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Le bon Flamand est en fait un bon Belge
27·05·21

Le bon Flamand est en fait un bon Belge

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

(cc) Pixabay

Marc Reynebeau
Auteur⸱e
Dominique Jonkers
Traducteur Dominique Jonkers

Les Flamands, dit-on, auraient un problème : alors qu’ils votent à droite, on les affuble d’un gouvernement fédéral de centre-gauche. Est-ce bien exact ? Selon une récente étude internationale sur les valeurs idéologiques (World Values Survey), la Belgique serait fermement ancrée dans le quadrant gauche-libéral. Si la moyenne belge penche à ce point vers le progressisme, serait-ce uniquement en raison d’un positionnement à l’ultragauche de sa composante francophone ? D’après De Stemming, l’enquête politique commandée par le Standaard et la VRT, la réponse est non.

L’enquête établit en effet que la réflexion politique du Flamand moyen est loin d’être très orientée à droite ; au contraire, l’électeur flamand serait franchement centriste, et même clairement de centre-gauche sur le plan socio-économique (voir De Standaard du 23 mai dernier). 

Le parti le plus proche de la moyenne flamande est le CD&V

Deuxième constatation : sur le plan idéologique, de nombreux partis flamands s’écartent loin, voire très loin de leur électeur moyen. La N-VA et l’Open VLD, par exemple, se profilent nettement plus à droite que leurs électeurs. Dans les instances dirigeantes des partis, les opinions les plus sonores sont les opinions radicales. Le parti le plus proche de la moyenne flamande est le CD&V ; celui-là même qui (allons au bout du paradoxe) s’étiole sur le plan électoral. L’ironie de la chose, c’est que si les principaux partis flamands sont bien absents du gouvernement fédéral, la coalition Vivaldi s’accorde mieux au courant idéologique sous-jacent flamand que l’actuel gouvernement de droite au pouvoir en Flandre.

Les partis susciteraient-ils des attentes trop élevées ? Se laisseraient-ils aveugler par des chimères radicales ou par la pensée magique ? Serait-ce là l’origine du fameux « fossé séparant le citoyen et le politique » et de l’insatisfaction relative au fonctionnement du monde politique que souligne encore l’enquête « De Stemming » ? L’électeur s’intéresse-t-il trop peu aux programmes des partis ? Est-ce pour cela qu’il vote « de travers » ? Ou se contenterait-il d’y « picorer » les éléments qui l’intéressent ? Anticipe-t-il sur les compromis inhérents à toute démocratie ? Ou ne sera-t-il satisfait que si les politiques menées coïncident parfaitement avec ses préférences personnelles ?

Eclairer les problèmes sous un angle communautaire

Nos politiques feraient bien d’y réfléchir à deux fois avant de s’exprimer au nom de l’électeur moyen, ne serait-ce que pour ne pas se bercer d’illusions. C’est également vrai sur le plan communautaire, surtout maintenant que les deux partis nationalistes flamands (Vlaams Belang et N-VA) totalisent quelque 46 % des intentions de vote. Ils font évidemment tout pour éclairer les problèmes politiques, quels qu’ils soient, sous un angle communautaire. D’autant plus que transformer chaque point de friction en litige flamand-wallon les arrange bien : cela leur évite de devoir commenter la dimension idéologique de la politique sociale ou fiscale, par exemple.

Tant qu’à ignorer l’idéologie, la N-VA n’aura guère de scrupules, en 2024, pour gommer le mur de Chine qui la sépare de l’extrême droite, voire à s’associer au Vlaams Belang pour imposer le séparatisme. Avec peut-être la participation d’un CD&V qui sera redevenu bancal.

Là aussi, on constate un large fossé entre le citoyen et le monde politique. Nos politiques, comme leur entourage médiatique et universitaire, semblent claquemurés dans leur bulle de la Rue de la Loi. Ils souffrent par conséquent d’œillères qui les coupent des réalités du quotidien, au point de risquer de dérailler en superstition politique. Dès qu’on évoque des doutes sur l’organisation des pouvoirs publics, la tentation est grande de les traduire sur le plan communautaire. C’est d’ailleurs ce qui arrive quand les répondants à l’étude De Stemming placent la « structure de l’État » au troisième rang des principaux points de friction actuels. Les universitaires de la VUB attribuent à cet avis une interprétation exclusivement communautaire. Il y a bien des raisons pour juger boiteuse la structure de l’État : inefficacité, sous-financement, bureaucratie, excès de réglementation, complexité, inégalité sociale systémique, etc.

La réforme de l’Etat loin des préoccupations des Flamands

Or justement, quand les répondants donnent leur avis sur la réforme de l’État — expression courante dans le débat communautaire — celle-ci retombe à la 13e place, et 7 % des Flamands à peine estiment qu’il s’agit d’une priorité. Les œillères n’en tombent pas pour autant. Sur son site d’information, la VRT se posait la question suivante : « Le Flamand est-il flamingant ? Veut-il au contraire davantage de Belgique ? » Cette formulation est biaisée — et c’est peut-être involontaire. Après tout, l’incapacité à détecter des préjugés est justement caractéristique d’une vision étroite des choses. Ici, le biais est bien un biais nationaliste flamand, car contrairement à ce que pensent les nationalistes, le « flamingantisme » (expression bizarre, d’ailleurs) n’est absolument pas incompatible avec la citoyenneté belge.

Dans De Stemming, la tendance est claire : en Flandre, une majorité des répondants veut accroître les pouvoirs du fédéral ; 30 % de la population estiment même indésirable toute scission communautaire. Et comme on l’a déjà constaté, les électeurs de la N-VA ne suivent pas leur parti dans son rêve séparatiste, et les électeurs du Vlaams Belang encore moins. Fédéralisme : oui, indépendance : non. Le score du séparatisme oscille entre 7 et 12 pour cent, niveau qu’il n’a jamais dépassé.

Voilà qui en dit long sur la méfiance à l’égard du politique. Si les partis ne modèrent pas leurs vœux pieux en les confrontant à la réalité, ils ne pourront qu’alimenter un sentiment de frustration et d’aliénation sur le plan idéologique, socio-économique que communautaire, surtout chez les minorités. Il devient urgent que ces réflexions nourrissent un leadership politique. Ce sera difficile, car c’est un apprentissage auquel tous les partis flamands, sans exception, doivent encore commencer à s’atteler.

Regardez, sur le même sujet, la chronique de Joyce Azar sur les résultats de l’enquête « De Stemming » : 

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