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Pourquoi Bart De Wever fait-il de la politique ?
12·11·15

Pourquoi Bart De Wever fait-il de la politique ?

Temps de lecture : 7 minutes Crédit photo :

Crédit: Pixabay

Ludovic Pierard
Traducteur⸱trice Ludovic Pierard

Dans cette analyse politique, Tom Vandendriessche s’interroge sur les mystifications de l’empereur De Wever.

Le pouvoir politique

Un pouvoir politique peut s’exercer directement ou indirectement. Posséder un pouvoir politique direct signifie être investi de l’autorité formelle de gouverner, du pouvoir exécutif donc. Située dans le présent, cette puissance est en outre binaire : on dirige et on possède ce pouvoir, ou pas. Le pouvoir politique indirect, quant à lui, est plus complexe et se concentre principalement sur le législatif, l’interaction entre les acteurs politiques et la mobilisation de la société civile (groupes de pression, citoyens, etc.), tout en impliquant une approche essentiellement axée sur les perspectives d’avenir : qui sera en position de gouverner dans le futur ?

Plus les élections approchent, plus le pouvoir politique indirect devient concret, car c’est dans l’isoloir que les citoyens partagent en chiffres absolus le pouvoir entre leurs représentants politiques. Ce n’est qu’après les élections qu’on voit dans quelle mesure ces chiffres absolus peuvent se muer en un pouvoir relatif. Direct ou indirect.

La politique du pouvoir

Depuis la 2e guerre mondiale jusqu’au gouvernement arc-en-ciel Verhofstadt I (1999), le paysage politique flamand était caractérisé par la domination d’un parti de pouvoir chrétien-démocrate à même de décider qui dirigerait avec lui. Tour à tour, socialistes et libéraux se virent gratifier par les chrétiens-démocrates du privilège de partager le pouvoir avec eux.

La Volksunie fut le premier parti d’une génération de nouveaux (Agalev, Vlaams Blok, Rossem) à se ménager une place parmi les partis politiques traditionnels. À chaque fois, une certaine agitation sociale se traduisait pour eux en gains électoraux, et donc en pouvoir politique indirect. Toutefois, pour forcer des changements sociétaux ou politiques concrets, il est nécessaire de passer par la case du pouvoir politique direct.

La Volksunie

Le souhait d’Hugo Schiltz était d’entrer dans le concert des grands partis traditionnels pour concrétiser l’essence même du programme de son parti, à savoir la fédéralisation de la Belgique. La Volksunie n’ayant jamais dépassé le seuil des 15 % et ne disposant donc que d’un poids politique très limité, sa stratégie consista à augmenter sa force politique relative en faisant jouer avec une efficacité maximale son poids électoral à la table des négociations des diverses réformes de l’État. Personne ne peut nier que la Volksunie s’est révélée être un acteur essentiel de la fédéralisation de la Belgique, dans tous ses aspects positifs et négatifs, dont le prix que l’ensemble de la population flamande continue de payer pour cette évolution. Toutefois, on ne peut davantage contester le fait que des avancées stratégiques ont été enregistrées.

L’article 35 de la Constitution, par exemple, refait surface au gré des vagues communautaires et reste un des moyens de réformer définitivement la Belgique, voire de la supprimer si cela s’avère impossible. La Volksunie a casqué deux fois pour atteindre ce résultat : d’abord avec la naissance du Vlaams Blok (1991), puis, finalement, avec la disparition du parti (2001), lorsqu’il est apparu que l’essentiel de son programme avait été réalisé et que, de ce fait, d’autres lignes de rupture la divisaient. La Volksunie vola en éclats.

Plusieurs anciens présidents (Gabriëls, Vankrunkelsven, Borginon) se retrouvèrent au VLD, tandis que Bert Anciaux rejoignait finalement le sp.a et que d’autres intégraient le CD & V (Sauwens) ou Groen (Staes). Il ne subsista qu’un petit parti caractérisé par un flamingantisme dit « en culottes courtes ». Avec ses 4,91 %, la N-VA ne décrocha qu’un seul siège aux élections de 2004 et ce n’est que grâce à une alliance avec un CD & V en recul constant que ces deux perdants purent sauver les apparences en remportant une victoire conjointe.

Le Vlaams Blok/Belang

Né d’une sécession radicalement flamingante de la Volksunie, le Vlaams Blok, devenu aujourd’hui le Vlaams Belang, a très vite pris conscience des limites de son assise électorale. Ce n’est qu’après avoir concentré son discours sur des thèmes modernes de droite conservatrice épineux pour les partis traditionnels, comme l’immigration, la sécurité, la fiscalité et d’autres, que le VB put réaliser sa percée électorale de 1991. En s’appuyant sur le traumatisme causé par le fédéralisme à la Schiltz, le VB s’installa confortablement dans le pouvoir indirect de l’opposition : l’agitation sociale et la guérilla politique, avec pour résultat une série quasiment ininterrompue de victoires électorales, jusqu’à atteindre son meilleur score en 2004, soit 24,15 %. Cependant, ce parti ne fut à aucun moment de taille à acquérir un pouvoir politique direct, ni même de faire croire qu’il était prêt à l’exercer ou capable de le conquérir.

Dénuées du moindre objectif stratégique concret, les victoires tactiques remportées dans les urnes sont stériles, ce qui provoque tôt ou tard une certaine lassitude, aussi bien chez les électeurs que les cadres. La loi d’airain de l’oligarchie fit le reste.

La stratégie De Wever

La conclusion de l’analyse fondamentale réalisée par De Wever, qui a grandi avec un VB en progression constante, est que la stratégie électorale et politique de ce parti n’apporte rien. De son point de vue, les victoires électorales du VB neutralisaient l’électorat flamand (et de droite), comme le symbolisait parfaitement la situation à Anvers. Peu importe l’énorme poids acquis par le VB (35 %), cette victoire était la meilleure garantie d’offrir à chaque fois le mayorat à un socialiste.

La conquête de l’électorat du Vlaams Belang est donc une condition sine qua non pour obtenir un pouvoir politique direct. Par conséquent, De Wever abandonna la doctrine de la « Flandre contre le racisme » (Vlaanderen tegen racisme) de Geert Bourgeois et fit sonner les trompettes conservatrices pour convaincre les électeurs du VB de ses bonnes intentions.

Cette stratégie s’est révélée particulièrement fructueuse. Non seulement, la N-VA put accroître son poids politique absolu en sièges en formant un cartel avec le CD & V et en provoquant une crise institutionnelle de 500 jours, mais elle éveilla en outre l’intérêt des partisans du VB. En 2014, la N-VA récolta 32,5 % des voix, contre à peine 5,9 % pour le VB.

Quae mutatio rerum

Gagner les élections est une chose, atteindre un objectif stratégique pour acquérir un pouvoir politique en est une autre. Par conséquent, la N-VA a dû payer un prix qu’aucun autre parti n’accepterait : mettre au frigo les fondements mêmes de son programme qui, à la N-VA, restent jusqu’à nouvel ordre la constitution d’un État flamand. Et la N-VA a accepté de payer ce prix.

Nous ne devons pas attendre la moindre évolution en la matière jusqu’en 2019, après quoi il se peut tout aussi bien que la N-VA, même en conservant un énorme poids électoral, soit mise hors-jeu comme à la suite des élections de 2010 (ndlr : sic). Les promesses d’avenir sans garantie et les victoires symboliques (comme le rejet du PS dans l’opposition) ne rapportent rien au citoyen flamand, alors que les familles et la classe moyenne du Nord du pays sont touchées par les différentes mesures fiscales successives pendant que les transferts vers la Wallonie et les États d’Europe du Sud en faillite se poursuivent invariablement. La classe moyenne flamande travaille et paie. Avec ou sans le PS.

Avec un gouvernement de réformes financières et économiques, il serait pourtant possible de franchir une étape stratégique en réglant le problème de la dette de l’État belge, qui représente en effet un obstacle à l’autonomie flamande. Entre la sixième réforme de l’État (qui instaure des charges maximales contre des avantages minimaux pour les Régions) et les directives budgétaires européennes, la déconstruction de la dette fédérale et son transfert au niveau régional pourraient constituer un coup de maître d’un point de vue stratégique.

Mais inutile d’attendre un tel debt shift, car pas une seule étape ne sera franchie. Ni celle-là, ni aucune autre. La fameuse « force du changement », le « moteur du progrès », les helfies et autres campagnes de propagande onéreuses ne peuvent cacher la réalité, qui est que la N-VA n’enregistre pas la moindre avancée stratégique vers la constitution d’un État flamand, qu’elle ne touche pas au gouvernorat fiscal du super-État européen et qu’elle n’est rien de plus qu’un curateur du démantèlement de notre société civile politique, sociale et culturelle.

Au niveau idéologique, les résultats engrangés par la N-VA ne sont pas meilleurs, alors qu’on découvre aujourd’hui que la question des toilettes réservées aux transgenres est devenue une préoccupation du ministre N-VA compétent en la matière. En revanche, question éthique, c’est toujours l’arc-en-ciel de Verhofstadt qui hante le 16, rue de la Loi. Concernant la crise croissante de l’immigration, qui menace de déstabiliser les fondements de notre société, la N-VA est contrainte de se retrancher derrière des mesures limitées prises à la marge, une coopération européenne qui ne mène nulle part et une mauvaise volonté politique flirtant avec l’incompétence.

Alors que Schiltz, lui au moins, réalisait certains objectifs, on peut tout doucement commencer à se demander où se cache l’avancée stratégique que la N-VA aurait dû enregistrer au vu du prix élevé payé pour sa participation au gouvernement.

Le nouveau CVP est arrivé (ndlr : en français dans le texte)

Reste à savoir quels sont les objectifs stratégiques d’une N-VA qui légitime l’abandon de son propre programme. La démocratie chrétienne voit son influence de parti de pouvoir central s’effriter depuis déjà trois décennies. Vieillissante, la base électorale du CD & V est tout simplement en voie d’extinction.

La N-VA semble être sur le bon chemin pour reprendre cette position de parti de pouvoir dominant et central : elle renforce doucement son ancrage local, elle est de loin le plus grand parti en termes de voix et elle dirige les gouvernements flamand et fédéral. Les comportements, les actes et le contexte semblent démontrer que nous nous trouvons là face à une stratégie globale bien plus plausible. Le pouvoir pour le pouvoir.

Un facteur de réussite essentiel pour lui garantir ce rôle est de préserver son flanc droit, ce qui commence précisément par l’instrumentalisation d’une crise de l’immigration massive dont nous ne voyons encore que la pointe de l’iceberg. De Wever ne le sait que trop bien. Son attaque à l’encontre du président du VB, Tom Van Grieken, dans l’émission De Zevende Dag du 1er novembre 2015, fut éloquente. Accuser ce dernier de lancer une troisième guerre mondiale n’est pas une simple boutade, mais bien un non-sens ahurissant en contradiction complète avec tout ce à quoi De Wever doit sa crédibilité politique : la justesse de l’analyse et la sérénité de ses techniques de débat.

Il est évident que De Wever craint plus que tout que l’électeur de la N-VA ouvre les yeux sur l’inefficacité de sa stratégie officielle, vu qu’il a même cru bon de devoir reconfirmer le cordon sanitaire. Même si le VB venait à retrouver la lumière, De Wever ne le soutiendrait probablement pas. Il confirme ainsi un des mécanismes fondamentaux de la politique politicienne visant à diviser les citoyens flamands, et donc le pouvoir politique de Flandre. Un pouvoir qu’il avait pourtant lui-même coutume d’utiliser pour préserver le « précieux tissu » de la nation flamande, son kostbare weefsel (ndlr : comme s’intitule l’ouvrage où il aborde ce concept, inspiré d’Edmund Burke).

Enfin, De Wever s’attaqua même au charlatanisme politique ranci de Dewinter pour mieux leurrer l’électeur flamand. Tout faire pour diviser le pouvoir politique flamand. Bien étonné de se retrouver ensemble (ndlr : en français dans le texte). Les mystifications de l’empereur. Et il le sait.

Tom Vandendriessche est licencié en sciences politiques et chef d’entreprise.

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