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Pourquoi l’extrême droite ne perce-t-elle pas en Wallonie?
01·11·21

Pourquoi l’extrême droite ne perce-t-elle pas en Wallonie?

Un nouveau mouvement d’extrême droite a été lancé jeudi dernier en Belgique francophone, en présence de Tom Van Grieken, le président du Vlaams Belang. Son nom : Chez nous. A-t-il davantage de chances de réussite que toutes les tentatives qui l’ont précédé?

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

Alex Vasey

Maxime Kinique
Traducteur Maxime Kinique

Quelques dizaines de kilomètres à peine séparent Hénin-Beaumont, le fief de Marine Le Pen, de la province de Hainaut. Dans cette bourgade du Nord de la France, le Rassemblement National (ex-Front National) s’est adjugé 74 pour cent des voix lors des élections communales de 2020. De l’autre côté de la frontière, en Wallonie, la situation est tout autre, avec une droite extrême qui ne connaît que l’enlisement depuis de nombreuses années.

Le contexte sociologique est pourtant globalement le même de part et d’autre de la frontière, avec une paupérisation de la classe ouvrière conjuguée à une forte immigration. Jeudi dernier, avec le lancement du parti Chez Nous, c’est une énième tentative de sortir l’extrême droite de sa torpeur wallonne qui a été entreprise. L’événement a été rehaussé de la présence du président du Vlaams Belang Tom Van Grieken et de Jordan Bardella, le jeune président du Rassemblement National, qui ont tous deux pris la parole. Le contexte est sans aucune doute propice à l’avènement d’un parti d’extrême droite, affirme Léonie de Jonge, politologue à la Rijksuniversiteit Groningen. Dans sa thèse, elle s’est penchée sur la question de savoir pourquoi la droite radicale ne perce pas en Wallonie. « Des enquêtes révèlent que le Wallon nourrit même des sentiments un peu plus négatifs que le Flamand vis-à-vis des étrangers, mais cela ne se reflète pas dans les urnes. »

Le contexte sociologique est pourtant globalement le même de part et d’autre de la frontière, avec une paupérisation de la classe ouvrière conjuguée à une forte immigration.

Des facteurs multiples

L’universitaire y voit plusieurs explications. En Belgique francophone, la droite extrême n’a jamais pu compter sur un leader du calibre de Filip Dewinter, Marine Le Pen ou Pim Fortuyn pour la conduire vers les succès électoraux. Dans les années nonante, le Front National belge a décroché deux sièges à la Chambre sans jamais pouvoir s’appuyer sur une structure de parti digne de ce nom, et encore moins sur des leaders charismatiques. Vers la moitié des années 2000, il était encore crédité de quelque 8 pour cent d’intentions de vote, avant de s’effondrer, miné par des querelles internes.

En 2010 comme en 2014, le Parti Populaire de Mischaël Modrikamen, un avocat qui s’est fait connaître dans le dossier Fortis, n’a pu envoyer qu’un seul élu à la Chambre avec son discours d’ultradroite. Laurent Louis s’est surtout fait remarquer par ses interventions saugrenues, aux relents xénophobes, et Aldo Carcaci a joué au député fantôme.

Pourtant, cette faiblesse du personnel politique ne suffit pas à expliquer les mauvais résultats de l’extrême droite au sud du pays, estime De Jonge. « Modrikamen ne manquait ni d’éloquence, ni encore moins de moyens financiers, et il avait un réseau de contacts internationaux », souligne-t-elle. « Il entretenait de bonnes relations avec Steve Bannon, l’ex-conseiller de Donald Trump. Il avait son propre canal YouTube et s’est montré très actif sur les réseaux sociaux à l’approche des élections de 2019. » Mais tandis que le Vlaams Belang faisait un retour fracassant sur le devant de la scène, le Parti Populaire allait connaître une déconvenue qui allait sonner son glas.

En Belgique francophone, la droite extrême n’a jamais pu compter sur un leader du calibre de Filip Dewinter, Marine Le Pen ou Pim Fortuyn pour la conduire vers les succès électoraux.

La grande différence réside dans le fait que cordon médiatique est respecté de manière très stricte en Belgique francophone, où il est absolument exclu qu’un politicien d’extrême droite soit interviewé. Même Alain Destexhe qui, en Flandre, ne passe pas pour un radical pur et dur, est devenu infréquentable aux yeux des médias francophones en 2019. Destexhe a quitté le MR pour lancer les Listes Destexhe dans l’optique de combler le vide à droite. « Son discours est trop proche des idées d’extrême droite », a estimé Le Soir. S’il n’est pas légitimé par les médias traditionnels, personne ne peut véritablement « décoller », estime De Jonge.

Vives réactions d’opposition

Le fait est, également, qu’au sud du pays, les forces politiques traditionnelles ne laissent pas beaucoup de place. Alors qu’en France, en Flandre et aux Pays-Bas, nombre d’ouvriers ont quitté les rangs sociaux-démocrates pour céder aux sirènes de l’extrême droite, le PS a conservé ses positions en Wallonie. Mais à présent que le parti perd tout de même un peu de terrain, on observe une montée en puissance du PTB. De l’extrême gauche, donc. Conséquence : le thème de l’immigration a beaucoup de mal à s’imposer à l’agenda politique.

Le lancement de Chez Nous a suscité de vives réactions d’opposition. Il y a deux semaines, la FGTB, le syndicat socialiste, a adressé une lettre à tous les bourgmestres wallons afin de leur demander d’interdire le meeting. Le lieu de ce dernier a été tenu secret jusqu’au dernier moment, pour des raisons de sécurité. Tant les syndicats que le Front Antifasciste 2.0 liégeois ont déjà annoncé qu’ils allaient manifester contre Chez Nous.

Les deux initiateurs du nouveau parti, Jérôme Munier et Gregory Vanden Bruel, ont un passé au Parti Populaire et peuvent compter sur le soutien de Patricia Potigny, une ex-députée MR au Parlement wallon qui a également transité par les Listes Destexhe. « Nous n’avons pas encore de structure », explique Munier par téléphone. Vanden Bruel et lui n’ont commencé à se montrer actifs que début juin, principalement à travers des vidéos et des pancartes sur Facebook, et ne comptent guère plus de 900 sympathisants.

Le lieu du lancement a été tenu secret jusqu’au dernier moment, pour des raisons de sécurité.

Soutien du Belang et du RN

Vu ce contexte, il est étonnant que des Van Grieken et Bardella aient voulu associer leur nom à cette initiative. Qui plus est, le Belang n’a jamais caché son aversion pour l’attachement à la Belgique du FN et le député européen Gerolf Annemans traitait encore Modrikamen de charlatan en 2018. « Nous appuyions déjà des initiatives en France, aux Pays-Bas ou en Italie et c’est à présent à nos amis wallons que nous voulons témoigner notre soutien », déclare à présent Van Grieken. Qui assure cependant, tout comme Munier, que cette collaboration n’ira pas plus loin que cet acte de présence lors du meeting de lancement de Chez Nous.

Bien que bruxellois, les deux fondateurs du parti évoquent explicitement un projet wallon. « Il y a déjà assez d’initiatives politiques dans notre capitale », dit Munier. Les fondateurs de Chez Nous évitent ainsi de marcher sur les plates-bandes du Vlaams Belang, qui continue de caresser l’ambition secrète de devenir le plus grand parti flamand à Bruxelles.

Pour Chez Nous, la présence de ces deux figures de proue de l’extrême droite lors de son meeting de lancement est surtout un moyen d’attirer l’attention des médias. Et d’obtenir enfin une certaine légitimité ? « Aux yeux de la classe politique et des médias traditionnels, la présence de ces deux personnalités produira exactement l’effet inverse », conclut De Jonge.

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