Il y a les Premiers ministres qui manquent tous les jours l’occasion de se taire, tel le Premier ministre hongrois Viktor Orban. Il y a aussi ceux qui loupent au quotidien l’occasion de s’exprimer, comme le Premier ministre belge Charles Michel. Au fil des jours, la crise des réfugiés gagne en urgence et divise les esprits dans notre pays, mais notre Premier ministre se cache derrière la stratégie politique du silence. Choisir c’est perdre. Tel semble être sa devise. S’il montre trop d’empathie envers les demandeurs d’asile, il se profilerait alors inutilement à gauche, où il a électoralement peu à gagner. S’il affiche trop d’enthousiasme envers l’approche de la N-VA, il se profilerait alors à droite, où il a électoralement peu à craindre. Et donc, il garde le silence. Il préfère chanter une mélodie de Clouseau pour l’émission ‘Jonas & Van Geel’ de VTM, et s’y faire donner une leçon de néerlandais par Bart De Wever, qui lui a expliqué la différence entre ‘zich terugtrekken’ et ‘zich aftrekken’ (ndlr: ayant chacun une signification très différente du verbe ‘se retirer’). Certes, un Premier ministre a le droit de paraître dans une émission de divertissement, mais serait-on aigri de se demander si le moment n’était pas malencontreux? Non, Charles Michel ne pouvait pas savoir que ce jour-là, un enfant de trois ans allait s’échouer sur la plage de Bodrum. Mais dans ce genre de moment, on aimerait bien savoir ce que le Premier ministre du pays en pense. Rien de spécial, apparemment.
La veille, Charles Michel s’était rendu dans le quartier juif d’Anvers. Coiffé d’une kippa, tout comme son vice-Premier ministre Jan Jambon, il a pu rassurer la communauté juive en lui annonçant que la sécurité de cette dernière serait désormais renforcée. La tolérance zéro est en vigueur pour tout acte antisémite, y a-t-il déclaré. Il a raison. La haine à l’égard des juifs est inadmissible. Mais qu’attend le Premier ministre pour annoncer à contre-courant une tolérance zéro pour la haine à l’égard des réfugiés? Qu’est-ce qui le retient, après une visite dans le quartier juif anversois, de se rendre aussi dans le quartier nord de Bruxelles? Tous les jours, de plus en plus de demandeurs d’asile y campent dans des conditions toujours plus nauséabondes. Le Premier ministre a-t-il peur d’être confronté à la mauvaise volonté ou à l’impuissance de son gouvernement de rester maître de l’afflux des réfugiés? Craint-il un effet d’entraînement s’il venait à caresser la tête d’un enfant syrien? Le parc situé en face de l’Office des étrangers est-il une « no go zone »? Ou est-ce au contraire un « must go » pour un Premier ministre qui prend son rôle d’homme d’Etat au sérieux?
Personne ne demande au Premier ministre de souhaiter la bienvenue aux réfugiés, comme cela se fait en Allemagne. Personne ne lui demande d’ouvrir grand les portes de notre pays et d’étreindre chaque migrant. La peur profondément implantée de voir de nouveaux musulmans arriver est compréhensible. Le Premier ministre n’a pas à le réfuter. La demande d’une contrepartie aux demandeurs d’asile n’est pas inhumaine. Le Premier ministre n’a pas à s’en distancier. Il ne doit pas non plus égaler la générosité d’Angela Merkel. Il n’a pas, pour ce faire, son autorité morale. Mais cela l’honorerait s’il plaidait pour le moins en faveur de la compassion, et s’il soulevait notre pays au-dessus du racisme répugnant qui affecte ces derniers jours les forums en ligne et les médias sociaux. Se retirer n’est pas une option.