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Comment la N-VA est devenue un parti pro-israélien
25·05·21

Comment la N-VA est devenue un parti pro-israélien

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

Photo by Ahmed Abu Hameeda on Unsplash

Bart Eeckhout
Auteur
Fabrice Claes
Traducteur Fabrice Claes

Des Écossais aux Catalans, la N-VA n’hésite pas à prendre la défense de tous les peuples « opprimés ». Sauf celle des Palestiniens. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi.

« Je ne souhaite pas le moindre mal au parti, mais vu son évolution actuelle, je sais que je ne voterai pas pour la N-VA en 2004. » Ces mots durs furent exprimés dans le quotidien De Standaard en 2003 par Eric Defoort contre le parti qu’il a pourtant contribué à fonder. La N-VA et Defoort, décédé en 2016, se sont réconciliés par la suite, mais l’ancien vice-président a vite pressenti que son parti nationaliste était sur le point de devenir un parti conservateur de droite.

Un parti nationaliste cohérent devait se soucier du destin des Palestiniens.

Ce qui mit le feu aux poudres entre Defoort et la N-VA, c’était la question palestinienne. À l’époque déjà, Defoort estimait qu’un parti nationaliste cohérent devait se soucier du destin des Palestiniens. Ce fut également, et pendant longtemps, le point de vue de la défunte Volksunie et de la N-VA naissante. Puis surgirent, soudain, des voix pro-israéliennes et même pro-sionistes dans le parti, notamment avec l’arrivée de l’avocat gantois Matthias Storme.

Depuis qu’elle a pris ce virage, la N-VA joue à fond la carte d’Israël, avec le député juif et fervent pro-israélien Michael Freilich comme tête de proue, bien entendu. À vrai dire, le porte-parole du parti sur la question palestinienne est Peter De Roover, le chef de groupe N-VA à la Chambre, mais il suffit de peu pour que Freilich occupe le devant de la scène. Dans une carte blanche, la semaine passée, dans un élan de victim blaming, Freilich a qualifié de « fantastique opération de communication des Palestiniens » l’expulsion forcée de familles palestiniennes de leur logement dans un quartier de Jérusalem-Est. En va-t-il de même pour les dizaines d’enfants de Gaza tués par les bombes israéliennes ? Pour Freilich, oui : « Le Hamas est non seulement responsable de chaque mort israélien, mais aussi de chaque Palestinien qui meurt à Gaza. » Plus perfide encore, il assimile toute critique de la stratégie de colonisation israélienne de territoires palestiniens au nazisme et donc à l’antisémitisme, sous prétexte que cela reviendrait à « entrer dans la logique qui veut que les Juifs ne puissent pas s’établir dans certaines parties du pays, afin que celles-ci restent Jüdenrein. »

« Le Hamas est non seulement responsable de chaque mort israélien, mais aussi de chaque Palestinien qui meurt à Gaza. »

Certes, officiellement, Freilich se range dans le camp de ceux qui en appellent à la paix. Mais quand il faut expliquer les raisons de l’absence de paix, il rejette évidemment l’intégralité de la faute sur les Palestiniens. Pour Freilich, l’assassinat du premier ministre israélien Rabin en 1995 par un Juif d’extrême droite et la progression incessante de l’extrême droite en Israël ne sont que des détails insignifiants.

Pourtant, le point de vue officiel de la N-VA consiste à « ne pas importer des conflits étrangers dans notre pays. » Une position pour le moins surprenante de la part d’un parti qui, en soutenant l’exilé catalan Carles Puigdemont, a failli littéralement importer un conflit étranger. Les nationalistes flamands sont bien loin du point de vue adopté en 2000 par la Volksunie, lors de la deuxième Intifada. En effet, le président du parti Geert Bourgeois avait déclaré, à l’époque, que la Belgique ne pouvait pas pratiquer le deux poids, deux mesures en matière de défense des droits humains. Le parti plaidait même pour la reconnaissance d’un État palestinien avec pour capitale Jérusalem-Est.

La N-VA et les Palestiniens, deux poids deux mesures

Le rôle de De Wever même semble d’ailleurs jouer un rôle capital dans ce revirement.

Il ne faut pas croire que ce revirement de bord s’est produit quand la Volksunie est devenue la N-VA. En effet, si de nombreux nationalistes progressistes ont rejoint Sprit/sp.a, l’Open VLD ou Groen lors de l’effondrement de la Volksunie, d’autres se sont réfugiés dans les rangs de la N-VA, comme Defoort, Willy Kuijpers, Jan Peumans ou Frieda Brepoels. Pas plus tard qu’en 2018, des députés N-VA – Piet De Bruyn, Mark Demesmaeker et Wilfried Vandaele – ont signé une lettre ouverte dans le journal israélien Ha’aretz pour dénoncer le « crime de guerre » que constitue la politique de colonisation israélienne. Et en 2018, le Hamas était déjà depuis longtemps au pouvoir à Gaza.

Ceci invalide donc l’explication du président du parti Bart De Wever, qui a prétendu la semaine passée dans l’émission De Afspraak op vrijdag que l’arrivée du Hamas avait modifié le point de vue de son parti. Le rôle de De Wever même semble d’ailleurs jouer un rôle capital dans ce revirement, qui entre dans le cadre plus large de la droitisation de la N-VA. Le président du parti est évidemment un flamingant, mais avant tout, comme l’avait bien compris feu son ami Defoort, un conservateur de droite. La souffrance des Palestiniens est bien éloignée des préoccupations de De Wever, qui peine également à s’identifier aux nationalistes populaires progressistes catalans, écossais ou basques. Son idéologie est bien plus proche de celle de nationalistes de droite comme Boris Johnson, le premier ministre britannique qui, par sa décision provocatrice d’inonder l’Écosse de drapeaux de l’Union Jack, a soufflé sur les braises du nationalisme écossais.

De nombreux musulmans ne font pas partie de sa conception du « nous » flamand.

Au parlement européen aussi, sous l’impulsion de De Wever, la N-VA s’est retirée de la fraction EVA (écologistes-nationalistes) pour créer une fraction conservatrice. Cette décision a suscité le malaise de Bourgeois et compagnie, forcés de siéger aux côtés, entre autres, des nationalistes radicaux de droite espagnols de Vox, qui rêvent de voir les Catalans sous les verrous.

De surcroît, De Wever sait qu’à Anvers, un bourgmestre de droite pourra davantage compter sur le soutien de la communauté juive. Mais qu’en est-il des musulmans alors ? En ce qui les concerne, De Wever observe surtout, comme il l’a écrit dans son livre, une tendance au repli sur un islam orthodoxe et politique. Par conséquent, de nombreux musulmans ne font pas partie de sa conception du « nous » flamand. La question palestinienne est à cet égard « ennuyeuse » car elle contribue à la polarisation, au « nous » face à « eux ». En effet, même si cela ne se voit pas, De Wever contribue à la polarisation en restant insensible à la douleur qui touche de nombreux habitants de sa ville et de son pays. Faire semblant d’ignorer un conflit provoquant la mort de nombreux civils, c’est aussi prendre position. Cela relève du double langage, à l’instar de ce que pratique le PTB/PVDA dès qu’on touche aux intérêts chinois.

Même si une résolution de la Chambre à propos d’un conflit étranger ne changera rien à la marche du monde, les prises de position en la matière ont le mérite d’en dire long sur la cohérence de certains partis.

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