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10·07·19

La fin de la Belgique n’est pas une science-fiction

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

Photo by Kelly Sikkema on Unsplash

Auteur
Fabrice Claes
Traducteur Fabrice Claes

Filip Reyntjens, en plaidant ce 4 juillet dans nos colonnes pour un fédéralisme à douze provinces (les dix provinces actuelles, une pour Bruxelles et une pour les Cantons de l’Est, ndt), savait que son argumentaire n’allait convaincre personne. Mais ce faisant, il a pu démontrer, arguments à l’appui, que le principal vice de construction du pays, à savoir sa bipolarité, se heurte à de sérieuses limites. Par conséquent, il n’est pas si absurde de vouloir repenser l’organisation territoriale de notre pays.

Pensons donc l’impensable

Pour F. Reyntjens, juriste et politologue à l’université d’Anvers, la plupart des responsables politiques « affirment ne pas souhaiter la fin de la Belgique, mais leur incompétence ou leur mauvaise volonté quand il s’agit de sortir de l’impasse peuvent mener à ce scénario. » Ce constat me semble encore trop tendre. Ce sont deux partis, à savoir la N-VA et le Vlaams Belang, qui tiennent à ce que les autres restent dans l’impasse. Pensons donc l’impensable : il se peut que les élections de 2024 voient le Vlaams Belang et la N-VA obtenir une majorité absolue au Parlement flamand. Et si tel est le cas, les choses pourront évoluer très vite.

Sommes-nous tous devenus aveugles ? Les fidèles lecteurs de nos colonnes le savent très bien : depuis 2011, de nombreux articles et éditos font référence au final de la pièce de théâtre belge que joue la N-VA. Le 29 novembre 2011, lorsque le gouvernement Di Rupo s’est formé sans la N-VA, j’ai lu dans notre journal ce qui suit : « Quelles conclusions le parti va-t-il en tirer ? Voudra-t-il marquer des buts stériles depuis les bancs de l’opposition ? Ou jouer à fond la carte de la fin du pays ? »

Rendre plus fort son ennemi juré, le PS

Deux ans plus tard, à l’approche des élections de 2014 : « Le seul moyen (pour la N-VA) de conserver ou de renforcer sa position dominante, c’est de rendre plus fort son ennemi juré (le PS). Son discours a beau affirmer le contraire, le parti nationaliste demeure les yeux rivés sur la fin de la Belgique (De Standaard, 4 novembre 2013). Et ce 2 juillet, nous avons pu lire : « La scénario de la fin approche » et « il faut mettre en place une stratégie de guerre ».

Mais que signifie au juste ce « scénario de la fin » ? Pour le savoir, il faut relire ce que nous avions écrit le 27 juin 2014, peu après les élections législatives, à propos de De Wever : « Il se persuade progressivement que l’Histoire peut être de son côté. En tout cas, il accomplit le moindre de ses actes en fonction de cette conviction. Tout acte conscient, mais aussi tout événement, aussi inattendu soit-il, entre dans le cadre d’une grande pièce de théâtre. Une grande pièce interactive dans laquelle la déception joue un rôle central. » Et la scène belge « exige une discrétion à toute épreuve et un contrôle total de la troupe. »

Nous pouvons comparer cette pièce à un scénario vécu pendant la Deuxième Guerre mondiale. Pour se jouer des Anglais, les Allemands ont fourni aux services de renseignement britanniques des informations fausses qui ont coûté de nombreuses vies. Ainsi, comme l’a indiqué notre journal le 16 janvier 2016, la pièce belge consiste en « des scènes d’une guerre que le président de la N-VA a déclarée aux forces du statu quo. »

Une propagande quotidienne

Ces analyses furent suivies d’un silence aussi éloquent qu’inquiétant, en particulier après la comparaison avec la scène des Allemands face aux Anglais. Imaginons que l’opinion esquissée par notre journal s’approche la réalité et la frôle. Dans ce cas, il va falloir se poser des questions cruciales de nature politique et éthique. La pièce sur la fin de la Belgique s’avérera-t-elle plus importante que les figurants, à savoir les Flamands ? La population fera-t-elle office de victime collatérale ? D’autres partis que le Vlaams Belang vont-ils se présenter au casting ?

Nous savons depuis des années que seul un Flamand sur sept se déclare favorable à l’indépendance, une statistique qui dérange tout qui souhaiterait jouer le scénario de la fin jusqu’au bout. Qu’à cela ne tienne ! La solution a été trouvée il y a dix ans déjà : la doctrine Maddens, qui consiste à laisser sciemment les relations se dégrader entre les Flamands et les autres afin de rendre le divorce de plus en plus inévitable au fil du temps. En d’autres termes, il faut perturber au quotidien le fonctionnement de la machine fédérale jusqu’à ce qu’elle s’arrête d’elle-même.

Perturber au quotidien le fonctionnement de la machine fédérale jusqu’à ce qu’elle s’arrête d’elle-même.

Bart Maddens, politologue à la KUL, l’a affirmé lui-même : « Il va de soi que l’instabilité augmentera encore davantage si on suit ma stratégie. C’est d’ailleurs le but » (De Tijd, 13 juin 2009). Autant dire que cette doctrine n’a pas pris une ride.

Récemment, Maddens a ajouté un deuxième volet à sa doctrine. Il a affirmé, dans De Morgen ce 22 juin : « La N-VA a réuni un patrimoine de 35 millions d’euros. (…) En tant que partisan du mouvement flamand, je regrette que le parti n’utilise pas cette somme pour promouvoir la cause flamande et bâtir les fondements de l’indépendance de la Flandre. C’est pourquoi, dans les cinq années à venir, pas un jour ne devrait se passer sans que la N-VA ou le Vlaams Belang diffusent une vidéo dans l’air du temps qui cloue la Belgique au pilori. » L’idée est donc de présenter l’actualité de manière à convertir des âmes au séparatisme. Vous dites : « science-fiction » ? Nous répondons : « Brexit ». Rappelez-vous ce qui s’est passé avant le référendum.

Prague et Bratislava

Le Brexit n’est pas le seul exemple. Filip Reyntjens, avec qui nous avons entamé le présent article, a également fait référence à l’ex-Tchécoslovaquie, dont le système fédéral s’est soldé par un divorce. La vitesse à laquelle tout s’est joué fut spectaculaire. Lors des premières élections qui ont suivi la Révolution de Velours, en juin 1990, la question de la séparation du pays ne se posait quasiment pas. Il a ensuite suffi d’un parti, isolé, qui a mis la séparation sur le devant de la scène, une séparation qui ne séduisait au départ qu’un électeur sur sept. Dans le monde politique, tant à Prague qu’à Bratislava, une grande majorité des acteurs était favorable à l’unité du pays. Pourtant, fin juillet 1992, les chefs des gouvernements régionaux ont décidé que la cohabitation était devenue impossible. Le 1er janvier 1993, le divorce de velours était prononcé, même si la répartition du mobilier a nécessité six pénibles années de négociations.

Ce qui relève aujourd’hui du tabou peut donc évoluer de manière inattendue du virtuel au réel. Et dans le cas de la République tchèque, la réalité est celle d’un État corrompu (De Standaard, 28 juin 2019).

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