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Le problème du « problème marocain »: la normalisation de l’extrême droite
02·12·22

Le problème du « problème marocain »: la normalisation de l’extrême droite

Alicja Gescinska est écrivaine et directrice du programme de philosophie de l’Université de Buckingham. Elle est également vice-présidente de PEN Flandre et VUB Fellow. Sa chronique paraît toutes les deux semaines dans le quotidien De Morgen.

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

HATIM KAGHAT (BELGA)

Guilhem Lejeune
Traducteur Guilhem Lejeune

Un paria dans son propre pays : c’est en ces termes que s’est décrit l’écrivain néerlandais Abdelkader Benali après le déferlement de généralisations et de commentaires racistes qu’a suscité, sur le cloaque qu’est devenu Twitter, sa réaction aux échauffourées survenues après le match de la Coupe du monde entre la Belgique et le Maroc. Le fait que la violence et le vandalisme soient abjects ne justifie pas que soient tenus des propos qui le sont tout autant. Les personnalités modérées, en particulier, devraient en prendre davantage conscience.

Il n’y a rien d’étonnant à ce que des individus tels que Geert Wilders se soient empressés de récupérer ces événements pour propager leurs idées. Le dirigeant d’extrême droite a appelé à l’expulsion de ces jeunes émeutiers marocains : que l’on chasse toute la smala hors du pays ! Pour sa part, le vice-président du Vlaams Belang, Chris Janssens, a fait remarquer, non sans un certain sens de l’humour, que le match Belgique-Maroc avait été remporté par… le Vlaams Belang. C’est que ces jeunes agitateurs font évidemment les affaires de l’extrême droite.

Ce qui est plus fâcheux, c’est que même certaines personnalités modérées ont sauté sur l’occasion pour donner leur avis sur ces jeunes Marocains : des racailles, des crapules, des rebuts — ou encore, en termes moins fleuris, des cochons, des porcs, etc. Comme s’il fallait se précipiter toutes affaires cessantes sur le train de l’indignation collective. Mais avant de sauter, il faut se demander pourquoi on le fait, comment on s’y prend, et se rendre compte qu’avec ce type de sorties, on oriente le débat public dans une direction bien spécifique.

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En effet, le problème de ce type d’incidents, c’est qu’ils font glisser le curseur du discours politique et public : ils normalisent des propos et des conceptions extrémistes. Les responsables du Vlaams Belang en ont profité pour intervenir dans toutes sortes d’émissions d’actualité où ils ont, les uns après les autres, eu l’occasion de marquer des points à peu de frais. Il est vrai que lors de l’Euro, la défaite de la Belgique face à l’Italie n’avait pas provoqué de tels déchaînements de la part de Belgo-Marocains de troisième et quatrième génération. Il est encore plus justifié que l’on trouve proprement ahurissant le fait que la majorité des casseurs ne seront pas sanctionnés, ou si peu.

« On assimile toute une population aux méfaits d’un petit groupe »

Mais entretemps, on nous a tellement rabâché les oreilles, dans les médias grand public, avec « le problème des Marocains », que cette expression ne surprend plus personne. Alors même qu’elle est extrêmement problématique. Car on assimile toute une population aux méfaits d’un petit groupe. On colle l’étiquette de l’appartenance ethnique sur un problème social. Et il n’est pas du tout certain que cela contribue à trouver la solution.

Les dégâts moraux et psychologiques causés par ces jeunes émeutiers sont bien plus importants que les dommages matériels. Leur comportement suscite la polarisation, la stigmatisation et les généralisations. Ce qui donnera à bien d’autres personnes le sentiment d’être un paria dans leur propre pays. Faut-il s’étonner que le tweet d’Abdelkader Benali ait provoqué un tel torrent de réactions ? De la part de personnes compatissantes, mais aussi et surtout de Néerlandais qui affirment ne plus se sentir chez eux — la faute, évidemment, à tous ces « p****ns de Marocains ».

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Pendant ce temps, on ne se pose pas la seule question qui vaille : d’où provient cette violence ? Quand ce n’est pas le football qui sert de prétexte à mettre le feu aux voitures ou à tout saccager, c’est le Nouvel An, entre autres exemples. Mais pourquoi ? Faut-il s’en remettre à une réponse articulée autour de l’appartenance ethnique ? Ou prendre du recul et inclure dans l’équation les questions de l’intégration et de la relégation socio-économique, de l’insertion dans l’enseignement et le marché du travail, des discriminations sur le marché de la location et du logement ?

« On ne réduit pas une population entière à l’inconduite de quelques-uns. »

On ne peut nier qu’il y a un problème d’intégration dans la vie sociale, au sens large, de certaines catégories de personnes qui sont nées et ont grandi en Belgique. Un problème qui en dit long sur eux, mais aussi sur notre société. Car pour faire société, nous devons être en mesure de condamner la violence sans faire violence à la vérité. Et la vérité, c’est que les propos généralisateurs sont le plus souvent malvenus et inopportuns, et que l’on ne peut pas se contenter d’affubler des personnes, surtout des jeunes, de qualificatifs tels que racailles ou rebuts, entre autres épithètes déshumanisantes.

On ne réduit pas une personne aux pires actes qu’elle a commis. Ni une population entière à l’inconduite de quelques-uns. Ceux qui sont encore tentés de sauter sur le train de l’indignation collective feraient bien de s’en souvenir.

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