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Si le Sénat vous dérange, supprimez-le
13·01·22

Si le Sénat vous dérange, supprimez-le

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

Pixabay

Marc Reynebeau
Auteur⸱e
Fabrice Claes
Traducteur Fabrice Claes

La particratie récolte tous les petits avantages que peut encore lui procurer le Sénat, mais personne ne réfléchit à l’évolution future de cette assemblée.

Lorsque les chiffres ne sont pas justes, un plan ne peut pas se dérouler sans accroc. C’est le cas du plan de la présidente du Sénat, Stephanie D’Hose (Open VLD), et de son président de parti, Egbert Lachaert, qui a pour ambition de supprimer le Sénat (De Standaard, 6 janvier). Leur proposition permettrait d’épargner 40 millions d’euros. Si ce montant représente peu par rapport à la dette publique, il est toujours bon à prendre. Sauf que ce plan ne tient pas compte du fait que la plupart des frais servent à couvrir l’entretien du bâtiment et le salaire du personnel. La disparition du Sénat en tant qu’institution ne fera pas disparaître ces coûts.

Mais dans la tête d’un libéral, peu importe, car ces coûts seront le problème de quelqu’un d’autre, à savoir de la Chambre en l’occurrence.

Le problème principal de cet argument des 40 millions, c’est qu’il se fonde sur le principe qu’une économie justifie la suppression d’une institution démocratique. Proposer de sacrifier le Sénat sur l’autel de l’économie relève du populisme. En effet, l’argument repose sur un préjugé selon lequel la pratique politique sert à se remplir les poches et à s’octroyer des privilèges élitistes. Egbert Lachaert le dit lui-même : il espère, ce faisant, combattre la défiance du peuple vis-à-vis du politique. Mais dans la pratique, c’est probablement l’effet inverse qui se produira, maintenant que les responsables politiques répètent à tout va qu’une institution ne sert à rien.

Un organe amputé et privé de sa légitimité

Cet argument, Lachaert ne l’exprime pas en des termes politiques ou démocratiques, mais bien en des termes de management d’entreprise : « le Sénat n’a pas de valeur ajoutée ». La formule sonne bien, mais dans ce contexte, elle ne veut rien dire, même si elle correspond bien au système électoral qu’aimerait instituer l’Open VLD. Ce système se traduirait par une disparition des choix idéologiques au bénéfice d’un pragmatisme technocratique. C’est d’ailleurs ce que le parti avait déjà fait en abolissant l’obligation de vote lors des élections communales en Flandre ou en affirmant l’inutilité des partis locaux.

Il faut bien l’admettre, c’est le politique lui-même qui a organisé le manque de valeur ajoutée du Sénat. En lui retirant quasiment toutes ses missions et ses compétences, il l’a vidé de toute sa vigueur. En même temps, on a privé le Sénat de toute légitimité démocratique : depuis 2014, l’assemblée ne se compose plus de personnes directement élues, mais de 50 responsables politiques issus des parlements régionaux et communautaires, et de dix membres cooptés, désignés par les partis.

Tantôt superflu, tantôt bien utile

La cooptation a toujours été une spécificité du Sénat. À l’époque, l’objectif était de placer dans un parlement des experts qui avaient peu de chances d’être élus directement. Parmi les cas célèbres, nous pouvons citer Jan De Meyer, constitutionnaliste renommé de la KU Leuven, qui fut coopté en 1980 par le CVP de l’époque afin qu’il puisse apporter son aide dans le cadre de la réforme de la Constitution. Mais très rapidement, les intérêts du parti qui l’a nommé ont fait barrage à son expertise, et il a siégé pour le reste de son (bref) mandat en qualité de sénateur indépendant.

Aussi superflu soit le Sénat aux yeux de nombreux partis, ceux-ci apprécient le principe de la cooptation. Au lendemain des dernières élections, ils ont retrouvé une utilité au Sénat quand il s’agissait d’offrir une petite fin de carrière tranquille en remerciement de services électoraux – il faut dire que sénateur, c’est une fonction à mi-temps récompensée, pour les cooptés, par un salaire équivalant à la moitié de celui d’un député. Quel que soit le salaire du sénateur coopté et ex-ministre Rik Daems (Open VLD), le site Internet du Sénat ne mentionne comme fonction actuelle que « consul honoraire du Togo ».

Concernant le self-service des partis, un autre sénateur coopté, Bert Anciaux (Vooruit), a dévoilé dans le magazine Knack que les collaborateurs politiques des sénateurs ne réalisent même pas le travail pour lequel l’État les paie (avec les fameux 40 millions d’euros), vu que la plupart des partis les engagent pour leur propre service. Comme si les dotations des partis n’étaient pas suffisamment copieuses.

Véritable baromètre de popularité politique

Si la survie du Sénat est remise en question depuis longtemps, cela n’empêche en rien que depuis tout ce temps, l’institution est demeurée très attrayante pour ceux qui aimeraient s’y faire élire. Son collège électoral est bien plus vaste que celui de la Chambre ou des parlements des entités fédérées. Il en résulte un grand nombre de voix de préférence à récolter. C’est ce qu’ont démontré tous les ténors de la politique, y compris Bart De Wever (N-VA), qui, en 2010, a transformé les élections sénatoriales en sondage de popularité, après lequel les élus sont réduits à s’étioler sur les bancs du Sénat. En 1979, Leo Tindemans (CVP) avait déjà ouvert la voie à ce genre de course à la popularité en empochant près d’un million de voix lors des élections européennes.

Des vocations révolues à réhabiliter ?

Face à tant d’opportunisme, le fossé est gigantesque entre la rhétorique et la pratique. Ce qui permet d’enjamber ce fossé, c’est la particratie, c’est l’intérêt partisan. Les partis récoltent tous les petits avantages que peut encore leur procurer le Sénat, mais personne ne réfléchit à l’utilité d’un système bicaméral – qui, dans les faits, n’existe plus, ce qui s’avère assez unique en Europe. En 1831, le Sénat avait une mission spécifique : seule l’élite pouvait y accéder et faire office de contre-poids conservateur à la Chambre, considérée comme bien trop démocratique. Plus tard, il a pris le rôle d’une chambre de réflexion, qui avait pour but de parfaire les lois prévues. Vu la médiocrité de nombreuses lois aujourd’hui, ce n’est pas un luxe.

Même dans l’exclusion de cette option-là, on peut voir la main de la particratie. Pour les ténors des partis, il est bien plus aisé de garder le contrôle d’une seule assemblée. Car avec deux assemblées, ils courraient le risque de devoir gérer d’autres alliances politiques, ou des points de vue qui diffèrent de ceux de la Chambre, un peu à l’instar de la Eerste Kamer des Pays-Bas ou du Sénat américain, a fortiori lorsque sont cooptés des fortes têtes à la De Meyer.

Les partis gardent la mainmise

Quant aux alternatives, personne n’y a jamais vraiment réfléchi. La volonté de contrôle particratique pèse encore trop lourd. Quoique. Il n’y a pas que des losers qui se font coopter au Sénat. On y trouve aussi de jeunes talents, comme le président du MR, Georges-Louis Bouchez. Surprise : son parti est l’un des seuls à encore entrevoir un rôle pour le Sénat : ce serait le forum par excellence qui pourrait interroger le Comité de concertation sur ses décisions. Un rôle sans doute intéressant aujourd’hui, mais demain ? Quoi qu’il en advienne, le Sénat ne signifiera plus grand-chose.

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