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14·08·15

L’agenda secret (?) d’Erdogan

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

(cc) source medias-presse

Inge Vrancken
Auteur⸱e
Olivier Bourdouxhe
Traducteur⸱trice Olivier Bourdouxhe

Fin juillet, le gouvernement turc annonçait son intention de bombarder le groupe terroriste Etat islamique (EI). Nous ignorons cependant le nombre exact d’attaques turques menées jusqu’à présent contre l’organisation terroriste. Les annonces en provenance d’Ankara concernent principalement les bombardements sur le PKK kurde dans le nord de l’Irak et le sud-est de la Turquie. Le PKK semble rester l’ennemi numéro un de Reçep Tayyip Erdogan. La principale question à se poser porte surtout sur le prix que l’actuel président compte faire payer à son pays pour rester au pouvoir.

Le processus de paix entamé avec le PKK kurde – à l’initiative de l’actuel président Erdogan, et qui a débouché en 2013 sur une trêve historique – est mort. Faut-il s’en étonner ? Oui et non. Oui, parce qu’Erdogan lui-même a entamé les négociations en tant que premier ministre, faisant de lui le premier ministre turc à avoir fait davantage pour les Kurdes que tous ses prédécesseurs politiques. Non, parce qu’il est aussi aujourd’hui en grande partie responsable du déraillement du processus. Ainsi, alors que sa volonté de concrétiser ses ambitions politiques avait initié hier le lancement des pourparlers, son agenda personnel apparaît aujourd’hui également comme la cause de la déroute du processus.

Économique

D’un point de vue électoral, entamer les négociations avec les Kurdes n’était pas évident. Erdogan y est pourtant parvenu, en ciblant sa communication sur les répercussions économiques d’une telle trêve. Les conflits qui secouaient le pays depuis des décennies avaient déjà fait 40 000 victimes. Des rapports présentés à la population turque devaient montrer clairement le coût du « problème kurde. » Investi dans des projets constructifs, cet argent permettrait sans conteste à une famille turque moyenne de vivre mieux.

L’AKP doit former une coalition

Dépenser cet argent autrement et de manière plus utile, semble à présent ne plus constituer une priorité. Tout ici se résume à une question de situation politique. En particulier depuis les élections parlementaires du 7 juin. Pour la première fois en plus de 10 ans– et pour la première fois de son histoire – le parti AKP du président perd la majorité absolue au parlement et se voit contraint de former une coalition.

Ce résultat est lié notamment au succès du parti pro-Kurdes HDP qui a remporté 13 % des voix et qui, par son entrée au parlement, a mis l’AKP dans l’impossibilité d’obtenir une majorité absolue. Le premier ministre sortant Ahmet Davutoglu a encore jusqu’au 23 août pour former malgré tout une majorité. Le président Erdogan semble toutefois ne pas miser sur ce cheval. Il compte sur un nouveau scrutin, éventuellement à l’automne, dont l’issue serait différente de celle du 7 juin.

Un président assoiffé de pouvoir

La joie était pourtant énorme en cette chaude soirée du dimanche 7 juin. Les électeurs turcs de la gauche libérale et kurdes du HDP, menés par Selahattin Demirtas, dansaient, chantaient, applaudissaient et klaxonnaient. Fort d’une nouvelle majorité, Erdogan aurait en effet voulu réformer la constitution afin de conférer au président – lui-même – davantage de pouvoir, à l’instar du modèle américain. Ce plan tombait alors à l’eau.

Ceux qui fustigeaient la soif de pouvoir du président Erdogan, se réjouissaient et nourrissaient l’espoir que des changements interviendraient à l’issue des élections. Que le système fonctionne autrement, dès lors que l’AKP était désormais contraint d’entrer dans une coalition. Les électeurs anti-AKP voyaient en Selahattin Demirtas un dirigeant politique fort, comme la Turquie en a peu connu. Les électeurs AKP ont dû déchanter. À leurs yeux, le président Erdogan et son parti AKP restent la main forte dont la Turquie a besoin.

Escalade de la violence

Les dernières élections parlementaires ont détérioré les relations, déclenchant bien vite une escalade qui a culminé le 20 juillet à la suite d’un attentat à Suruc, où 32 jeunes turcs et Kurdes ont perdu la vie. Le coupable serait un fidèle turc de l’EI. Le PKK pointe toutefois les autorités turques comme indirectement responsables car, selon le parti, Ankara soutient l’EI, ou du moins le supporte et ne lui oppose aucune résistance. Le PKK s’en prend ensuite à son tour à des soldats et des agents turcs. Ankara décide alors de passer à l’action. Actions et réactions s’enchaînent.

Obama vise l’EI

Les Américains ne pouvaient que se réjouir à l’annonce de la Turquie de bombarder l’EI, Ankara ayant jusqu’alors refusé de participer à la coalition internationale contre ce groupe terroriste. Pourtant, les détracteurs d’Erdogan accusent maintenant le président et le gouvernement de détourner la lutte contre l’EI afin d’atteindre des cibles kurdes, purement pour des raisons d’agenda politique.

Aujourd’hui, la Turquie se retrouve dès lors dans une situation où elle s’attaque, à petite échelle, au problème de l’EI et, parallèlement – surtout – aux principaux et plus efficaces opposants de l’EI, autrement dit les combattants kurdes. Il s’agit d’une lutte cynique. Les Américains semblent accorder un peu de répit à la Turquie sur la question du PKK. Combattre l’EI et bénéficier de la collaboration turque sont à leurs yeux prioritaires. Ne serait-ce que parce que les Américains peuvent dorénavant faire décoller leurs avions de combat depuis le sol turc.

Le bourbier du Moyen-Orient

Dans l’attente de nouvelles élections – à supposer qu’elles aient lieu – Erdogan semble vouloir persuader la population que la stabilité de la Turquie n’est possible que lorsque l’AKP – seul – est au pouvoir. Les (principaux) représentants politiques du HDP sont accusés de « liens avec les terroristes du PKK » ainsi que « d’encourager et d’armer les manifestants ».

Le président Erdogan veut que la justice lève l’immunité de Selahattin Demirtas. Au travers de toutes ces actions, il cherche avant tout à ce que le HDP passe à nouveau sous la barre élevée des 10 % et que s’ouvre ainsi la voie vers la réforme constitutionnelle qu’il souhaite.

« Les bombardements visant le PKK kurde n’ont pour d’autre but que d’assurer une victoire politique », aux dires de Selahattin Demirtas, interviewé à plusieurs reprises, notamment par les collègues néerlandais de Nieuwsuur. Si tel est le cas, Erdogan joue une carte très dangereuse car un enlisement de la Turquie dans le chaos et la violence plongera le Moyen-Orient dans un bourbier encore plus grand, où toute lueur d’espoir risque chaque jour de s’éteindre un peu plus vite.

Inge Vrancken est commentatrice du Moyen-Orient pour VRT nieuws.

L’article original en VO

Traduit du néerlandais par Olivier Bourdouxhe

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