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Verser une prime à ceux qui continuent de travailler est une mauvaise idée
27·03·20

Verser une prime à ceux qui continuent de travailler est une mauvaise idée

L’auteur de cette opinion, David Ducheyne, est un psychologue du travail. Il a passé 10 ans chez Securex, donne des cours à l’université et dans des écoles de management. Il préside depuis 2016 l’association nationale des professionnelles des Ressources Humaines (hrpro.be)

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

Photo by K. Mitch Hodge on Unsplash

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Certains syndicats et l’organisation d’employeurs Voka appellent à verser une prime à celles et à ceux qui continuent de travailler durant la crise du coronavirus. Une mauvaise idée, selon David Ducheyne.

Les mesures prises dans le cadre de la crise du coronavirus sont inédites. L’État vise à protéger la population au maximum tout en permettant à l’économie de continuer à tourner, l’accent étant mis sur les secteurs essentiels. Deux objectifs antinomiques, puisque ceux qui travaillent courent davantage de risques.

Ceux qui travaillent courent davantage de risques

Un million de personnes sont au chômage temporaire — un chiffre hallucinant. Certains employés doivent travailler (ceux des secteurs essentiels), d’autres le peuvent (si leur sécurité peut être assurée), d’autres encore n’y sont pas autorisés (dans les boutiques, notamment). Des travailleurs sont par ailleurs malades ou au chômage technique. Enfin, certains de nos concitoyens veulent travailler et d’autres non, car ils ont peur ou n’en ont pas envie.

Toute la question est de savoir combien de temps cette situation pourra durer et comment maintenir la motivation de ceux qui travaillent.

Les choses deviennent difficiles pour ceux qui ne veulent pas travailler, mais y sont contraints. Des entreprises ferment boutique parce que leur personnel s’inquiète. Sans compter qu’avec l’augmentation de l’allocation de chômage temporaire et le versement d’une indemnité supplémentaire, la différence entre la situation des actifs et des inactifs s’amenuise.

Dans ce contexte, certains syndicats et entreprises demandent qu’une prime de risque soit versée aux employés forcés de travailler. L’organisation d’employeurs flamande Voka a elle-même fait cette demande, l’idée étant de rendre le travail attrayant. Une revendication certes logique, mais qui n’est pas sans risques.

Octroyer une prime règlera-t-il le problème

Une réponse logique consisterait à dédommager les pertes de revenus. La compensation actuelle a été revue à la hausse, avant tout dans un souci d’apaisement. Pour le reste, ceux qui continuent de travailler sont rémunérés pour le travail pour lequel ils ont été engagés. Mais en période d’angoisse, cela ne suffit pas. La prime pourra-t-elle résoudre le problème ?

C’est précisément au moment où la poursuite du travail s’avère particulièrement utile que la question de l’argent est mise sur le tapis. Que se passerait-il si les soignants refusaient de continuer à travailler tant qu’ils ne recevraient pas de prime ? Les soignants se rendraient-ils au travail parce que leur salaire est plus élevé ? Je ne pense pas. Il y a des personnes qui continuent d’accomplir leur devoir dans le métier qu’ils ont choisi. Nombre de citoyens, dans une multitude de secteurs, font le choix de continuer à travailler.

Le problème posé par cette prime touche moins à l’argent ou à la morale qu’à la motivation. Elle refroidit les ardeurs et fait l’impasse sur la composante psychologique de la motivation. Une telle prime ne fait pas disparaître la peur de la contamination. En revanche, elle mine la qualité de la motivation. Continuer à travailler et aider les autres parce que c’est payant ou parce que c’est utile sont deux choses bien différentes. Il se pourrait même qu’en exacerbant le sentiment d’obligation, cette prime fasse monter le niveau de stress. Mieux vaut insister sur l’utilité du travail.

Ne donnons pas un morceau de pain à ceux qui meurent de soif

Il va de soi que celles et ceux qui poursuivent leurs efforts méritent une reconnaissance allant au-delà des applaudissements de 20 heures et des drapeaux blancs. Plutôt que de la témoigner par une prime temporaire, ouvrons un débat sur la valeur qu’ont les services sociaux à nos yeux. Combien sommes-nous prêts à investir dans un « système d’exploitation national » résilient ?

Pour faire tourner un pays, il faut un système d’exploitation. Au-delà des infrastructures, il s’agit surtout de la motivation et des compétences de chacun. Notre pays surmontera cette crise grâce aux efforts de femmes et d’hommes qui souhaitent et peuvent faire ce qui est nécessaire. Ce sont leur mobilisation, leur persévérance, leur créativité et leur expertise qui nous rendent résilients.

La crise du coronavirus met en évidence les failles de notre système d’exploitation. Elle révèle la manière dont nous avons acheté l’engagement de nos concitoyens par le passé et négligé ce dont ils ont réellement besoin pour rester intrinsèquement motivés. Ce faisant, nous avons sapé la résilience de notre société.

Ne mettons pas à mal la fierté des employés qui continuent de travailler en les soudoyant par une prime qui ne sera de toute façon pas à la hauteur et ne résoudra rien. Ne donnons pas un morceau de pain à ceux qui meurent de soif.

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