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Jan Peumans (N-VA): « Un Wallon est plus sympa et tolérant qu’un Flamand »
22·02·19

Jan Peumans (N-VA): « Un Wallon est plus sympa et tolérant qu’un Flamand »

Biographie : Jan Peumans est un Limbourgeois de 68 ans qui a grandi dans une famille nationaliste flamande, à Riemst. Diplômé en sciences politiques et sociales, il a accompli un parcours professionnel varié. Il a notamment travaillé dans un centre de santé mentale aux Pays-Bas, et a été directeur marketing et stratégie pour la société flamande de transports De Lijn.

Au niveau politique, il est rapidement devenu membre de la Volksunie. Il a occupé tour à tour le poste de conseiller communal, d’échevin et de bourgmestre de la ville de Riemst. Après la scission de la Volksunie, il a rejoint les rangs de la N-VA. Député au Parlement flamand depuis 2004, il en est le président depuis dix ans, mais tirera un trait sur sa carrière parlementaire après les élections de mai. Son fils lui consacre d’ailleurs une biographie qui sera publiée le 26 février aux éditions Lannoo.

Temps de lecture : 7 minutes Crédit photo :

Aubry Touriel

Aubry Touriel
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Bart De Wever dira qu’un parti aurait peut-être besoin d’une seule personne comme lui, mais pas trois. Lui, c’est Jan Peumans, président du Parlement flamand depuis dix ans. Défenseur de l’écologie, il adore la Wallonie et est fan de bouddhisme. Il n’hésite pas non plus à écorcher son parti : pour lui, Theo Francken a une « grande gueule ». Peumans critique aussi le virage à droite de son parti. Rencontre avec ce personnage atypique de la N-VA dans son bureau au Parlement flamand.

DaarDaar : Quelles différences y a-t-il entre Wallons et Flamands ?

Jan Peumans : « Ils parlent une autre langue. Ils lisent d’autres journaux. Ils regardent d’autres chaînes de télévision. Ils lisent surtout des auteurs français. Ils ont une autre mentalité : 70 % de la population vote à gauche. En Flandre, c’est le contraire : seulement 25 à 30 % des Flamands votent à gauche.

Quand je passe la frontière linguistique, j’ai toujours l’impression d’arriver dans un autre pays. Déjà par le fait de la langue, mais on y retrouve aussi plus d’authenticité.

Les Wallons ont également un taux de chômage plus élevé et le taux de pauvreté y est malheureusement trop haut. Une étude de l’Institut Jules Destrée montre que les Wallons consomment moins que les Flamands, peut-être que c’est mieux, car nous consommons de toute façon différentes choses qui sont superflues. Le tabac et l’alcool sont beaucoup plus consommés en Wallonie, ce n’est évidemment pas une bonne évolution. »

DD : D’où vous vient votre attirance pour la Wallonie ?

J.P. : « Il y a plusieurs raisons. A. J’habite près de la Wallonie. B. Si tu es un Bekende Vlaming (ndlr : Flamand connu), c’est bien plus tranquille d’y partir en vacances. C. On retrouve plus d’authenticité en Wallonie. D. Peut-être la raison la plus importante : un Wallon est en général beaucoup plus sympathique et tolérant. E. Aussi, tu peux entretenir ton français, ma deuxième langue.

Je trouve aussi que l’on sait trop peu de l’autre. On dit souvent qu’il s’agit de deux démocraties à part, deux cultures. En soi, ça ne doit pas être mal, ça rend le tout plus captivant.

Personnellement, je suis membre de Natagora, de l’institut Jules Destrée, du musée de Wanne à Trois-Ponts. Je regarde avec passion les courses cyclistes La Doyenne et la Flèche wallonne, car je connais bien la région, je vais souvent m’y balader. Je connais bien Liège, Namur et Luxembourg, mais beaucoup moins le Hainaut et le Brabant wallon. On oublie souvent d’ailleurs que c’est la province la plus riche de Belgique. »

DD : Après votre départ du Parlement flamand, vous allez vous lancer dans un doctorat. Votre première idée était d’écrire sur la Wallonie…

J.P. : « J’ai de très nombreux ouvrages sur la Wallonie dans ma bibliothèque. Ça m’intéresse. Il y a toujours eu de très nombreux Flamands qui ont « émigré », enfin émigré, c’est aller vers un pays étranger (rires).

Au cours des 19e et 20e siècles, il y a eu de nombreux Flamands qui se rendaient en Wallonie. Ils ont travaillé dans différents secteurs, comme les mines, le textile et l’agriculture. Certains disent que 600.000 Flamands habitent en Wallonie.

Mais que voit-on avec ces Flamands ? Au contraire des francophones, ils vont s’intégrer assez rapidement et ensuite s’assimiler. Ils vont défendre les intérêts du groupe dont ils font partie. Certains sont même devenus « walligants », ils défendent leur région.

Mon objectif était de réaliser de longues interviews de Flamands de 2e et 3e génération et d’en tirer les conclusions, mais j’ai finalement abandonné l’idée, un peu avec regret, car mon promoteur, le professeur Bruno De Wever, trouvait mon sujet beaucoup trop large. Je vais dès lors analyser le mouvement flamand au Limbourg après la Seconde Guerre mondiale. » (Lire la suite en dessous de la vidéo)

Défenseur de l’environnement fan de bouddhisme

DD : D’où vient votre intérêt pour le bouddhisme ?

J.P. : « Il y a 15-20 ans, un parti italien de gauche a lancé une campagne au Parlement européen sur la pression qu’exerce la Chine sur les Tibétains. Le Tibet, c’est le Dalaï Lama et vous connaissez les relations entre la Chine et le Tibet. J’ai participé à la campagne. À l’époque, j’ai rebaptisé une rue à Riemst « la rue du Tibet ».

Quand j’étais bourgmestre de Riemst, nous hissions le drapeau tibétain le 10 mars, le jour du soulèvement tibétain. Normalement, on ne peut pas, car on ne peut hisser un drapeau étranger que si un chef d’État vient en visite, mais peu importe. Une chose entraînant l’autre, nous nous sommes battus pour la reconnaissance du bouddhisme. Mais ça n’a pas fonctionné jusqu’à maintenant. »

DD : Pourquoi ?

J.P. : « Ça n’avance pas, surtout parce que les libéraux mettent des bâtons dans les roues. Je ne sais pas quelle est la position du MR, mais l’Open Vld, par la voix de Patrick Dewael, trouve qu’il faut une séparation entre l’Église et l’État.

Ici, tous les manques financiers sont remplis par les autorités, surtout locales. Les libéraux pensent qu’on doit arrêter ce système. Mais si tu veux rester cohérent, il faut arrêter de donner de l’argent aux catholiques, aux pasteurs, cardinaux, etc. Ils devraient tous tirer leur plan ! Mais ce n’est pas demain la vielle… »

DD : L’environnement vous tient aussi à cœur…

« Quand j’étais jeune, j’ai par exemple manifesté pour préserver un domaine naturel au Limbourg menacé parce qu’une entreprise néerlandaise voulait s’y installer.

Les solutions que l’on demande maintenant sont beaucoup plus difficiles à trouver que lorsque j’étais jeune. Avant, on ne connaissait pas les grandes exploitations agricoles. Maintenant, c’est purement et simplement une industrie avec toutes les conséquences que cela engendre. En Flandre, je trouve d’ailleurs parfois que les intérêts de l’industrie dépassent ceux pour la nature et l’environnement. »

Theo Francken ? « Grande gueule ! »

DD : Pourquoi défendre l’indépendance de la Flandre ?

J.P. : « Ce n’est pas un but en soi, c’est un moyen. Je trouve que ce qu’on n’a pas bien fait dans le contexte belge, on doit le faire autrement en Flandre ou en Wallonie.

Le premier article de notre parti stipule clairement que nous souhaitons une Flandre indépendante. Mais il ne faut pas supprimer la solidarité existante avec la Wallonie. Le professeur Descamps de l’Université de Namur a fait le calcul : si les transferts, qui sont de sept milliards d’euros, s’arrêtent, il y aura alors 600.000 pauvres en Wallonie en plus. Ce n’est pas la solution.

La solidarité est importante, mais je pense que si tu es toi-même responsable de tes revenus et tes dépenses, tu vas agir différemment que si tu reçois un transfert et qu’on te dise qu’il est renouvelé chaque année. Le trou est quand même rempli. Ce n’est pas un bon principe.

La solidarité doit être contrôlable, mais surtout efficace pour contribuer à résoudre les problèmes, et non pour les perpétuer. La Flandre a par ailleurs tout intérêt que l’économie en Wallonie se porte bien. Il y a aussi des entreprises flamandes qui vont s’établir en Flandre. Les permis uniques vont beaucoup plus vite en Wallonie qu’en Flandre. Il y a de nombreux Flamands qui vont travailler en Wallonie et de Wallons qui vont travailler en Flandre. »

DD : Comment la N-VA est-elle perçue par les médias francophones ?

J.P. : « Bart De Wever n’est pas populaire en Wallonie, car il est perçu comme quelqu’un qui est contre les Wallons, alors que ce n’est pas vrai.

Jan Jambon et Theo Francken sont super populaires en Wallonie, parce qu’ils mènent une politique forte en matière d’immigration et de sécurité. Ce qui est en contradiction avec ce que l’on dit sur la N-VA. La perception négative de la N-VA n’est donc pas totalement vraie.

Par ailleurs, je pense que l’on rencontre régulièrement des gens en Wallonie qui souhaiteraient avoir un Bart De Wever francophone. Charles Michel est par exemple populaire en Flandre, mais moins en Wallonie. Il n’y a personne en Flandre qui peut voter pour Charles Michel. Comme personne en Wallonie ne peut voter pour Bart De Wever. »

DD : Êtes-vous dès lors en faveur d’une circonscription fédérale ?

J.P. : « La question est de savoir de quelle manière. Je suis pour une circonscription fédérale, mais sans quota. On ne doit pas dire : 10 élus néerlandophones et 6 élus francophones. Une circonscription fédérale, ça veut dire que l’on propose une liste dans tout le pays. Je n’y crois pas, mais cela se pourrait alors que, sur les 15 candidats, 15  Flamands soient élus en raison de la démographie. Mais il n’y aura jamais de circonscription fédérale. »

DD : Que pensez-vous de l’évolution de votre parti ?

J.P. : »La stratégie de notre parti était que tout ce qui n’allait pas en Belgique était la faute du PS. Ce sont évidemment des balivernes, car le MR a également siégé dans différents gouvernements. Ce n’est pas la responsabilité d’un seul parti. Mais mon parti a apparemment décidé de laisser tomber cette stratégie. C’est même Didier Reynders qui a déclaré que l’absence du PS au gouvernement fédéral est en soi une réforme de l’État.

DD : Vous n’hésitez pas à critiquer le positionnement de votre parti dans les médias : les propos de Bart De Wever sur la mort de Mawda, la communication de Theo Francken…

J.P. : « Grande gueule ! » (ndlr: en français)

DD : … Jean-Marie Dedecker qui n’est pas le bienvenu sur une liste N-VA…

J.P. : « Je ne pense pas être le seul à le dire. »

DD : … Comment cela se fait-il que vous soyez encore membre de ce parti ?

J.P. : « Je me suis toujours exprimé librement. Dans 15 jours, une biographie va d’ailleurs être publiée dans la maison d’édition Lannoo.

Je trouve que le parti vire de plus en plus à droite : il suffit de comparer les principes du parti en 2001 avec la situation actuelle. Je trouve que nous devenons un parti libéral flamand qui a certains points de vue que je ne partage pas.

J’estime aussi que toutes les communications sur Twitter et sur les réseaux sociaux, c’est mortel. Je ne trouve pas que ce soit une bonne évolution. »

DD : N’avez-vous pas pu jouer une influence au sein du parti ?

J.P. : « Non, je suis membre du bureau du parti, mais pas dans le bureau qui s’occupe des dossiers quotidiens. En plus, je me comporte de manière très indépendante en tant que président du Parlement. Je tiens à mon indépendance, point à la ligne. »

DD : Quel bilan tirez-vous de vos dix années en tant que président du Parlement flamand ?

J.P. : « Je suis très reconnaissant d’avoir pu être président pendant dix ans. L’homme qui a le plus de mérite que je sois ici, c’est Bart De Wever, personne d’autre. En 2009, tout le monde pensait que j’allais devenir ministre, ça ne s’est pas passé. Mais je pense que c’est un métier beaucoup plus beau que d’être ministre. Ils ne font que se taper dessus.

Dans la politique, j’ai l’impression que l’on fait beaucoup moins attention à l’intérêt général, on va plus passer son temps dans différents conflits. En tant que président du Parlement, je n’ai jamais eu ce genre de problème. Parfois, j’ai eu des conflits au sein de mon propre parti. Mais, pour le reste, c’est une fonction dans laquelle je me sens assez indépendant. C’est ça qui est beau. »


Interview réalisée par Aubry Touriel le 11 février au Parlement flamand à Bruxelles.

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