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Louis XI : héros bien-aimé ou ennemi misogyne ?
26·06·20

Louis XI : héros bien-aimé ou ennemi misogyne ?

Jelle Haemers est historien à la KU Leuven. « Un canon historique cherche moins à raconter l’histoire proprement dite qu’à dépeindre la société actuelle (ou celle à laquelle nous aspirons) ».

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

(cc) DariusSankowski via Pixabay

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Si le gouvernement flamand persiste dans son projet d’établir un canon pour la Flandre, les débats promettent d’être enflammés.

« Il estimait qu’une femme ne pouvait servir sous les ordres d’un roi. » Le nouveau canon historique des Pays-Bas, une liste de 50 thématiques ayant pour but de résumer l’histoire du pays, règle ses comptes avec Louis XI, l’un des héros de l’historiographie française. L’extension territoriale qui a marqué son règne et les nombreuses mesures qu’il a prises pour faire de la France un État fort font en effet de lui un roi bien-aimé de nos voisins du Sud (on ne compte plus les biographies qui retracent sa vie). Nos voisins du Nord, en revanche, voient en lui un ennemi misogyne qui attaqua Marie de Bourgogne, à laquelle il tenta par ailleurs d’imposer un mariage avec son fils.

Cet exemple illustre le fait que l’histoire peut être interprétée différemment selon le contexte, comme le faisait observer Marc Reynebeau dans sa tribune (De Standaard du 24 juin). On demande souvent aux historiens laquelle de ces images est la « bonne ». Cette question m’a déjà été posée, étant donné que j’ai publié un livre sur le règne de Marie de Bourgogne, mais ce n’était pas la commission responsable de la rédaction du canon qui en était à l’origine. Que les Néerlandais ne m’aient pas contacté n’a rien d’étonnant : ce canon est élaboré pour (et dans une large partie par) des Néerlandais. La commission de composition agit donc de bonne foi. Ce qui compte, c’est que Marie de Bourgogne figure dans cette liste : on s’intéresse encore trop peu souvent à l’histoire des femmes.

La faible implication des historiens a aussi été mise en lumière dans le cadre des débats sur les statues de Léopold II : ceux-ci ont moins souvent pris la parole que les militants, journalistes et spécialistes des sciences sociales. Des historiens sont certes intervenus dans les médias pour fournir des explications, mais ils n’ont guère pris position dans le débat.

Soif de conquête

On ne connaîtra jamais le fond de la pensée de Louis XI. Il est toutefois établi que selon lui, les femmes étaient exclues de la succession en vertu du droit féodal français — même s’il est vrai que cela ne s’appliquait qu’aux territoires que Marie de Bourgogne administrait au service du roi, et non aux autres « régions néerlandaises » (telles que le canon les désigne) : le Brabant, la Hollande, Utrecht. Il faut en effet rappeler que la quasi-totalité du territoire qui recouvre les Pays-Bas actuels appartenait alors à l’Empire germanique (dont certaines régions autorisaient les femmes à monter sur le trône).

Moins qu’un motif pour attaquer les territoires de Marie de Bourgogne, cet argument « misogyne » constituait une justification juridique sur laquelle se fondaient les conseillers du roi pour justifier la soif de conquête du souverain : « Les arguments sont faits pour s’en servir » [en français dans le texte].

Ce raisonnement juridique a sans doute fait son chemin jusqu’au canon néerlandais, qui cherche à prouver que les femmes sont désormais autorisées à monter sur le trône et qu’il n’y a pas (ou qu’il ne devrait pas y avoir) de place pour les idées misogynes dans les Pays-Bas d’aujourd’hui. Car c’est là l’objectif (implicite) du canon : montrer comment les Pays-Bas se sont bâtis et indiquer le cap qu’ils se fixent. Il se veut aussi une leçon d’histoire : on doit tirer les enseignements du passé et on ne peut en saisir toutes les nuances. Il n’en reste pas moins que le manque d’explications correctes dans l’entrée sur Marie de Bourgogne est saisissant.

Le canon historique sert des visées spécifiques

Louis XI n’était pas le seul à plaider pour le mariage de Marie de Bourgogne avec son fils : la ville de Bruges a aussi exercé d’importantes pressions en ce sens. Il n’est pas vrai non plus qu’elle a protégé l’ensemble des régions néerlandaises : c’est sous son règne que le duché de Gueldre et la principauté de Liège sont sortis du giron bourguignon. On pourrait multiplier les exemples. En fait, le canon simplifie l’histoire de Marie de Bourgogne pour expliquer la création des Pays-Bas. Dans ce contexte, on comprend mieux la faible implication des historiens dans l’élaboration d’un canon ou dans le débat sur les statues. Il s’agit moins de raconter l’histoire proprement dite que de dépeindre la société actuelle (ou celle à laquelle nous aspirons).

Est-ce bien grave ? Le débat sur Léopold II comme celui sur Marie de Bourgogne nous enseignent que l’enjeu n’est pas tant le passé en soi, mais la représentation qu’en a la société. Si le gouvernement flamand persiste dans son projet d’établir un canon pour la Flandre, à l’instar de ce qui s’est fait aux Pays-Bas, les débats promettent d’être enflammés.

Le canon néerlandais sert des visées sociales spécifiques. C’est pourquoi nombre d’historiens et de professeurs d’histoire n’y sont pas favorables. Mais c’est aussi dans cette optique qu’il pourrait faire un objet d’étude utile en cours d’histoire, puisqu’il permet de montrer que son objectif est justement d’utiliser (parfois à mauvais escient) l’histoire pour justifier les positions des puissants du moment.

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