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Le débat sur l’avortement aux États-Unis montre que rien n’est jamais acquis
28·06·22

Le débat sur l’avortement aux États-Unis montre que rien n’est jamais acquis

Sara Vandekerckhove est journaliste au quotidien De Morgen.

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

Photo by Gayatri Malhotra on Unsplash

Sara Vandekerckhove
Auteur⸱e
Maxime Kinique
Traducteur Maxime Kinique

Ici aussi, il y a des gens qui sont prêts à ronger nos droits, ressort-il du débat sur l’avortement.

En 1956, ma grand-mère s’est fait avorter dans l’illégalité. Elle était enceinte de deux mois lorsqu’elle a contracté le virus de la rubéole. Monsieur le docteur avait confirmé qu’il y avait un risque que l’enfant à naître développe de graves malformations, et ma grand-mère avait estimé qu’elle n’avait pas la force de supporter cette sombre perspective.

Monsieur le docteur a alors fait quelque chose qui était interdit à l’époque. Avec des aiguilles, il a interrompu la grossesse de ma grand-mère. Ce fut tout sauf une formalité : ma grand-mère a dû retourner plusieurs fois à son cabinet parce que l’embryon ou le fœtus faisait de la résistance. Pour ma grand-mère, cet avortement illégal a été synonyme de souffrance, de tristesse et de solitude. Plus tard, elle raconterait à ma mère combien elle en a pleuré, mais surtout qu’elle avait peur que l’on découvre ce qu’elle avait fait.

Loi IVG : être contre l’avortement est dans l’air du temps

Comme me l’a confié plusieurs fois ma mère, avorter est toujours une décision qui vous rend triste, quelles qu’en soient les raisons et les circonstances. Mais elle a également insisté sur le fait que c’est une décision que vous pouvez prendre sans devoir vivre ensuite sous le joug de la peur, car la loi vous y autorise. Aussi douloureux soit un avortement, quelles qu’en soient les circonstances, au moins l’angoisse a-t-elle fait place à la sécurité.

Il est tentant de considérer qu’un droit acquis reste acquis. Que l’épreuve vécue par ma grand-mère en 1956 était spécifique à son époque. Que cette injustice (n’)a été corrigée (qu’)en 1990 et qu’on ne touchera plus, dès lors, au droit à l’avortement.

Retour dans le passé

Cependant, le fait que dans de nombreux États des USA, la question de l’avortement effectue un brutal retour dans le passé cinquante ans après que ce droit a été acquis, illustre à quel point les droits ne sont jamais véritablement acquis. À quel point quelque chose qui est juste, démocratique et équitable aujourd’hui pourrait être interdit demain. Ce qui vient de se passer au pays de l’Oncle Sam anéantit l’illusion que les progrès réalisés au cours des cinquante dernières années en matière de droits des femmes – aussi lents, progressifs et difficiles eussent-ils été – constitueraient un processus irréversible.

Une autre illusion consisterait à considérer cette régression sur le thème de l’avortement comme un phénomène purement américain. Non, la remise en question de ce droit n’agite pas les esprits qu’aux États-Unis. Et non, nous ne sommes pas immunisés, en Europe, contre l’avènement de personnages de la veine de Donald Trump, qui a créé cette nouvelle réalité par les juges qu’il a nommés à la Cour suprême.

Ce n’est pas un hasard si Stefaan Sintobin, ex-député flamand sous la bannière du Vlaams Belang, aujourd’hui conseiller communal à Bruges, a estimé opportun, dans la foulée des événements outre-Atlantique, de publier sur Twitter une photo d’un garçonnet blond enlaçant un ventre bien rond et bien blanc. Et de l’accompagner du slogan « Chaque rire d’enfant est la musique de demain » et du hashtag ProLife.

Il ne faut pas voir non plus une simple coïncidence dans le fait que l’ancien président du CD&V Joachim Coens a exigé que l’élargissement de la législation belge sur l’avortement soit mis au placard avant qu’il daigne se présenter comme membre du gouvernement Vivaldi. L’élargissement en question aurait pourtant permis d’aider chaque année des centaines de femmes contraintes aujourd’hui de se rendre aux Pays-Bas pour avorter parce qu’elles ne peuvent pas le faire en Belgique.

Cet exemple montre que des gens sont prêts à ronger nos droits chez nous également et illustre à quel point il reste incroyablement difficile d’étendre les droits des femmes à disposer librement de leur corps.

L’arrêt « Roe vs. Wade » démontre que nos droits ne sont jamais acquis. Ils sont sous pression, fragiles, et peuvent nous être retirés en un clin d’œil. Qui sait si, avant même que vous ayez eu le temps de vous en rendre compte, votre fille, comme votre grand-mère à l’époque, ne devra pas compter elle aussi sur le bon vouloir de monsieur le docteur ?

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