l’usine de maladroites et savoureuses expressions espagnoles. Mon grand-père, qui montait des pneus dans une usine d’assemblage automobile où mon père travaillait à l’entretien des machines et où ma mère servait le café, parlait à peine quelques mots de néerlandais, mais il savait dire sans difficulté « godverdomme » à son chef d’équipe. Lorsque la télévision a fait son entrée dans les foyers, ces familles regardaient généralement des chaînes françaises, et rarement la télévision flamande. Les antennes paraboliques n’existaient pas encore et il était impossible de capter la RTVE, la chaîne publique espagnole.

La diversité, un atout

Mes parents font partie des Espagnols qui sont restés en Belgique après la dictature. Mon père, arrivé à huit ans en 1937 comme réfugié à cause de la Guerre civile, et ma mère, arrivée dans la fin des années 50, allaient repartir au pays en 1990, une fois pensionnés. À la différence de la plupart des Espagnols, nous ne fréquentions pas le centre espagnol. Ce centre était considéré comme franquiste, bien que ses visiteurs ne fussent pas assimilés au franquisme. Les visiteurs du centre étaient des collègues de travail et des connaissances. Nous, nous fréquentions des clubs de tendance républicaine. Ma sœur et moi constituons une exception, car nous parlions espagnol avec notre mère et néerlandais avec notre père, mais l’enfance des Espagnols était bercée de la variété, des films et des feuilletons français. C’étaient un John Wayne et une Liz Taylor doublés en français qui nous parlaient. Wim Sonneveld ? Connais pas[1]. Yves Montand ? Évidemment[2] !

Deux langues

Comme les autres enfants de la deuxième génération, nous sommes devenus moins voyants dans la société, à force de mariages et de partenariats divers. Je ne connais aucun Espagnol de mon âge qui ait des problèmes de langue. Aucun Espagnol de ma génération n’a dû suivre de parcours d’intégration. On ne nous distingue plus dans la société. Seulement, à la maison, nous parlons deux langues et, chacun à notre manière, nous tirons parti de cet atout qu’est cette diversité. Nous savons qu’être différent, ce n’est pas être étrange ni étranger. Et cela, nous l’avons appris grâce à nos parents, qui ne parlaient quasiment pas néerlandais.

Le poète et écrivain belge Prudens van Duyse, un flamingant de la première heure, a écrit en 1834, dans cette jeune Belgique à peine née, un vers élevé au rang de dogme au sein du mouvement flamand : La langue, c’est tout le peuple. Pourtant, le peuple, c’est bien plus qu’une langue.

[1] En français dans le texte, ndt

[2] En français dans le texte, ndt

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