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27·05·16

La grève politique est une grève culturelle

Dans ce papier d’opinion, le Doorbraak, site d’information proche des mouvements flamingants, revient sur les nombreuses actions syndicales, grèves et autres manifestations qui touchent le pays depuis plusieurs mois. Si le texte est pour le moins cinglant, et qu’il est clairement susceptible de heurter certains esprits, DaarDaar a jugé pertinent de le publier en français, afin d’offrir à ses lecteurs une visibilité sur ce que pense l’aile nationaliste flamingante de cette situation.

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

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Un seul chiffre vaut parfois mieux que cent analyses: «les chemins de fer ont affrété huit trains supplémentaires pour acheminer les manifestants à Bruxelles, dont six en Wallonie». En ce printemps social chahuté, c’est donc à nouveau du sud du pays que nous provient la majorité des protestataires convoyés. Sous la frontière linguistique, les actions de grève sont toujours plus suivies, plus longues, plus fielleuses. Alors que les syndicats des gardiens de prison flamands se sont largement, et depuis longtemps, résignés à accepter la réforme de l’univers carcéral, leurs homologues francophones poursuivent sans relâche leur mouvement. Plus que jamais, l’épicentre du séisme social contre le gouvernement Michel se situe en terres wallonnes. Et dans la mesure où le PS règne toujours en maître sur cette région, des partis flamands comme la N-VA et l’Open Vld qualifient plus que jamais les mouvements de «grèves politiques». Et on en viendrait presque à le souhaiter. Mais en réalité, c’est encore bien pire.

Une «grève politique», c’est un peu comme un complot. Ce n’est pas une simple protestation contre la politique du gouvernement, car alors chaque manifestation ou chaque grève aurait pour ainsi dire une visée politique. Accuser une grève d’être politisée suggère l’idée d’une conspiration des syndicats, des organisations appartenant au mouvement et des instigateurs de la politique de parti. Une «grève politique» aurait été fomentée en coulisses par le président du PS, qui aurait fait cause commune avec le chef de la FGTB, les dirigeants des organisations de la société civile et quelques amis journalistes. Ce serait une opposition extraparlementaire, orchestrée par un parti frustré par la perte du pouvoir lors des dernières élections. Des manœuvres en apparence sinistres, mais qui resteraient, en définitive, passablement inoffensives, puisqu’elles ramèneraient le soulèvement social à une représentation de théâtre de rue, mise en scène par Elio et sa troupe.

Or, il convient plutôt de décrire la majorité de ces mouvements sociaux comme relevant d’une «grève culturelle». Les francophones ne manifestent pas pour obéir aux injonctions du parti socialiste, mais parce qu’ils rejettent foncièrement toute volonté d’économiser et de réformer. Les racines du mécontentement social ne sont pas ancrées dans la politique de parti, elles sont incrustées dans la culture de la société. La culture belge francophone se satisfait que nos dépenses publiques représentent 54 % de notre produit intérieur brut, ne voit rien d’excessif à ce qu’il y ait un gardien de prison pour 1,63 détenu, trouve qu’un déficit budgétaire n’est pas un problème en soi, assimile l’activation des chômeurs à une forme de harcèlement, croit qu’un passage massif à la prépension est un cadeau que nous faisons aux futures générations. Bien sûr, tous les Wallons n’ont pas cette opinion, mais toute culture a son courant idéologique et en Wallonie, ce dernier est archaïquement de gauche, socialement réactionnaire, et prédisposé au militantisme syndical. Le PS et le PTB sont une conséquence de cette culture, plus qu’ils n’en sont une cause.

Le mouvement dramatique des gardiens de prison illustre à la perfection cette «grève culturelle». Nombre de réformes que propose le ministre de la Justice ont déjà été spontanément mises en œuvre par les prisons flamandes il y a des années. Les gardiens de prison flamands ont analysé leur mode de fonctionnement, ont corrigé ce qui devait et ce qui pouvait l’être, et ont réalisé des économies, avec le soutien total et la collaboration de leurs représentants syndicaux. Aujourd’hui, ils défendent un nouveau modèle, plus moderne, et s’opposent à la folie gréviste de leurs camarades francophones. Les ailes syndicales francophones continuent de rejeter avec force la moindre suggestion de réorganisation, aussi infime soit-elle. Le saccage du cabinet de Koen Geens n’a en rien été condamné par les chefs de parti francophone, que du contraire. Leur lutte est profondément enracinée dans leur culture et perdure depuis des semaines.

Il est logique que des élus comme Bart De Wever continuent de parler de «grèves politiques». Simple stratégie de communication. Les élections de 2019 prendront la forme, du moins en partie, d’un référendum sur le retour du PS dans le cockpit fédéral. Les éternelles tensions entre la N-VA et les socialistes doivent être préservées et tous les problèmes du monde rejetés sur le plus grand parti que le sud du pays ait jamais connu. Mais un parti nationaliste devrait agir autrement. La fracture n’a pas été fabriquée artificiellement: elle incarne une frontière naturelle dans un pays à deux vitesses. L’embrasement social en Wallonie sociale dépasse largement le cadre de l’exercice rhétorique ou du spectacle pathétique: cette partie du monde vit tout simplement dans un siècle passé (dans le meilleur des cas, au XXe, mais même de ça, on peut en douter). Dans ce climat et dans cette culture, toute tentative de modernisation politique se heurtera donc inévitablement à une inflexible opposition.

Les belgicains doivent espérer que ces grèves ne sont que politiques. Le Projet Belgique survivra plus facilement à un vilain complot politique de l’opposition qu’au constat sans appel d’une scission idéologique intrinsèque, comme elle se dessine aujourd’hui. Si ce n’était qu’un complot politique, la dichotomie sociale et syndicale actuelle disparaîtra dès le retour du PS au gouvernement. Mais cela n’arrivera pas. La division des syndicats, qui ne préservent leur semblant d’unité que pour la forme, est plus ancienne que le gouvernement Michel et se poursuivra longtemps après la disparition de ce gouvernement de centre-droit. Nous n’assistons pas à un complot politique, mais à un clash culturel communautaire. Si les historiens écrivent demain le dernier chapitre de l’histoire d’une Belgique disparue, la grève culturelle qui gangrène aujourd’hui sa frange francophone y jouera assurément l’un des premiers rôles.

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