On l’avait annoncé : ce 26 mai, jour d’élections, sera un dimanche noir. Il l’a bien été. Le énième épisode d’une série entamée en 1991, qui n’aura donc connu qu’une seule interruption.
Certes, dans les grandes villes, Groen a tiré son épingle du jeu. Certes, le PTB-PVDA, pour la première fois de son histoire, a grappillé des sièges. Mais la Flandre ne connaît qu’un seul vrai gagnant : le Vlaams Belang.
Le vote massif en faveur du parti extrémiste est un vote de rejet. Bien des Flamands estiment avoir de bonnes raisons d’éprouver de la colère contre le monde politique, à moins que ce ne soit envers la société. Dans un certain sens, on peut les comprendre.
Cette colère peut s’expliquer de nombreuses façons. Par le traitement des questions de migration et d’asile, par exemple. Sous l’impulsion de la N-VA, le gouvernement a mené une politique musclée, doublée d’une communication souvent plus musclée encore. C’est ainsi que la droite radicale a été éveillée de sa catalepsie politique.
Déjà au lendemain des élections communales, la N-VA a pris conscience que sa stratégie pourrait s’avérer désastreuse. Mais quand le diable est sorti de la boîte, allez donc l’y faire rentrer !
Colère, aussi, envers la fin tumultueuse et désolante du gouvernement fédéral, dans une coalition minée par des années de chamailleries et de sabotages. Cela aussi se reflète dans le résultat du scrutin. Et la N-VA n’est pas seule à y perdre des plumes : le CD&V, et dans une moindre mesure Open Vld, paye également les pots cassés. Comme le sp.a, ces partis flirtent de nouveau avec les scores électoraux les plus bas de leur histoire. L’effet Crevits ? Intéressant pour la télévision, mais visiblement pas pour les électeurs.
Il faut bien le dire : le gouvernement Michel avait cette particularité de beaucoup se préoccuper de lui-même. C’était bon pour les émissions de débats télévisés, mais moins pour le grand public qui, incrédule, assistait jour après jour au même spectacle avant de se lever, le lendemain matin, inquiet de son pouvoir d’achat et de ses fins de mois.
Qui sait, peut-être y a-t-il aussi de la colère envers l’attention excessive consacrée aux nouveaux thèmes que sont le climat ou la pollution de l’air. L’inquiétude à ce sujet reste parfaitement justifiée, mais comme le montre bien le résultat du scrutin, elle concerne surtout un public urbain, progressiste, avec un degré d’instruction élevé. Comme dans de nombreux autres pays, on observe une fracture entre l’électorat urbain et l’électorat rural, même si le Vlaams Belang gagne du terrain partout.
C’est de la somme de toutes ces colères, habilement avivées en sous-main via les réseaux sociaux, que le Vlaams Belang cueille les fruits. Ne sous-estimez pas cette stratégie médiatique : le Vlaams Belang est probablement le premier parti, dans l’histoire de la Belgique, à gagner une bataille électorale sur Internet.
Pour la N-VA, qui reste le premier parti de Flandre, le retour du Vlaams Belang pose avant tout un problème humain. Bart De Wever s’était fixé pour objectif de récupérer à son profit le nationalisme flamand, au détriment de la droite radicale et de l’extrême droite. Jusqu’au dimanche 26 mai, il avait rempli cette mission, mais cet héritage est aujourd’hui largement galvaudé.
Sur le plan stratégique, le problème est moins grand. En raison même du rebond du Vlaams Belang et du recul des partis plus centristes, la N-VA, même en ayant perdu des plumes, reste incontournable pour former une majorité en Flandre. Si Bart De Wever veut vraiment devenir ministre-président, nul ne pourra l’en empêcher.
Sauf qu’il lui reste un dilemme à trancher : que faire du cordon sanitaire ? Jean-Marie De Decker, sympathisant N-VA à temps partiel, s’est précipité pour trancher le cordon – sans étourdissement. On peut s’attendre à voir son appel largement partagé dans la base N-VA. Même chez Open Vld, on sent un bouillonnement de fond.
La N-VA n’a jamais souscrit au cordon sanitaire, même si dans la pratique, elle l’a toujours pratiqué. Si forte que soit la pression aujourd’hui, il faut espérer que cette attitude persiste.
Que l’on regarde les choses sous l’angle des principes ou du pragmatisme, force est de constater que les partis démocratiques n’ont avec le Vlaams Belang aucun terrain d’entente possible.
Qu’il s’agisse de leur politique migratoire, inhumaine, de leur volonté de scission du pays, absurde, de la folie budgétaire sur laquelle ils ont établi leur programme : aucun terrain d’entente possible.
Bien sûr, sur le cordon sanitaire, les opinions peuvent diverger. Bien sûr, les motivations des nombreux électeurs à teinter ce dimanche de noir méritent d’être écoutées attentivement. Mais une Flandre qui tolérerait la droite radicale au pouvoir se retrouverait isolée sur le plan national et international. Isolée par un cordon, si vous voulez.