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Le dilemme de Podemos
20·05·15

Le dilemme de Podemos

Temps de lecture : 5 minutes
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Traducteur⸱trice DaarDaar

A une semaine des élections locales et régionales en Espagne, Podemos, le nouveau parti politique et espoir de nombreux électeurs, est confronté à une nouvelle surprenante concernant un de ses membres éminents.

Juan Carlos Monedero, une des figures de proue et fondateur du parti, quitte la direction de celui-ci, estimant que le parti a changé par rapport à ce qu’il était à sa création. Ceux qui observent depuis des mois avec attention (et inquiétude) l’impressionnante montée en puissance de Podemos ne cachent pas leur satisfaction. « C’est la fin de la montée de Podemos », disent certains. De Morgen a même utilisé le terme «fratricide». Le départ de Monedero est-il donc si dramatique pour le parti ? Aurait-il d’autres motifs que celui avancé ?

L’argent de Monedero

Selon la version officielle du parti, Monedero poursuivrait néanmoins sa collaboration mais en retrait, et non plus comme figure publique du parti. Il se pourrait que les raisons de son départ aillent au-delà des changements qui se seraient produits chez Podemos.

Au début de cette année, il a été mis en cause pour avoir reçu un montant de 425.150 euros en paiement d’un travail qu’il a exécuté pour différents gouvernements d’Amérique latine. Il n’a jamais précisé le contenu réel de ces activités invoquant le fait qu’elles avaient un caractère « très sensible » et qu’elles concernaient tout un continent. Cet homme politique de Podemos aurait notamment contribué à des recherches autour de la possible création d’une monnaie commune dans cette région du monde.

Monedero a tenu à prouver publiquement son innocence et à réfuter ces accusations.

Il a également déclaré que le gouvernement espagnol actuel du Premier ministre Rajoy mettait tout en œuvre pour le discréditer, ce qui est certainement plausible, tant le Parti Populaire au pouvoir craint Podemos. Et il n’est pas le seul. Les socialistes partagent cette crainte et même le parti de gauche Izquierda Unida n’est pas parvenu au cours de ces derniers mois à tirer les leçons du succès de Podemos. Ce parti n’a pas non plus ménagé ses efforts pour traîner dans la boue le nouveau venu sur la scène politique. Le dirigeant de Podemos, Pablo Iglesias, a déclaré être très peiné par la décision du numéro trois de son parti de se mettre en retrait. « C’est formidable d’avoir pu parcourir ce bout de chemin avec Monedero ». « Je suis fier et honoré d’avoir un tel ami et collègue », a-t-il ajouté. L’électeur doit se contenter de cette déclaration. Mais peut-être Iglesias attendait-il davantage de son « ami ».

Monedero a été personnellement très affecté par les soupçons et les mensonges qui ont été répandus à son sujet. C’est seulement maintenant que Monedero se rend compte que le microcosme rassurant du campus de l’université de Complutense est bien différent de la dure réalité de la jungle politique. Il n’était manifestement pas préparé aux « sales » petits jeux politiques et aux viles attaques de la presse. C’était manifestement trop pour lui. Comme Juan Manuel Sánchez Gordillo, le bourgmestre engagé de Marinaleda (un village andalou) m’a dit autrefois: “Il n’est pas facile de mettre en pratique ses idées révolutionnaires. Il faut être prêt à encaisser les coups, car cela arrivera tôt ou tard. C’est alors seulement qu’on mesure ce qu’il reste de son engagement ». 

Mouvement ou parti ?

Il serait exagéré de prétendre que le départ de Monedero suscite une crise insurmontable pour le parti. Cet événement montre cependant qu’il existe divers courants au sein de Podemos et que ce parti doit faire des choix stratégiques importants. Monedero dit lui-même qu’il existe deux courants de pensée chez Podemos. Le premier est représenté par ceux qui – comme Monedero lui-même – ont participé de près à la naissance du mouvement du 15 mai à la Puerta del Sol de Madrid. Selon Monedero, ce mouvement mène une politique fondée sur les faits, à la différence des autres, qui intellectualisent le mouvement ou mesurent l’importance du mouvement du 15 mai d’après les sondages. Monedero met en garde Podemos contre le risque de perdre le contact avec la base. Il estime que Podemos ne doit pas simplement devenir un parti et considère qu’en ce moment, il s’écarte trop des principes fondamentaux du mouvement.

Et c’est là que se situe la différence avec Pablo Iglesias, qui veut gagner les élections coûte que coûte pour forcer le changement. Mais, cela ne sera pas possible sans le centre. De plus, il sait que, depuis peu, Podemos doit tenir compte d’un « pirate » inattendu, désireux de conquérir ce centre. Alors qu’il y a quelques mois, Podemos parvenait sans peine à séduire des électeurs de cette tendance, le parti doit à présent tenir compte de Ciudadanos, un nouveau rival de centre-droit, qui change à nouveau le paysage politique. Cuidadanos veut, lui aussi, mettre définitivement fin au système traditionnel de domination de deux partis politiques et propose une nouvelle ère de transparence et de politique sans corruption. Ce parti a également à sa tête un jeune dirigeant charismatique, Albert Rivera, qui promet de créer des milliers d’emplois. 

Peur

À l’instar du Parti Populaire au pouvoir, Ciudadanos surfe sur la peur des Espagnols face à un avenir incertain. Les contacts que la direction de Podemos entretient avec le Venezuela suscitent auprès de nombreux Espagnols en proie au doute la crainte de voir surgir à l’avenir des situations de chaos.

Je suis régulièrement témoin de cette peur, présente chez nombre d’Espagnols. J’habite dans un quartier peuplé d’électeurs de la classe moyenne qui jusqu’à présent votaient principalement pour le Parti Populaire. En partie sous l’influence de la presse conservatrice, qui, depuis des mois, soit mène une campagne calomnieuse contre Podemos, soit ignore son existence, nombreux sont ceux qui sont convaincus que les changements proposés par Pablo Iglesias sont trop radicaux.

Rayons vides

La supérette du quartier sera bientôt reprise par un groupe allemand. En raison de la modification prochaine du système de distribution, certains rayons ne sont plus réapprovisionnés depuis quelques semaines. Lorsque j’ai fait ironiquement remarquer au propriétaire que son établissement faisait penser à un magasin d’État de la période soviétique, il m’a répondu d’un air sombre : « Si queue de cheval (Pablo Iglesias) et ses amis arrivent au pouvoir, les supermarchés vides deviendront bien vite quelque chose de tout à fait courant ». Quelques jours auparavant, j’ai demandé à une voisine si, lors des élections locales et régionales du 24 mai, elle envisageait de voter pour Podemos et si elle ne souhaitait pas le changement. Elle a lâché sans hésitation : « Plutôt mourir ». Et d’ajouter : « Vous savez, si ces gens de Podemos arrivent au pouvoir, nous perdrons notre résidence de vacances à la mer. Car ils vont nationaliser les maisons de vacances pour pouvoir y loger des familles pauvres ».

Et maintenant?

Convaincre cette catégorie d’électeurs potentiels est une mission impossible. Il n’empêche que Podemos doit faire un choix. Il peut certes poursuivre sa stratégie de conquête du centre de l’échiquier politique. Mais, dans ce cas, on risque – et c’est ce que montre le départ de Monedero – d’assister à une rupture idéologique avec sa base de gauche et au départ d’autres figures de proue du parti. En outre, les efforts de séduction du centre sont peut-être devenus inutiles, car Cuidadanos est précisément en passe de séduire cette partie de l’électorat. Cet objectif est d’ailleurs bien plus facile à atteindre pour Ciudadanos de par sa nature même de parti centriste, qui ne doit convaincre personne quant à ses origines.

Podemos devrait donc peut-être se concentrer sur la gauche et en finir avec le PSOE et Izquierda Unida. Mais cela ne suffira pas pour infliger une défaite cuisante au Parti Populaire. Car Pablo Iglesias est bien clair sur un point : il ne veut pas se contenter d’un beau résultat électoral mais triompher. Iglesias n’a pas envie de devenir le chef d’un parti d’opposition. Si les résultats électoraux ne sont pas bons cette année, il n’est pas exclu qu’il soit le dirigeant suivant à partir. Ce départ-ci pourrait bien signifier la fin de Podemos.

en V.O. sur le site de DeWereldMorgen.be www.dewereldmorgen.be/artikel/2015/05/18/het-dilemma-van-podemos 

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