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27·01·16

La Belgique joue-t-elle encore un rôle en Afrique?

Temps de lecture : 5 minutes Crédit photo :

(c) jbdodane

Peter Verlinden
Auteur⸱e
Thiphaine Booms
Traducteur⸱trice Thiphaine Booms

Presque cinq jours entiers sur les routes d’Afrique occidentale en compagnie de deux responsables politiques belges d’envergure : l’observateur de l’Afrique pourrait penser que la Belgique entend effectivement jouer un rôle sur le continent le plus pauvre de la planète. Pauvre, du moins pour ce qui est de ses habitants. Car pour le reste, l’Afrique foisonne de possibilités, de ressources naturelles, en surface et sous la terre, d’une population jeune et énergique, et de tonnes de bonne volonté. La Belgique, cet ancien colonisateur du grand Congo, (probablement) le pays le plus riche d’Afrique, aurait-elle encore l’ambition d’apporter quelque chose à ces hommes, femmes et enfants africains qui, comme tout citoyen du monde, ont eux aussi le droit de profiter de ce que notre planète a à offrir ? 

Tout porte à le croire, même si les plans prometteurs de la Belgique pour la Guinée Conakry et le Burkina Faso, les deux nouveaux partenaires de la coopération belge, masquent mal l’incapacité à pouvoir encore agir sur le noyau dur de cette même coopération au développement : la région des Grands Lacs, au Congo-Kinshasa, au Rwanda et au Burundi.

De bons auspices

Voilà bien longtemps que deux membres du gouvernement belge, en l’occurrence le vice-Premier ministre et ministre de la Coopération au développement Alexander De Croo, et le secrétaire d’État au Commerce extérieur Pieter De Crem, avaient reçu un accueil si chaleureux dans un pays africain.

En Guinée, la demi-heure d’audience initialement prévue avec le président s’est transformée en un long déjeuner privé, suivi le soir même d’un banquet officiel. L’allure toute française du président fraîchement réélu, ancien opposant ayant résidé 50 ans en France, a séduit les hommes politiques belges. C’est donc l’esprit serein qu’ils ont pu se rendre ensuite au Burkina Faso.

Là-bas, le nouveau président, fruit de la démocratisation menée en un temps record d’à peine un an et demi, a même accordé avec le sourire une interview à la presse belge accompagnant la délégation. L’occasion pour l’homme d’État de renouveler ses promesses de démocratie, précisément ce pour quoi les visiteurs avaient fait le déplacement.

Dans ces deux pays, les entreprises belges et les coopérants espèrent pouvoir prendre un nouveau départ et aboutir rapidement à des résultats concrets. La politique locale souhaite accéder à un environnement démocratique, et ce dans des pays où ce n’est pas le travail qui manque. Des succès en perspective dans les années qui viennent, c’est ce qu’espèrent en tout cas le Commerce extérieur et la Coopération au développement. Si tout se passe comme prévu, Messieurs De Croo en De Crem pourront, avant même la fin de leur mandat, triompher à coups de communiqués retentissants sur les résultats obtenus en Afrique occidentale.

Mais pour l’Afrique, les choses pourraient bien en rester là. Et voilà justement le talon d’Achille de cette politique africaine, qui en réalité n’en est pas une.

Une politique africaine inexistante

L’année dernière, cela faisait exactement vingt (sic !) ans qu’un gouvernement belge avait pour la dernière fois défini clairement sa politique africaine : la note de politique africaine de Frank Vandenbroucke, (alors) ministre des Affaires étrangères. Depuis, aucun gouvernement n’a plus voulu – ou pu – mettre sur papier l’orientation réellement souhaitée de la politique belge en Afrique.

Le gouvernement actuel ne fait pas exception à la règle.

C’est peut-être aussi la raison pour laquelle ces ministres subalternes de la politique étrangère belge (Coopération au développement et Commerce extérieur) s’aventurent si volontiers et avec un soulagement manifeste sur des terrains qui, pour une fois, font l’unanimité. Qui pourrait s’opposer au soutien de la Belgique à l’égard d’un pays qui se remet tout juste de la crise Ebola (Guinée), et où les démocraties naissantes méritent tout le soutien possible (Guinée et Burkina Faso) ? Certainement pas le numéro un des Affaires étrangères, également vice-premier, Didier Reynders. Car en se rendant dans les pays d’Afrique de l’Ouest, ces voyageurs belges s’épargnent des déconvenues politiques en évitant de se frotter aux dossiers épineux de l’Afrique centrale, à savoir le Congo, le Rwanda et le Burundi, les trois seuls pays où, traditionnellement, la Belgique représente (ou représentait ?) encore quelque chose.

Il est en effet beaucoup plus difficile, pour ne pas dire impossible, d’obtenir de l’ensemble des gouvernants belges concernés un consensus sur la récente prise de pouvoir et la violation de la Constitution par le président burundais Petero Nkurunziza, sur les manœuvres sournoises du président congolais Kabila pour demeurer au pouvoir après 2016, et sur le régime répressif du dictateur rwandais Paul Kagame, lequel s’est assuré de son mandat jusqu’en… 2034, si bon lui semble.

Pourtant, ces trois pays (l’ancienne « Afrique belge ») sont de loin les plus étudiés en Belgique, et ce depuis plus d’un siècle. Ce sont également les trois seuls pays pour lesquels, dans les cénacles internationaux, on prête encore attention aux analyses des diplomates belges. Dans le monde universitaire belge, le savoir accumulé sur le Congo, le Rwanda et le Burundi est plus abondant que les travaux concernant tous les autres pays africains réunis, et le rythme de cette accumulation n’a pas fléchi, fort heureusement.

Seuls les responsables politiques et les médias de masse restent à la traîne. Les médias de masse, parce qu’ils se plient toujours aux caprices de leurs responsables politiques ; et les responsables politiques, parce qu’ils échouent à se mettre d’accord entre eux, préférant rester loin des sujets brûlants. Mieux vaut éviter de prendre position sur les questions africaines sensibles, quitte à renoncer à une politique digne de ce nom, plutôt que d’exposer au grand jour les discordances dans les rangs du gouvernement.

Où est le courage ?

D’où le mutisme assourdissant régnant sur la corruption politique et économique à Kinshasa, Congo, et sur la prise de pouvoir dictatoriale à Kigali, Rwanda. Même le département d’État américain et la Maison Blanche se sont montrés plus courageux et critiques à l’égard des aberrants régimes des présidents Kabila et Kagame, que Bruxelles, emmurée dans son silence. Il a fallu que l’Europe se livre à une remarque critique pour que le gouvernement belge ose timidement prendre position. Mais en sourdine… et de préférence sans faire de remous.

Seul le Burundi, en proie à des troubles politiques et militaires, s’est fait taper sur les doigts en octobre dernier par un Alexander De Croo sévère, ministre de la Coopération au développement, avec des coupes rigoureuses dans le budget de développement prévu pour Bujumbura. Mais à peine deux mois plus tard, son collègue aux Affaires étrangères Didier Reynders a accueilli à bras ouverts son homologue burundais, avec lequel il s’est prêté tout sourire à la séance photo du communiqué de rigueur. Le ministre belge s’est contenté d’exprimer sa « préoccupation (…) au sujet de la situation politique et sécuritaire au Burundi » et d’appeler à « prendre résolument le chemin du dialogue ». Un langage diplomatique pour dire que le régime burundais n’a pas à craindre un gouvernement belge pugnace, pas plus d’ailleurs que les régimes du Congo et du Rwanda : ce gouvernement belge n’a en effet aucunement l’intention d’intervenir de manière décisive dans les développements de la région des Grands Lacs. Si les dictateurs aguerris ou débutants ont quelque chose à craindre de la communauté internationale, l’initiative ne viendra certainement pas de la Belgique.

Une vision défaillante

Le défaut de vision (centre-)africaine commune au sein du gouvernement belge n’est pas une aubaine pour les citoyens belges et africains engagés qui, portés par l’énergie du désespoir, continuent à œuvrer pour plus de justice, de liberté, de respect des droits de l’homme, bref, pour une réelle avancée en faveur d’une vie meilleure pour leurs concitoyens (également) au Congo, Rwanda et Burundi. Ces militants se sentent bien souvent à juste titre laissés pour compte. Pourtant, ce soutien de l’extérieur est vital pour pouvoir progresser en direction d’une première lueur de « démocratie », le véritable pouvoir du peuple à décider de son sort, a fortiori dans les pays où prédominent la répression et la corruption.

Comme par hasard, c’est justement au Burkina Faso, ce nouveau partenaire de la coopération belge au développement, que le processus démocratique a bénéficié depuis tant d’années des fonds belges de coopération. À présent que ce mouvement a franchi une étape importante, les responsables politiques belges s’attribuent le mérite d’avoir fait des choix pertinents durant toutes ces années.

Mais pour faire ces mêmes choix dans les trois pays représentant les partenaires majeurs de la coopération belge au développement, il faudrait davantage de courage et de vision.

Un courage et une vision qui, pour l’heure, font cruellement défaut au gouvernement belge.

Peter Verlinden est journaliste pour la VRT. Depuis plus de vingt-cinq ans, il suit de près l’Afrique et la politique belge de développement.

Article en V.O. sur deredactie.be 

Traduit du néerlandais par Thiphaine Booms-Fromont

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