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28·11·16

La justice belge viole le secret des sources et crée un dangereux précédent

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

(c) Chris Banter

Selon Pol Deltour, secrétaire général de l’Association flamande des journalistes (VVJ), le parquet de Bruges a commis une grave erreur en décidant de poursuivre Bart Aerts pour « abus du droit de consultation et de copie » dans l’affaire de l’assassinat du châtelain de Wingene. Le journaliste de la VRT s’était procuré des extraits d’écoutes téléphoniques donnant à penser que la justice aurait pu faire l’objet de tentatives d’influence.

Pour ceux qui croyaient que les journalistes étaient correctement protégés dans ce pays en matière de secret des sources de l’information, la désillusion est de taille. La Belgique était en effet considérée comme l’un des pays les plus libres et les plus démocratiques qui soient dans ce domaine à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, après les perquisitions menées au domicile de Bart Aerts et la saisie de son téléphone dans le cadre de l’affaire de l’assassinat du châtelain de Wingene, cette belle image paraît bien écornée.

À travers ses deux perquisitions, la juge d’instruction de Bruges, Christine Pottiez, a commis deux violations flagrantes de la loi de 2015 sur la protection des sources journalistiques ». Pourrait-on imaginer que le parquet fasse ainsi irruption chez un avocat pour aller mettre son nez dans ses dossiers ? Ou que des policiers écoutent les conversations téléphoniques ou lisent les e-mails d’un médecin lors d’une enquête sur un patient ? Pas le moins du monde. C’est pourtant exactement ce qu’il s’est produit lorsque des représentants de la justice et des forces de l’ordre ont débarqué chez notre confrère de la VRT.

Par définition, le (bon) journalisme implique la confidentialité des sources d’informations et la protection de personnes qui, pour quelque raison que ce soit, ne peuvent ou ne veulent pas que leur identité soit associée à leurs déclarations. Si l’État se met à révéler au grand jour les auteurs de ces contacts informels, il prive les journalistes d’une part fondamentale de leur liberté. Et ces journalistes, tout comme leurs sources informelles, se voient alors réduits au silence. Quel initié osera encore donner l’alerte et contacter un journaliste si ce dernier n’est plus digne de sa confiance ?

Une bonne loi

L’État Belgique avait dû passer par une condamnation à Strasbourg pour le comprendre. En 2005, une loi de grande qualité officialisait enfin le droit des journalistes à la protection de leurs sources. En d’autres termes : les journalistes pouvaient invoquer une immunité contre les perquisitions, les écoutes téléphoniques, le traçage d’emails ou toute forme de surveillance de leurs communications. La seule exception portait sur « les infractions constituant une menace grave pour l’intégrité physique » (les affaires de terrorisme, par exemple).

Mais le bon sens doit obliger la justice à reconnaître que dans l’affaire de l’assassinat du châtelain de Wingene, il n’en est aucunement question. Qu’un journaliste soit interrogé sur ses sources, on peut le tolérer : chacun a la liberté de poser des questions, même une juge d’instruction et ses enquêteurs. Mais une perquisition chez un journaliste est tout simplement interdite par la loi. De même d’ailleurs que la saisie de son téléphone portable et la lecture des données qu’il contient. Dans ces deux cas, il s’agit d’une violation évidente de la loi de 2005 sur la protection des sources journalistiques.

Un tournant

La juge instruction de Bruges a ainsi donné un sérieux tournant à son enquête. Le chef d’accusation fait état d’une corréité d’abus de droit de consultation dans le dossier répressif de l’assassinat du châtelain de Wingene.

Peter Gyselbrecht, fils du Docteur André Gyselbrecht, principal suspect dans le dossier, est l’auteur des faits. Son fils a en outre reconnu avoir transmis des informations du dossier répressif à la VRT. Mais même dans ce contexte – il est important de le souligner –, la justice n’a aucun droit de révéler les canaux informations d’un journaliste. Et certainement pas lorsque ce journaliste a fait valoir dès le départ, et à juste titre, son droit à la protection des sources.

Koen Geens, le ministre de la Justice (CD&V), a laissé entendre à plusieurs reprises qu’il souhaitait garantir une meilleure protection du secret de l’instruction et qu’il souhaitait se montrer plus ferme vis-à-vis des fuites dans la presse. L’establishment judiciaire – excusez l’emploi de ce mot à la mode –dit partager cette volonté.

Si le mode opératoire du parquet de Bruges reflète la façon dont la justice souhaite aborder le problème, cette dernière risque d’être bien déçue. Les pratiques du parquet de Bruges dans ce dossier relèvent ni plus ni moins d’une grave atteinte au secret des sources journalistiques. Et il est bien dommage que nous devions à nouveau nous adresser à la Cour européenne de droits de l’homme de Strasbourg pour le faire comprendre au ministre et à ses magistrats.

Corréité ?

Le ministre ferait peut-être mieux de travailler à l’« affinage » de la loi de 2005 afin de colmater les brèches par lesquelles le parquet de Bruges essaie de s’engouffrer. La loi stipule déjà que les poursuites pour recel ou complicité de violation du secret professionnel ne peuvent pas servir de motif pour contourner le secret des sources journalistiques. Il suffit – pour le moment en tout cas – d’y ajouter les poursuites pour « corréité ou complicité d’abus du droit de consultation et de copie dans les dossiers répressifs ».

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