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Comment le Vlaams Belang compte-t-il conquérir Ninove grâce aux données?
23·08·22

Comment le Vlaams Belang compte-t-il conquérir Ninove grâce aux données?

Temps de lecture : 5 minutes
Auteur
Dominique Jonkers
Traducteur Dominique Jonkers

Dans son ambition de conquête du pouvoir local, la liste d’extrême droite Forza Ninove ne laisse rien au hasard : listes de concitoyens assorties de codes couleur, publicités payantes sur Facebook, recherche des futurs échevins par sondages internes…

Il reste deux ans avant le prochain scrutin communal. Au Vlaams Belang, pourtant, tous les regards sont déjà tournés vers la ville hautement symbolique de Ninove. En 2018, malgré un score écrasant, l’homme fort local Guy D’haeseleer, membre du parlement flamand, avait raté de peu l’écharpe maïorale. La décision de Joost Arents (N-VA), de quitter son parti pour rejoindre la majorité en qualité d’indépendant, avait permis de maintenir le cordon sanitaire.

Aujourd’hui, la liste Forza Ninove semble bien décidée à se passer de la N-VA locale pour le rompre, justement, ce cordon sanitaire. À la N-VA, d’ailleurs, le peu d’enthousiasme qui restait encore à l’idée d’une collaboration a été douché par les récents propos du parlementaire Vlaams Belang Dries Van Langenhove. En d’autres termes, si Forza Ninove veut diriger la commune, il lui faudra la majorité absolue. Conséquence : le très populiste Guy D’haeseleer se mue en un homme de chiffres.

Première étape : pousser les électeurs à s’enregistrer

Chaque année, en juin, Forza Ninove organise pendant 4 jours des repas sous l’étiquette Eetfestijn, événement qui alimente annuellement ses finances. À cette occasion, Guy D’haeseleer a dévoilé au quotidien De Standaard quelques éléments de sa stratégie électorale. Il ne cache pas qu’il investit « beaucoup d’argent » dans des annonces Facebook sponsorisées visant spécifiquement tous les habitants de Ninove, les « Ninovieters ». Chaque message lui coûte entre 100 et 200 euros ; rien que cette année, le compte Forza Ninove en a déjà diffusé vingt-quatre.

Pourquoi Forza Ninove a remporté les élections

Et ça donne des résultats. « À elle seule, la liste Forza Ninove compte plus de « J’aime » sur Facebook que tous les autres partis ensemble », explique-t-il. Chaque semaine, le candidat s’efforce de publier un nouveau message, pour assurer une interaction régulière. « L’équipe en place a-t-elle votre confiance ? Oui ? Non ? » « Faut-il une maison de détention à Ninove ? Jamais ou D’accord ? » Chaque Like vaut automatiquement à son auteur une invitation à s’abonner à la page Forza Ninove.

« Nous voyons encore des électeurs s’inscrire chaque jour. »

Bien sûr, ce n’est là qu’une application aux réseaux sociaux des bases du marketing, mais ce n’est pas tout. En parallèle, Guy D’haeseleer fait déjà tourner, depuis plusieurs années, des publicités Facebook invitant les Ninovieters à s’inscrire comme électeur de Forza Ninove. « Les personnes qui cliquent sur cette publicité sont invitées à enregistrer leurs données sur notre site internet : numéro de GSM, adresse, adresse de messagerie, et date de naissance. Ce faisant, elles acceptent aussi nos conditions générales d’utilisation », ajoute-t-il. « Ça fonctionne depuis plusieurs années, et nous voyons encore des électeurs s’inscrire chaque jour. Parmi ceux-ci, de nombreux noms que je ne connaissais pas encore. »

Listes Excel et codes de couleur

Forza Ninove compte déjà plus de 6.390 électeurs enregistrés, dont les données sont immédiatement croisées avec une base de données générale qui contient les 19.000 adresses de la localité. « On y trouve parfois Monsieur et Madame, habitant la même adresse, mais nous comptons déjà 4.500 adresses uniques. Et encore ! Nous ne sommes pas en période électorale ; nos grandes actions de propagande n’ont pas encore commencé ! », commente Guy D’haeseleer.

Grâce au code de couleurs qu’il a associé aux listes d’adresses de Ninove, il cartographie les rues où il lui reste le plus de travail pour gagner des voix. « Les adresses de nos électeurs enregistrés sont marquées en jaune. En vert, les personnes qui ont simplement manifesté leur intention de voter pour nous. Le bleu représente les électeurs qui, auparavant, votaient libéral et qui votent désormais pour nous : le rouge désigne les personnes qui votent pour nous aujourd’hui — mais pas auparavant. Quand je traverse la Groenstraat, je sais donc qu’untel, untel et une telle voteront pour nous demain. Tout est question de data, pas vrai ? »

C’est l’impasse à Ninove, et c’est tout profit pour l’extrême droite

Pour compléter ses listes Excel, Guy D’haeseleer recourt aussi au porte-à-porte. « Voyez ce quartier de logements sociaux : nous y avons déjà fait du porte-à-porte lors de la campagne précédente », commente-t-il en pointant du doigt une série d’adresses marquées en jaune. Dans ce cas aussi, il demande aux habitants l’autorisation d’enregistrer leurs noms dans sa base de données. « Nous ajoutons toujours que nous leur enverrons nos vœux pour le Nouvel An. »

Quant aux dates de naissance de ses électeurs enregistrés, il les a versées dans un « outil automatique d’envoi de SMS ». Comme ça, le jour de son anniversaire, chacun reçoit un message personnalisé : ‘Proficiat, Jeanine, bon anniversaire !’  Et voilà le travail. »

Un sondage en quête d’échevins

La suite, c’est de l’arithmétique pure. « Si je veux obtenir la majorité absolue en 2024, je dois trouver 650 voix de plus que lors du scrutin précédent. C’est extrêmement concret, et ce sera le thème de notre prochaine campagne. Chaque vote compte. » Guy D’haeseleer ne doute pas qu’il accédera au pouvoir en 2024. Mieux : deux ans avant l’élection, il a déjà retenu quatre noms de futurs échevins.

« Nous n’avons pas le droit à l’erreur. »

« Je sais que les caméras seront braquées sur Ninove. Nous n’avons pas le droit à l’erreur ». Alors, chaque année, Guy D’haeseleer soumet à ses 19 mandataires une liste de cent questions. « Combien de fois sont-ils intervenus au conseil communal ?  Combien ont-ils vendu de tickets d’entrée au Eetfestijn ? Que peut-on améliorer ? »

Vlaams belang : du doigt d’honneur au coup de poing

Et cette question, en particulier : « dans l’équipe actuelle, à qui attribuerais-tu un mandat d’échevin ? »  « En fin de compte, explique-t-il, avec notre sondage, seuls quatre ou cinq noms ont émergé, sur lesquels presque tout le monde s’est entendu. Par ailleurs, le message est clair : nous cherchons d’autres candidats capables d’assumer des responsabilités demain. Tout cela est parfaitement au point, et ne fera l’objet d’aucune discussion ultérieure. Le jour où nous accéderons au pouvoir, les attentes seront très élevées, et il nous appartiendra de faire nos preuves. »

Éviter les bourdes

Début juin, par des voies détournées, l’ex-Vlaams Belang Bart Laeremans a déjà accédé au pouvoir à Grimbergen. « Contrairement à lui, je ne me distancierai jamais du Vlaams Belang », souligne Guy D’haeseleer. « À Ninove, la prochaine élection communale sera une occasion unique pour notre liste, mais aussi pour l’ensemble du Vlaams Belang. Et je suis persuadé que si nous parvenons à percer, d’autres suivront. Nous ne pouvons rien laisser au hasard. »

Guy D’haeseleer est d’ailleurs persuadé que la coalition hétéroclite qui dirige actuellement la ville (réunissant l’Open VLD, le cartel Samen qui englobe CD&V, SP. A et Groen, ainsi que le conseiller indépendant Arents) ne manquera pas de se tirer une balle dans le pied. « Aujourd’hui, déjà, avec cette anti-coalition, mener une véritable politique communale semble très compliqué. Nous allons tous simplement laisser la coalition actuelle faire notre publicité. De notre côté, nous nous contenterons de ne pas commettre trop d’erreurs. »

La percée du Vlaams Belang ne tombe pas du ciel

Par là, l’homme fait subtilement référence à son propre message raciste sur Facebook en 2017. Ce jour-là, il avait publié une photo d’enfants noirs barbotant dans l’eau, avec ce commentaire :  « Debout tôt pour préparer la mousse au chocolat pour notre Breughelfestijn. Et ce sera une préparation ‘maison’ ! »

Il sourit : « cette plaisanterie de la mousse au chocolat a été un peu gonflée par la presse, à l’époque. Ça m’a valu une attention soutenue, mais aussi 30 000 votes supplémentaires aux législatives, pas vrai ? »

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