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18·04·17

Soudan du Sud : la spirale de la violence s’enrayera-t-elle un jour ?

Temps de lecture : 9 minutes Crédit photo :

(c) Pixabay

Traducteur⸱trice Marie Gomrée

Au Soudan du Sud, la jeunesse n’a jamais connu la paix. Depuis des décennies, le pays est plongé dans la crise. Quand une nouvelle s’annonce prometteuse, elle finit par alimenter un énième conflit. Comment la république a-t-elle pu en arriver là ? Qui pourra enrayer la spirale de la violence ?

‘Monsieur le Président, le gouvernement sud-soudanais a déclaré devant ce conseil que 2017 serait l’année de la paix et de la prospérité. Hélas, c’est une prévision surréaliste pour un pays en proie à l’une des pires guerres de l’Afrique. Ces neuf derniers mois, nous avons été témoins d’une augmentation massive des violations des droits de l’homme et des combats dans la quasi-totalité du pays.’

Yasmin Sooka, présidente de la commission des Nations unies pour les droits de l’homme au Soudan du Sud, n’est pas d’humeur à enjoliver la situation quand elle prononce le 14 mars son discours devant le Conseil des droits de l’homme. Elle a la ferme intention que tous prennent conscience de ce qui se trame au Soudan du Sud.

‘Arrestations et détentions illégales, torture, viols et assassinats sont devenus la norme […]. Dans les bas-côtés gisent des cadavres ficelés. La faim sévit là où jadis la nourriture abondait. Des milliers d’enfants sont arrachés à leur mère – certains sont forcés de transporter des armes et de tuer. Une génération perdue de plus.’

Jamais en paix

Les jeunes sud-soudanais n’ont jamais connu la paix. Jusqu’en 2011, leur pays appartenait au Soudan, qui sombra rapidement dans une spirale de violence après son indépendance des colons anglo-égyptiens (en 1956). Durant les cinquante ans qui suivirent la proclamation de leur indépendance, les Soudanais s’affrontèrent dans deux guerres civiles sanglantes.

Lors de la guerre civile du Soudan, des groupes venus du Sud s’affrontaient déjà entre eux

‘Le prétexte de ces affrontements est parfois réduit à la “religion”, alors que les différends entre le nord musulman et le sud principalement catholique pesaient moins lourds que beaucoup ne le pensent’, certifie Luuk van de Vondervoort, membre du groupe d’experts sur le Soudan du Sud de l’ONU de 2015 à 2016. ‘Le conflit émanait d’une différence identitaire entre le riche centre arabe habité par une majorité de commerçants et le sud marginalisé peuplé d’éleveurs et d’agriculteurs noirs. Cela dit, les différents groupes venus du sud s’affrontaient aussi entre eux.’

Dans cette optique, l’opposition entre Riek Machar et John Garang fut un événement-clé. Les deux hommes font partie du plus vaste parti rebelle, l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA selon le sigle anglais). En 1991, Riek Machar monte un putsch contre John Garang et se sépare du mouvement – accompagné d’un groupe de soldats nuer. Les membres de cette unité causent alors un massacre à Bor, port d’attache de John Garang. La ville est peuplée de Dinka. L’incident déclenchera des batailles impitoyables et la fuite de milliers de personnes de la région.

Monopole

La signature de l’Accord de paix global (CPA) de 2005 marque la fin de la guerre civile entre le nord et le sud du pays. Le Soudan du Sud courtise son indépendance. Le CPA a prévu une période transitoire de six mois, à la suite de laquelle un référendum est organisé. Les Sud-soudanais s’expriment pour ou contre l’indépendance.

L’accord de paix a semé les germes du conflit

Une étude de l’Union africaine démontrera plus tard que le CPA renfermait déjà les germes d’un conflit au Soudan du Sud. En mettant l’accent sur une solution au conflit nord-sud, il délaissait d’autres problématiques comme la discrimination interne.

De plus, la négociation et la conclusion de l’accord reviennent aux deux principales parties au conflit, le NCP pour le nord et le SPLA/M pour le sud. La période de transition et la constitution provisoire raffermiront le monopole de ces grands partis dans l’élaboration ultérieure de la législation et de la politique.

Quand le Soudan du Sud voit le jour en 2011 – à la suite d’un référendum décisif – l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA) en prend les rênes. Salva Kiir obtient la présidence et le poste de vice-président revient à Riek Machar. Luuk van de Vondervoort : ‘Tous nourrissaient l’espoir que la SPLA opte pour une politique d’inclusion. Une politique qui soit capable de surmonter les différences ethniques et autres, qui puisse rassembler tous les Sud-soudanais. Il n’en fut rien.’

Dispute ethnique

Quand au début de juillet 2013, Riek Machar fait part de son intention de se présenter à la présidence en 2015, tout part à la dérive. Salva Kiir ne se contente pas de destituer son vice-président, mais renvoie presque tout son cabinet avec lui. Riek Machar réagit en taxant son président de dirigeant dictatorial. Salva Kiir rappelle à son tour à tous comment s’est soldée la précédente rupture avec Riek Machar (en 1991). Il affirme haut et fort qu’il n’acceptera pas que l’histoire se répète. Le conflit qui oppose les deux hommes est une question de pouvoir et d’argent, mais ils la présentent comme une dispute ethnique.

Dans la nuit du 15 au 16 décembre 2013, des coups de feu retentissent à Juba, la capitale. Le lendemain, Salva Kiir revêt son uniforme de l’armée pour s’adresser à la presse rassemblée devant lui. Il déclare qu’un groupe de soldats répondant aux ordres de Riek Machar a organisé un coup d’État – un argument que l’Union africaine démontera par la suite. Salva Kiir rassure tout de suite sa population : ses hommes maîtrisent la situation.

L’ONU ferme les yeux sur les “erreurs de débutant”

Le temps prouvera le contraire. Deux semaines ne se sont pas encore écoulées depuis le coup déjoué que les médias du monde entier dénoncent les viols, les massacres et l’imminence d’une guerre civile. Les partisans de Riek Machar et de Salva Kiir enrôlent des civils dans leur stratégie militaire, violant toutes les normes du droit humanitaire international.

‘Des civils sont assassinés, mutilés, torturés et brûlés vifs dans leur propre maison. Des citoyens sont violés et mis au ban. Des enfants sont recrutés’, relate un groupe d’experts de l’ONU de retour d’une mission sur place, en décembre 2013. Personne ne semble décidé à réagir.

‘Les 2,5 premières années de son mandat, la direction de la MINUSS (Mission des Nations unies au Soudan du Sud) ferme les yeux, sous prétexte que le Soudan du Sud est encore un jeune État, qu’il a besoin de temps pour apprendre’, témoigne un ancien collaborateur. ‘Mais comment peut-on montrer la voie à suivre à un État qui ne respecte ni sa constitution, ni les droits de l’homme ?’

D’accord, mais…

Selon la devise “des solutions africaines aux problèmes africains”, la médiation est d’abord cherchée dans la région, par l’intermédiaire de l’Autorité intergouvernementale pour le développement d’Afrique de l’Est (IGAD). Après la rupture de plusieurs cessez-le-feu et des mois durant lesquels les négociations sans cesse abandonnées et reprises, un accord de paix est finalement conclu à la mi-août 2015.

Luuk van de Vondervoort : ‘L’accord comprenait des points d’action valides, comme la création d’une cour hybride (N.D.L.R. un tribunal pouvant juger les crimes de guerres en vertu des droits soudanais et international combinés) et une meilleure gestion des revenus liés au pétrole. Mais les parties du conflit s’intéressaient davantage à la répartition du pouvoir.’

L’accord plaide pour un gouvernement de transition d’union nationale, avec Salva Kiir (SPLM) à la présidence et Riek Machar (SPLM – In Opposition) à la vice-présidence. L’opposition signe l’accord, tout comme Salva Kiir. Ce dernier exprime toutefois ses réserves dans un addendum personnel. Un accord avec un “mais”. Pour découvrir ses implications concrètes, il faudra attendre.

Le Soudan du Sud n’intéresse personne

Les mois suivants, le pays connaît une accalmie. Soudain, Nikolas Christof, du New York Times, s’interroge tout haut : ‘Le Soudan du Sud aurait-il autant de morts de civils que la Syrie?’ À l’en croire, ce serait effectivement le cas. Mais il y a un hic : personne ne s’intéresse au Soudan du Sud. Le pays est pour ainsi dire absent des médias mondiaux et le dernier appel à l’aide humanitaire n’a récolté que 3 % de la somme demandée. Nikolas Christof conclut son billet d’opinion sur une citation éloquente : ‘C’est là l’une des plus horribles situations des droits de l’homme au monde … mais elle échappe plus ou moins au radar de la communauté internationale.’

Le pays réapparait sur la carte du monde lorsque Salva Kiir accueille son ennemi juré Riek Machar comme un “frère” et le nomme au poste de vice-président. Dans un discours formel, Salva Kiir promet qu’à l’avenir, il résoudra les différends à l’amiable. Il déclare que l’heure est venue de construire ensemble l’avenir du Soudan du Sud. Pourtant, moins de trois mois après ces déclarations, les bonnes résolutions s’effondrent. Riek Machar accuse Salva Kiir d’avoir intenté à sa vie et prend la fuite. Pendant ce temps, la violence s’enflamme de plus belle – mais s’était-elle seulement éteinte ?

Mais que (ne) fait (pas) la MINUSS ?

Depuis l’indépendance, la MINUSS, une mission de l’ONU, est présente au Soudan du Sud. Son premier objectif est “positif” : elle doit aider le plus jeune État du monde à renforcer ses capacités. Mais en décembre 2013, son mandat change. Désormais, la protection physique des civils occupera la première place.

Malgré cela, les Casques bleus ne parviennent toujours pas à protéger les citoyens, sous leur supervision ou installés non loin de là, de la violence (sexuelle) et des pillages. Le monde entier est secoué à l’annonce de la prise du complexe hôtelier Terrain par des troupes du gouvernement sud-soudanais, à moins de deux kilomètres de la base des soldats de l’ONU. Des travailleurs humanitaires étrangers, des locaux et des membres du personnel de l’ONU y sont battus, violés, suppliciés quatre heures durant. On déplore également des morts. Une enquête spéciale révèle que les chaînes de commandement et la coordination de la mission se sont dégradées.

MINUSS doit maintenir une paix qui n’existe pas

‘La MINUSS a ses défauts’, reconnaît un ancien employé. ‘De récents rapports démontrent que nous sommes en mesure de protéger les civils quand ils viennent à nous.’ La compétence de la MINUSS dépend grandement de la qualité des moyens qu’elle reçoit des États membres.

Autre problème : la MINUSS doit maintenir la paix. Or, depuis la chute du gouvernement en 2013, le Soudan du Sud n’est plus en paix. Le gouvernement et ses opposants s’affrontent dans une guerre visant tout le monde et n’épargnant personne.

À la fin du mois de mars, Nikki Haley, fraîchement nommée ambassadrice des États-Unis à l’ONU, argumentait en faveur d’une réduction des effectifs en République démocratique du Congo. Le régime “corrompu” de Kabila ne mériterait pas le soutien de l’ONU. Est-ce également le cas pour le Soudan du Sud ? Que faire quand on ne peut plus contribuer à la paix ? ‘Qu’adviendra-t-il si la MINUSS quitte le pays ?’ rétorque l’ancien employé. ‘Qu’adviendra-t-il alors des centaines de milliers de civils que la MINUSS tente de protéger dans ses bases ?’

1,4 milliard d’euros d’aide humanitaire

Avec ses 137 partenaires, le Bureau pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) de l’ONU a élaboré un humanitair response plan pour le Soudan du Sud. Leur plan prévoit qu’il faudra 1,6 milliard de dollars (1,4 milliards d’euros) en 2017 pour subvenir aux besoins vitaux de la population.

Il reste difficile de déterminer si cette aide est efficace dans la durée. Selon Daniel van Oudenaren, journaliste chez IRIN (Réseaux d’information régionaux intégrés), elle ne serait pas neutre; autrement dit, elle profiterait à certains groupes actifs dans le pays. Le journaliste insiste cependant sur le fait que cela n’enlève rien à la valeur des travailleurs humanitaires sur place. ‘Ils maintiennent les Sud-soudanais en vie, dans l’une des régions les plus barbares au monde.’

Comment sauver un pays où la classe politique est partie au conflit, où les affrontements ethniques menacent d’aboutir à un génocide, où 1,9 million de civils sont exilés et 1,6 millions en fuite, où les droits de l’homme sont bafoués, où la famine fait rage, où les caisses de l’État sont dans le rouge ?

Dialogue national

En décembre dernier, Salva Kiir a mis sur la table une proposition d’un dialogue national. Grâce à l’organisation de conférences nationales, il souhaite impliquer l’ensemble de la population sud-soudanaise. Le dialogue devrait en finir avec la violence et apporter la réconciliation comme la paix. Il devrait également favoriser le développement inclusif et le rétablissement de l’économie.

En marge d’un sommet de l’IGAD qui s’est tenu fin mars, le président a réitéré sa promesse, ajoutant qu’il déclarerait le cessez-le-feu. Après ces belles paroles, il n’y a plus qu’à attendre, une fois de plus. Jonathan Pednault (HRW) prévient déjà : ‘Dans certaines régions, la supériorité militaire revient au gouvernement, en partie parce qu’elle vise activement les populations civiles. Les pouvoirs publics n’ont dès lors que peu de raison de modifier leur stratégie, qu’ils considèrent comme payante.’

Au Soudan du Sud, les sombres histoires deviennent la “norme”

‘Entre-temps, la communauté internationale a révélé toutes sortes d’atrocités, mais les principaux coupables savent pertinemment que l’ONU et ses membres sont impuissants pour les punir. Nous nous sommes habitués aux récits de violations des droits de l’homme au Soudan du Sud, voilà déjà une explication partielle de cette impunité. La violence n’est plus poursuivie. Nous devons lutter contre cette impression de normalité et contre l’envie de hausser les épaules en soupirant : “encore une sombre histoire au Soudan du Sud”.’

Rôle des acteurs régionaux

‘Aujourd’hui, le processus politique est quasi à l’arrêt,’ confirme Luuk van de Vondervoort, ‘il faut le relancer au plus vite. Les acteurs régionaux, l’IGAD, jouent là un rôle crucial, car pour le Soudan du Sud, les relations avec ses voisins sont très importantes.’

Les pays limitrophes doivent à nouveau s’exprimer d’une seule et même voix

Au vu de la position affirmée du gouvernement, les pays limitrophes considèrent Salva Kiir comme le chef de la nation ; c’est avec lui qu’ils traitent de façon bilatérale, suivant leur propre agenda.

Par exemple, une résolution du conflit serait intéressante pour l’Ouganda et le Kenya, qui reçoivent des flux croissants de réfugiés. Toutefois, d’autres éléments entrent en ligne de compte : des vengeances personnelles – comme entre Yoweri Museveni et Riek Machar – ou des intérêts économiques – comme la gestion du Nil, pour l’Éthiopie, l’Ouganda et le Kenya.

Luuk van de Vondervoort estime que les membres de l’IGAD doivent à nouveau interpeller d’une seule et même voix le Soudan du Sud et la communauté internationale. ‘Il y a tant de crises à l’heure actuelle – en Syrie, au Yémen … – que les acteurs régionaux doivent à la fois s’assurer que ce conflit-ci reste à l’ordre du jour et entreprendre les prochaines étapes. Car, honnêtement, l’Occident se soucie peu du Soudan du Sud. Les donateurs, dont font partie l’ONU, les USA et l’UE, pourraient se servir de leurs aides pour faire pression et inciter les parties au conflit à renouer le dialogue.’

Une approche “sensée”

Il poursuit en affirmant que le maintien du dialogue, tant avec le gouvernement qu’avec l’opposition, est primordiale. Mais qu’il doti avoir lieu d’une manière “sensée”. ‘Chacune des parties au conflit est composée de plusieurs individus aux motivations personnelles différentes. Certains poursuivent leur enrichissement et le pouvoir, d’autres agissent par idéologie. Tous ne veulent pas pour autant atteindre leur but par le conflit armé.’

‘Les partisans d’un dialogue sont aujourd’hui invisibles. Il faudra d’une part les détecter et les mettre en contact avec la société civile pour qu’ils puissent se raffermir, et d’autre part fragiliser les acteurs centraux du conflit armé au moyen de sanctions précises, réellement efficaces. Je pense notamment à des mesures individuelles contre ceux qui voyagent beaucoup dans la région et/ou possèdent un compte en banque bien fourni.’

La politique de réconciliation n’a plus sa place

‘En parallèle, la communauté internationale doit signifier clairement aux États de la région qu’ils sont responsables de la détérioration de la situation. Qui soutient qui ? Qui se tient à l’écart ? Dans ces affaires-là, la symbolique est essentielle.’

Le 14 mars, Yasmin Sooka appelait elle aussi à l’action concrète, dont la création d’une cour hybride et des poursuites judiciaires nécessaires. Selon elle, il n’y a plus de place pour les concessions, pour une politique de la réconciliation. ‘Car celle-ci nous rend complices de la boucherie’, conclut-elle.

 

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