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{Pour la petite histoire} Nos libertés
01·11·20

{Pour la petite histoire} Nos libertés

L’auteure flamande à succès Lize Spit, rendue célèbre par son roman Débâcle (Het Smelt), se livre deux fois par mois dans le quotidien De Morgen.

Temps de lecture : 2 minutes Crédit photo :

Image : Domaine Public CCO

Lize Spit
Auteur⸱e

Plusieurs personnes m’ont confié que l’annonce du couvre-feu avait fait naître en elles un instinct de révolte. « J’ai eu envie d’aller promener mon chien après minuit », m’a-t-on ainsi avoué. Avant d’ajouter : « Et dire que je n’ai même pas de chien. » Leur indocilité m’étonne, tout comme le malaise que j’ai ressenti. Ne serais-je qu’une suiveuse servile ?

La réaction doit venir de mon diabète. À mes douze ans, mon pancréas a décidé de devenir objecteur de conscience. La maladie ne peut (pour le moment) se soigner, mais elle se traite. Même s’il n’est pas aisé de reproduire l’ingéniosité d’un organe. Des années durant, je me suis piqué le doigt et me suis soumise aux injections. Il y a quelque temps, je suis passée (vive la science !) au système Dexcom et à la pompe à insuline. Depuis, deux cathéters sont logés en permanence dans mon ventre, deux minuscules tubes de plastique qui me transpercent la peau : le premier analyse mon sang, l’autre achemine toutes les x secondes quelques gouttelettes d’insuline dans mon organisme.

Équipée d’une batterie et d’un réservoir, la pompe – un dispositif de six centimètres sur quatre – est reliée au cathéter par une tubulure longue de soixante centimètres. Je l’emmène partout avec moi, sauf sous la douche. En journée, je dissimule l’appareil dans mon soutien, ce qui explique pourquoi l’un de mes seins semble toujours un peu mal fichu, légèrement plus haut que l’autre. La nuit, je porte une sorte de jarretière (baptisée « Lara Croft ») à laquelle j’attache la pompe, de sorte que ma tubulure ne vienne pas étrangler R. dans son sommeil. Tous les trois jours, je dois remplacer mon cathéter, au risque de voir la plaie s’infecter.

Connecté au cathéter, le Dexcom m’indique ma glycémie via mon smartphone et m’avertit, par des alertes bien senties, de toute tendance à la hausse ou à la baisse. Les jours de pic, le dispositif vibre si souvent que j’ai l’impression de faire partie du groupe WhatsApp des concierges du quartier. Le cathéter doit lui aussi être remplacé, toutes les deux semaines, avec toutes les précautions d’usage. Sous le pansement, ma peau irritée est souvent ouverte.


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En dehors de ces manipulations, les maladies chroniques s’accompagnent de tracas pratico-pratiques, dont il est impossible de vous dresser la liste sans verser dans l’autoflagellation. Même si elle domine ma vie, j’ai décidé de lui donner le moins d’importance possible, d’éviter de donner corps aux embarras que la maladie occasionne, de me plaindre de cette entrave à ma liberté – même mes meilleurs amis oublient que je suis diabétique.

Ceux qui craignent de mourir, et ceux craignent d’écoper d’une contravention

Ces derniers mois, à la suite de toutes les mesures covid et des réactions qui ont suivi, j’en suis arrivée à la conclusion qu’il existait dans ce monde deux sortes de gens : ceux qui suivent sagement les règles parce qu’ils ou elles sont déjà habituées à la privation de liberté, que ce soit à cause de la maladie ou d’autres circonstances. Ceux-là ont – en quelque sorte – déjà placé leur vie entre les mains de la science ou des médicaments. Et puis il y a ceux qui doivent encore s’y faire, car ils ou elles ont eu jusqu’ici la chance d’être en bonne santé, d’être à l’abri des « tracas ».

Si j’osais me montrer un poil plus catégorique, j’irais même jusqu’à qualifier ces deux groupes comme suit : ceux qui craignent de mourir, et ceux craignent d’écoper d’une contravention.

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