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15 ans après Bye Bye Belgium, les francophones comprennent encore moins bien la Flandre
16·12·21

15 ans après Bye Bye Belgium, les francophones comprennent encore moins bien la Flandre

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

Depuis la diffusion en 2006, par la RTBF, de Bye Bye Belgium, les francophones comprennent encore moins bien la Flandre, écrit Luckas Vander Taelen, Bruxellois néerlandophone, homme de médias et ancien député flamand et européen Groen.

De nombreux Belges francophones se rappellent encore avec précision ce qu’ils étaient en train de faire le 13 décembre 2006, peu après huit heures du soir, lorsque la RTBF a interrompu ses émissions pour une édition spéciale du journal télévisé. François de Brigode, le visage du JT de la chaîne publique, apparut et prononça, la mine sombre, cette phrase historique : « L’heure est grave ! » Tout au début de l’émission, très brièvement, un écran avait annoncé : « Ceci n’est peut-être pas une fiction ». Et dans un coin de l’écran, on pouvait également apercevoir le logo d’une émission de reportages qui analysait l’actualité de manière ironique.

Pourtant, de l’ironie, il n’y en avait pas beaucoup dans la voix de De Brigode au moment de déclarer : « La Flandre a proclamé son indépendance. La Belgique, en tant que telle, n’existe plus. »

Bien sûr, la nouvelle était inventée de toutes pièces. L’édition spéciale, particulièrement réaliste, avait été préparée jusque dans le moindre détail pendant deux ans. Un reporter, posté devant le Palais royal, qui annonce que le roi a quitté le pays. Des images montrant Albert II en train de s’enfuir en voiture. Puis, Christophe Deborsu qui, devant un groupe de Flamands brandissant des drapeaux jaune et noir à l’entrée de leur Parlement, annonce que l’indépendance vient d’être proclamée sous les acclamations.

Mais la séquence qui a le plus marqué les esprits francophones fut la suivante : un tram bruxellois bloqué à la « frontière flamande » à Tervuren, et des passagers forcés de poursuivre leur trajet dans un bus flamand. Des ténors de la politique francophone sont aussi venus renforcer la crédibilité de l’émission par leurs témoignages dramatiques.

Une vague de panique

Pour les créateurs du concept, qui allait s’appeler Bye Bye Belgium, il était évident que les téléspectateurs comprendraient assez vite qu’il s’agissait d’une fiction. En effet, il suffisait de zapper sur RTL pour comprendre, vu que la chaîne privée ne parlait aucunement des « heures historiques » que traversait notre pays. Ou sur la VRT, qui diffusait un match de football.

Pourtant, la centrale téléphonique de la chaîne publique francophone était au bord de l’explosion. Les téléspectateurs, inquiets, avaient de nombreuses questions à poser. Certains, en larmes, ne trouvaient pas leurs mots. D’autres se sont immédiatement rendus au Palais, drapeaux belges à la main. Une vague de panique semblait tout à coup submerger la Belgique francophone, à telle enseigne que la direction de la chaîne décida de faire défiler sur l’écran les mots d’avertissement (« Ceci n’est peut-être pas une fiction ») du début de l’émission. Voyant que les esprits ne s’apaisaient pas, la direction dissipa les doutes en indiquant à l’écran que « Ceci est une fiction ». La direction s’imaginait alors que tout le monde comprendrait le canular, a fortiori lorsque De Brigode insinua qu’il s’agissait d’une fiction.

Mais rien n’y fit. La Belgique francophone resta hypnotisée devant cette fake news monumentale.

Le lendemain, les réactions furent particulièrement acerbes. Les experts des médias ne comprenaient pas comment le service Actualité de la RTBF avait pu se laisser abuser de la sorte. La presse étrangère consacra des articles à la possible séparation de la Belgique. Une chaîne de télévision américaine a même fait les gros titres sur la fin de notre pays pendant quelque temps. Quant au directeur de la Télévision de la RTBF de l’époque, le Français Yves Bigot, il a reconnu qu’un tel projet aurait été impensable dans son pays.

Pourtant, le réalisateur du reportage, Philippe Dutilleul, le père spirituel de l’expérience, a continué de défendre son idée. D’après lui, cette « nouvelle forme d’écriture télévisuelle » visait à susciter la réflexion sur l’avenir de notre pays.

Impérialisme flamand

Le problème, c’est que Bye Bye Belgium a eu exactement l’effet contraire. Alors qu’un reportage critique aurait pu montrer que seule une infime minorité des Flamands nourrissait l’espoir d’une indépendance, Dutilleul a opté pour le renforcement de clichés, et pas moins de 89 pour cent des téléspectateurs l’ont cru. Du côté francophone, pas la moindre autocritique : jamais il n’a été demandé à José Happart, présenté comme un homme d’État belge, pourquoi il ne posait sur son bureau qu’un drapeau wallon et un drapeau européen. Les bourgmestres des communes à facilités se plaignaient de « l’impérialisme flamand » et appelaient à la résistance. Du côté flamand, seuls des nationalistes radicaux comme Filip Dewinter avaient été mis en scène. De nuance, il n’en fut jamais question dans le reportage.

Dring Dring #5 : Les Flamands veulent-ils la fin de la Belgique ?

Peu après la diffusion, Dutilleul déclara dans un journal flamand : « Vous ne comprenez pas que la Flandre ne va pas bien. Ce n’est quand même pas pour rien que le Vlaams Blok récolte autant de voix ! » De nos jours, on entend encore souvent ce ton arrogant chez les francophones qui ne connaissent quasiment rien à la réalité de l’autre côté de la frontière linguistique, qui ne parlent pas un mot de néerlandais, qui n’ont jamais rencontré un Flamand, mais qui ont une opinion arrêtée sur la Flandre. Lorsque je parle avec mes amis francophones, je réalise à quel point ils connaissent mal cette autre partie de la Belgique, qui reste pour eux une terra incognita. Ils affirment, avec beaucoup d’aplomb, qu’il n’y a aucune différence entre la N-VA et le Vlaams Belang, et que bientôt, l’extrême droite sera au pouvoir en Flandre. Leurs avis sont souvent dépourvus de toute nuance, parce qu’ils ne consultent jamais les médias flamands.

Ce qu’ils prétendent savoir de la Flandre ne provient que de sources francophones

Ce qu’ils prétendent savoir de la Flandre ne provient que de sources francophones. Et lorsque je parle de la difficulté d’être traité en néerlandais dans les hôpitaux bruxellois et de l’humiliation que l’on ressent lorsqu’on se fait interpeler par un agent de police monolingue, ils me rient au nez en me traitant de flamingant. Par contre, ils trouvent tout à fait normal de ne pas parler néerlandais quand ils vont en Flandre…

Bien entendu, à l’inverse, peu de Flamands savent ce qu’il se passe en Wallonie. Dans un petit pays comme le nôtre, les médias devraient contribuer à mieux faire connaître l’autre communauté. Contrairement à ce qu’a fait Bye Bye Belgium. Cette « nouvelle forme d’écriture télévisuelle » n’aura fait que renforcer des stéréotypes qui ont la vie dure. Ce fut d’ailleurs le seul mérite de l’émission : elle a parfaitement dépeint l’image que de nombreux francophones se faisaient de la Flandre. Et 15 ans plus tard, rien n’a changé. Cette incompréhension persistante peut remercier Bye Bye Belgium.

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