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Dynasties politiques: label de qualité ou déficit démocratique?
11·01·21

Dynasties politiques: label de qualité ou déficit démocratique?

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

Isopix / Frederic Sierakowski

Bart Brinckman
Auteur⸱e
Maxime Kinique
Traducteur Maxime Kinique

Elles rappellent le temps des aristocraties héréditaires et pourtant, les dynasties politiques semblent inextinguibles. La Belgique fait plutôt partie des mauvais élèves en la matière.

Le futur échevin anversois Willem-Frederik Schiltz (Open VLD) n’aurait pas fait de la politique s’il n’était pas tombé dans la marmite étant petit. Il fut un temps où le partage du pouvoir politique était essentiellement une affaire de liens de parenté. Et si la filiation a été progressivement supplantée par les élections dans le cadre du système de la démocratie représentative, la généalogie n’a pas perdu toute influence, y compris dans nos démocraties occidentales.

Dans la littérature internationale consacrée à ce phénomène, Herman Van Rompuy fait figure de cas d’école. Le chrétien-démocrate est connu pour avoir été président du Conseil européen, Premier ministre belge et président du CD&V. Qui plus est, son frère, son épouse, sa sœur et ses deux fils sont ou ont été actifs en politique. On retrouve un grand nombre de cas similaires au sein de son parti, dont l’actuel président, Joachim Coens, n’est autre que le fils de l’ex-ministre Daniël Coens. Vincent Van Peteghem, notre actuel ministre des Finances, provient lui aussi d’une famille CD&V. Parfois, le lien familial ne transparaît pas du patronyme, comme dans le cas de l’ex-ministre de la Justice Koen Geens, dont le beau-père, Jos Dupré, a exercé lui aussi des responsabilités ministérielles.

Si son père ne s’était pas appelé Herman, Alexander De Croo n’aurait jamais fait de politique et ne serait a fortiori jamais devenu Premier ministre. On peut dire la même chose à propos de son prédécesseur au « 16 », Charles Michel (le fils de Louis), et de son frère Mathieu, l’actuel secrétaire d’État à la Digitalisation. À cette liste (non exhaustive), on peut également ajouter les familles Dewael, Van den Bossche, Tobback, Dillen, Vanvelthoven, Schiltz, Anciaux, Detiège, Claes, Loones… Le phénomène a traversé les époques, mais est surtout l’apanage des partis traditionnels.

L’entêtement de la Belgique

Ces dynasties politiques ne constituent pas un phénomène typiquement belge. En 2016, le chercheur Daniël Smith (Harvard) a réalisé une étude comparative internationale, dont il ressort que la Thaïlande et les Philippines dominent le classement, avec environ 40 % de parlementaires qui sont issus d’une famille politique. À l’opposé de ce classement, on retrouve l’Allemagne, avec seulement 2 pour cent. Et la Belgique dans tout cela ? Avec un résultat compris entre 10 et 15 pour cent, elle n’a guère de quoi pavoiser ; en Europe, seules la Grèce, l’Irlande et l’Islande font pire. Tous les autres pays européens obtiennent un résultat à un seul chiffre. Smith considère un résultat entre 5 et 10 pour cent comme « normal pour une démocratie en bonne santé ».

De surcroît, la Belgique fait preuve d’une certaine obstination puisque le nombre de dynasties est en augmentation chez nous alors qu’il diminue partout ailleurs. Considérés comme le berceau des dynasties familiales, les États-Unis ont vu le phénomène perdre de l’ampleur au cours des dernières décennies jusqu’à ne plus atteindre aujourd’hui qu’un résultat de 6 pour cent, même si certains exemples célèbres (Clinton, Bush) semblent indiquer le contraire.

Vivaldi : le chagrin des présidents de la particratie

L’influence de la particratie est responsable de ce poids des dynasties qui ne faiblit pas chez nous. En Belgique, c’est le président de parti qui a le dernier mot lors de la formation des listes électorales. Indépendamment de la commercialisation du patronyme, cela aide toujours lorsque papa ou maman vante auprès de lui les mérites du fiston ou de la rejetonne, même s’il convient ici d’apporter une nuance : une étude a révélé, en effet, que les personnes dont les parents ambitionnaient un mandat politique avaient davantage tendance (jusqu’à 10 % de différence) à marcher sur les traces de leurs géniteurs. Visiblement, la tradition familiale joue un rôle dans la transmission du virus.

Un fameux rendement

En 2014, la politologue Brenda Van Coppenolle (University Essex) s’est basée sur les résultats des élections de 2010 pour calculer l’avantage pour une « jeune pousse » en politique d’appartenir à une dynastie. Un premier avantage a trait au fait que l’électeur apprécie de retrouver des noms familiers sur son bulletin de vote, même lorsqu’il déclare dans un sondage d’opinion qu’il n’aime pas les dynasties. (Aux USA également, l’image du phénomène est inversement proportionnelle à l’avantage qu’il génère en termes de nombre de votes.) Le nombre de voix de préférence par rapport aux autres candidats augmente dans une fourchette comprise entre 17 et 25 pour cent. Le pouvoir engendrant le pouvoir, les chances d’être élu sont multipliées par 3 lorsqu’on est issu d’une famille politique.

L’appartenance à une lignée offre encore d’autres avantages – bien que moins systématiques -, comme de meilleures places sur les listes électorales et une accession à vitesse accélérée à un poste ministériel, un phénomène illustré à merveille par Freya Van den Bossche et Charles Michel, qui sont devenus ministres à l’âge de respectivement 28 et 24 ans. Van Coppenolle en conclut que le citoyen considère l’appartenance à une dynastie politique comme un gage de qualité.

Déficit démocratique

Avec Smith, Benny Geys (VUB, Norwegian Business School) a réalisé un état des lieux du phénomène dans The Economic Journal. Les dynasties politiques offrent des avantages limités en termes de démocratie. Le lien familial souligne l’attachement à une région, ce qui débouche sur une plus grande implication à l’échelle locale. Les dynasties politiques, c’est également un levier pour une plus grande présence féminine dans les assemblées parlementaires.

Cependant, les dynasties peuvent également donner lieu à une baisse de qualité du personnel politique. On peut faire ici la comparaison avec les femmes politiques, qui doivent être nettement meilleures que leurs homologues masculins pour se faire une place au soleil. Si vous voulez damer le pion à un nom connu, vous devez vraiment donner le meilleur de vous-même.

Parce qu’il est plus facile de faire carrière en politique lorsqu’on est issu d’une dynastie, le risque existe que les « fils de » et les « filles de » soient moins dynamiques que les personnes sans ascendance dans le milieu : c’est ce qu’on appelle l’effet Carnegie. Des études démontrent ainsi que les régions aux mains de dynasties politiques enregistrent de moins bons résultats économiques. Geys a analysé la situation en Italie et a observé que plus le niveau d’éducation des politiciens locaux était faible et plus ils étaient plébiscités par leur famille plutôt que par l’électeur.

À certains égards, les dynasties politiques créent donc bel et bien un déficit démocratique dans la mesure où les personnes qui ont le bras long et un carnet d’adresses bien rempli sont avantagées. On ne peut plus parler, alors, d’égalité des chances lors du recrutement des hommes et femmes politiques.

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