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Liberté d’expression : faire taire la haine c’est nourrir le populisme
01·06·21

Liberté d’expression : faire taire la haine c’est nourrir le populisme

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

(cc) Geralt via Pixabay

Isabel Albers
Auteur⸱e
Fabrice Claes
Traducteur Fabrice Claes

La liberté d’expression risque d’atterrir sur une pente glissante à une vitesse fulgurante, ce qui aurait pour effet d’attiser le populisme au lieu de le combattre. À un moment particulièrement inquiétant.

La semaine passée a été le théâtre de deux événements importants concernant la liberté d’expression. Tout d’abord, quatre membres du groupe nationaliste Voorpost ont été condamnés par le tribunal de Malines pour avoir, selon le juge, incité à la haine et à la violence en brandissant des banderoles « Stop à l’islamisation de l’Europe ». La peine prononcée est plus que symbolique : trois personnes ont été condamnées à six mois de prison avec sursis, et la quatrième à six mois de prison ferme.

En même temps, le gouvernement annonçait sa volonté de renforcer la législation sur les discours incitant à la haine, à la discrimination ou à la violence en les correctionalisant. « Les discours de haine ne sont pas des opinions. Ils sont punissables », a vivement déclaré le premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) à la Chambre. Ce faisant, il emprunte une pente glissante qui peut s’avérer très dommageable pour son parti, qui descend pourtant du Parti de la liberté et du progrès. Après les attentats contre Charlie Hebdo, de nombreux libéraux ont proclamé haut et fort « Je suis Charlie ». Mais aujourd’hui, la liberté d’expression leur est tout à coup devenue moins absolue.

« Si nous ne les publions pas, ces opinions s’exprimeront de manière souterraine »

Le point de vue du gouvernement et les peines de prison prononcées pour une banderole peuvent constituer un cocktail explosif à un moment délicat. Ce n’est pas que la discrimination (pour des raisons religieuses, ethniques ou de genre) ne soit pas répréhensible et qu’il ne faille pas la combattre. Par exemple, les propos suivants, tenus par le président du Vlaams Belang Tom Van Grieken dans nos colonnes, sont répréhensibles : « Il faut que le facteur chrétien, flamand, et même, si vous voulez, blanc prédomine dans notre société. L’Afrique doit être majoritairement noire, l’Europe blanche. » Le laisser s’exprimer de la sorte en dit plus sur Van Grieken et son parti que l’interdiction de ses propos. Si nous ne les publions pas, ces opinions, et des opinions plus trash encore, s’exprimeront de manière souterraine.

Toute démocratie, par le biais de sa Constitution, assure à tous ses citoyens le droit d’exprimer ses convictions, quelles qu’elles soient, sans contrôle préalable par l’État. Bien sûr, ce droit n’est pas absolu : l’expression libre d’une opinion ne peut ni constituer une menace pour l’ordre public, ni discriminer. Pour en juger, nous avons besoin de critères précis, objectifs et non idéologiques. Et c’est là que nous nous trouvons désormais sur une pente glissante.

« Nous glissons à une vitesse fulgurante »

Le verdict du tribunal malinois se justifie littéralement par le fait d’avoir « suscité un sentiment de peur ». Ce raisonnement, nous pouvons l’étendre à tous les responsables ou groupes politiques. Ira-t-on jusqu’à interdire tout ce qui peut susciter un sentiment de peur ? Sur la base de quel critère non idéologique ? Nous glissons à une vitesse fulgurante. En janvier 2015, après les attentats de Charlie Hebdo, il fallait pouvoir tout dire, quitte à offenser. Aujourd’hui, un tribunal spécifie que susciter un sentiment de peur suffit à être condamné à une peine de prison.

Cette affaire survient à un moment particulièrement inquiétant. Un grand nombre de citoyens mécontents soutiennent, souvent par des propos hallucinants, un militaire qui a perdu les pédales. Les raisons sous-jacentes à ce mouvement de soutien difficilement explicable envers quelqu’un qui envisage probablement un assassinat semblent se situer au croisement de la « résistance contre les élites » (Tom Van Grieken, VB) et du « On nous a oubliés » (Peter Mertens, PTB-PVDA). C’est un mélange de méfiance profonde envers toute autorité (les politiques, les médias, les virologues et la science) et de gilets jaunes, deux courants qui devraient inquiéter tout démocrate qui se respecte. La seule réponse possible est également la plus difficile : une politique forte et cohérente.

Particulièrement contreproductif

Mais donner à ce groupe de mécontents l’impression « qu’ils ne peuvent plus exprimer leur opinion », c’est particulièrement contreproductif. C’est LA recette pour nourrir encore davantage le populisme. Et plus le populisme aura le vent en poupe, plus son succès hypothéquera cette politique forte et cohérente.

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