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07·12·15

Facebook, terrain de chasse privilégié des « groomers »

Temps de lecture : 5 minutes Crédit photo :

(cc) European Parliament

Phara de Aguirre
Auteur⸱e
Fabrice Pintiaux
Traducteur⸱trice Fabrice Pintiaux

[Opinion] Il est « terriblement facile » d’abuser sexuellement d’adolescents en créant un faux profil sur Facebook. Telle est la conclusion de la journaliste Phara de Aguirre, au terme d’une expérience menée dans le cadre de l’émission « Koppen » diffusée sur la première chaîne du service public flamand. 

Phara de Aguirre est journaliste au sein de la chaîne publique flamande VRT Nieuws. Ce texte traite d’un reportage réalisé dans le cadre de l’émission « Koppen » : Puis-je devenir ton ami ?, diffusée le mercredi 2 décembre 2015 à 21h25 sur la chaîne Eén.

Parfois, mon plus jeune fils est assis à côté de moi, dans mon bureau, complètement absorbé par son écran d’ordinateur. De temps à autre, je jette un petit coup d’œil sur le côté, et je vois ce à quoi je m’attendais : Facebook. Alors qu’il devrait être en train d’étudier. « C’est pour un travail de groupe, maman ». Pourtant, je vois bien quatre ou cinq messages instantanés au bas de l’écran. Un travail de groupe, pas du tout. La génération Facebook est passée maître dans l’art du multitalking.

Durant une semaine, un collègue et moi-même avons conversé sur Facebook, en nous faisant passer pour un adolescent de 13 ans. Tout a commencé par un court métrage américain sensationnel. Un homme tente d’obtenir un rendez-vous avec une jeune fille rencontrée sur Facebook, ou d’être invité chez elle au moment où les parents de cette dernière sont absents. Lorsque la fille se présente au rendez-vous, ou ouvre la porte, elle voit apparaître non seulement l’homme en question, mais également ses parents. La pauvre enfant est complètement affolée. Nous avons donc voulu savoir si c’était si facile que ça.

C’est alors que nous avons eu connaissance de l’expérience réalisée au sein de l’école Sint-Lutgardis de Mol. L’an passé, l’école a voulu donner une leçon originale aux élèves du premier degré. Ainsi, afin de lutter contre les cyberintimidations, le professeur d’informatique a créé un faux profil sur Facebook, et s’est fait passer pour une jeune fille de 14 ans. Ensuite, il a envoyé toute une série de demandes d’amitié. Plus de la moitié des élèves ont accepté l’invitation, sans se demander si cette fille existait vraiment. Mais quelle ne fut pas la stupéfaction de l’établissement scolaire lorsque leur faux profil a reçu une demande d’amitié de la part d’un homme qui n’avait pas que de bonnes intentions.

Un terrain de chasse nommé Facebook

Ces abuseurs sexuels sur Facebook, on les appelle des groomers. En décomposant le mot, on retrouve la racine « groom ». Il s’agit soit d’un substantif qui peut signifier valet d’écurie, chambellan, futur époux, soit d’un verbe que l’on peut traduire par soigner, préparer. Selon le dictionnaire Van Dale, les groomers sont des hommes qui tentent d’entrer en contact avec des enfants par le biais d’Internet, pour les abuser sexuellement. Ce sont des chasseurs, des collectionneurs d’expériences sexuelles, principalement avec des adolescentes, mais aussi avec des garçons.

Facebook est un terrain de chasse idéal pour les groomers. En effet, ce réseau social est un album de photos dans lequel il n’y a qu’à puiser, et qui permet, en outre, de trouver suffisamment d’informations afin d’approcher une proie : sa musique préférée, ses plats favoris, ses hobbies. Le jeune ne se sent pas bien dans sa peau, manque de confiance, le groomer le couvre de compliments. Le jeune a passé une mauvaise journée à l’école, le groomer prête une oreille attentive. Une dispute avec les parents, le groomer se montre patient et compréhensif. Parfois, il arrive que l’abuseur crée un faux profil et se fasse passer pour un ami du même âge, mais ce n’est pas toujours le cas.

Petit à petit, il gagne la confiance de ses victimes. Lentement, mais sûrement, il passe à l’étape suivante. « As-tu déjà des seins, puis-je les voir ? » À partir de cet instant, l’adolescente tombe dans le piège. « Si tu ne m’envoies pas maintenant une photo de ton vagin, je publierai la photo de tes seins. » « Si tu en parles à tes parents, je mettrai les photos sur Facebook. » « Si tu ne veux pas me rencontrer,… »

Une expérience

Peter De Waele, actuellement le porte-parole de la police fédérale, a longtemps été à la recherche de pédophiles, y compris sur Internet. Ainsi, il a connu des groomers qui discutaient en ligne avec pas moins de 30 jeunes filles en même temps, car si l’une d’entre elles se retirait, il en restait encore 29 autres. Durant sa carrière, il a également été confronté à des abuseurs qui possédaient sur leur ordinateur des photos d’au moins 200 adolescentes nues. Il a même connu des jeunes filles qui, chaque soir, devaient accomplir des actes sexuels devant l’ordinateur, sous la contrainte du groomer. Par ailleurs, il se rend compte que de nombreuses victimes n’oseront pas témoigner, car elles sont mortes de honte.

À la lumière de cet article, nous savons maintenant que c’est terriblement facile. Il suffit de se créer un faux profil, celui d’un garçon de 13 ans, d’inventer une histoire, et d’envoyer des demandes d’amitié à des jeunes de 12 ou 13 ans. Plus de la moitié de ces adolescents acceptent votre invitation, et un quart d’entre eux entament même une conversation en ligne. Les adresses, les numéros de téléphone, et les photos s’obtiennent sur simple demande. Il va de soi que nous n’avons pas demandé des photos nues de ces jeunes, mais je peux vous garantir que nous les aurions obtenues. Nous recevions également des tas de petits cœurs, et des « tu me manques », ou encore des « je t’aime ». Après seulement sept journées de conversations en ligne, nous avions déjà trois rendez-vous en vue d’une véritable rencontre.

Tout partager

Vous n’êtes pas obligés de me croire, car ce n’était qu’une expérience. Mais croyez alors les résultats de différentes enquêtes. Un adolescent flamand sur 10 âgé entre 9 et 16 ans rencontre réellement des personnes inconnues issues de contacts en ligne. 50% des parents ne sont pas au courant d’un rendez-vous avec une personne inconnue. Selon une enquête récente menée auprès de jeunes âgés entre 12 et 18 ans, une photo nue d’une adolescente sur 100 est diffusée sur les médias sociaux.

« Facebook vous permet de tout partager avec toutes les personnes qui comptent dans votre vie », tel est le slogan que je peux lire sur la page d’accueil de Facebook. J’espère que mon plus jeune fils ne partage pas tout avec tout le monde. Qu’il s’agisse ou non d’un travail de groupe.

Phara de Aguirre pour Deredactie.be

Traduit du néerlandais par Fabrice Pintiaux

Note de la rédaction: La justice interdit la diffusion du reportage de la VRT

Le reportage de l’émission Koppen réalisé par la journaliste Phara de Aguirre sur les dangers des réseaux sociaux auprès des jeunes n’a pas pu être diffusé comme prévu mercredi soir. Le tribunal de Bruxelles a en effet décidé en dernière minute d’interdire sa retransmission. « L’utilisation d’un profil Facebook fictif aurait porté atteinte à une personne portant un nom similaire à celui utilisé », explique la VRT. Dans le cadre de son enquête, la journaliste avait créé un faux compte afin de démontrer la facilité avec laquelle une personne mal intentionnée pouvait entrer en contact avec de jeunes adolescents. Le père d’un étudiant qui porte un nom ressemblant à celui employé dans le reportage a porté plainte en justice, exigeant une astreinte de 1 million d’euro en cas de diffusion. La VRT a annoncé ne pas en rester là et a introduit un appel. Le documentaire devrait être programmé la semaine prochaine.

Pour en savoir plus sur cette affaire, consultez l’article de Flandreinfo

 

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