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Le péage routier, une question de volonté
26·10·20

Le péage routier, une question de volonté

Bruno Blondé est professeur d’Histoire à l’Université d’Anvers.

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

Crédit: Jerzy Górecki via Pixabay

Auteur⸱e
Maxime Kinique
Traducteur Maxime Kinique

L’idée d’une taxe kilométrique n’est pas neuve, loin de là. Ce qui est nouveau, par contre, c’est le fait de la rejeter au motif qu’elle ne serait rien d’autre qu’une tracasserie de plus. Au dix-huitième siècle, les « droits de barrière » étaient encore perçus comme « très justes » et « très raisonnables ».

Smartmove, le « péage urbain » bruxellois, est appelé à devenir une taxe kilométrique intelligente, dont le montant variera selon la puissance de la voiture et le moment où l’automobiliste roule à Bruxelles ou y pénètre. Avec ce projet, le gouvernement rejoint la ligne tracée précédemment par des économistes des transports, des services publics et des organisations patronales. Une taxe kilométrique intelligente, c’est mieux pour les embouteillages, l’environnement, la qualité de l’air, les accidents et l’économie. Le fait est, toutefois, que les voitures sont déjà lourdement taxées dans notre pays. C’est pourquoi, dans un monde idéal, la politique fiscale censée encadrer un tel système de tarification routière devrait faire l’objet d’un minimum de concertation entre les différents niveaux de pouvoir.

De cela, le ministre-président flamand Jan Jambon (N-VA) n’a eu cure fin 2019 lorsqu’il a annoncé que la Flandre se retirait du projet. Les résultats d’une étude commanditée par le gouvernement flamand lui-même ont été rejetés sans ménagements, faute de « soutien ». Et pendant que cette décision contraint Bruxelles à la jouer solo, plusieurs personnalités se sont empressées de monter au créneau afin de dénoncer le projet bruxellois de taxe kilométrique comme une « tracasserie » qui pénalisera le navetteur flamand.

Des routes vite rendues impraticables

Il n’en a pas toujours été ainsi. La probabilité qu’elles passent le stade des qualifications est faible, mais permettez-moi tout de même de proposer officiellement la candidature des « barrières » qui se dressaient jadis le long de nos vieilles chaussées au titre de canon de l’histoire de Flandre. Au dix-huitième siècle, nous pouvions en effet nous targuer de posséder l’un des meilleurs réseaux routiers au monde et ce réseau que d’aucuns nous enviaient, c’est à un système de taxation routière – oui oui, vous avez bien lu ! – que nous le devions. Avant les années 1700, la plupart de nos routes se trouvaient dans un état lamentable. À l’époque, si vous vouliez vous rendre d’Anvers à Bruxelles, vous deviez emprunter des chemins de sable très mal entretenus. Il suffisait alors qu’une « bonne drache » s’abatte sur la région pour que ces chemins de sable soient aussitôt transformés en bourbier impraticable dans lequel aucun conducteur de charrette ou de carrosse n’aurait osé s’aventurer.

En 1701, l’administration communale malinoise se plaint que la chaussée dans la région de Vilvorde soit longtemps restée impraticable « à cause des pluies incessantes, de la neige et des autres désagréments de l’hiver, obligeant ainsi les passagers à se déplacer à pied. » Les choses vont donc changer par la suite. Une première action d’envergure sera réalisée au début du siècle et consistera à relier toutes les grandes villes entre elles par des routes pavées modernes. Plus tard, sous domination autrichienne, ce seront surtout les autorités locales qui relieront les villes plus modestes au réseau principal.

Ces autorités devront pour ce faire s’endetter lourdement, mais l’envie de rejoindre un réseau moderne est trop forte. Les avantages, il est vrai, sont énormes. Primo, il faut beaucoup moins de chevaux pour transporter un chargement identique sur une route pavée que sur un chemin de sable. Alors qu’une journée entière était auparavant nécessaire pour rallier La Hulpe au départ de Bruxelles avec une charrette tirée par quatre chevaux, effectuer le même trajet sur une chaussée moderne ne prend désormais plus que trois heures et ne nécessite plus que trois chevaux. Couplée à une bonne régulation du cycle de l’eau avec des arbres et des fossés, l’utilisation de pavés permettra à ces chaussées modernes d’être praticables en toutes circonstances. De manière surprenante, certaines routes seront déjà victimes de leur succès à cette époque. La circulation s’intensifie, générant un certain nombre de problèmes (embouteillages, retard, camions surchargés, stationnements sauvages, etc.). Ces problèmes de circulation prendront une tournure pleinement moderne lorsque Marie-Thérèse d’Autriche, notre « bonne impératrice », estimera nécessaire, en 1766, d’annoncer des amendes sévères pour les usagers qui ne respecteront pas les règles. Il n’en demeure pas moins, toutefois, que ces chaussées seront une réussite, un moteur de croissance économique.

Un sou de péage pour le cavalier sur son cheval

Si, aujourd’hui, nos politiciens ne parviennent pas à s’entendre autour d’un système de tarification routière alors que tous les scientifiques les encouragent dans ce sens, la situation était différente au siècle des Lumières. Le pouvoir en place à l’époque devra emprunter des sommes considérables afin de construire les nouvelles routes, mais ces dettes seront apurées grâce à l’instauration d’une taxe kilométrique. Pour garantir le prélèvement de cette taxe, une barrière sera placée le long des chaussées, tous les 5 kilomètres environ. Les usagers passant par là devront payer un péage, qui varie en fonction du nombre de chevaux de l’attelage. Sur la plupart des routes, un cavalier se déplaçant à cheval devra acquitter un sou alors que pour une charrette tirée par un cheval, on passe déjà au double du prix. Pour un carrosse tracté par quatre chevaux, il faudra débourser cinq sous et ce tarif augmentera proportionnellement au nombre de chevaux de l’attelage. Il est important de souligner que personne à l’époque ne considère ces droits de barrière comme une véritable taxe.


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Des conseillers du Conseil des finances (sorte de ministère des Affaires économiques de l’époque) ont défini ce système dans les termes suivants: « une redistribution du bénéfice qui revient à tous ceux qui se servent de ces chaussées, étant très juste, et très raisonnable que ceux qui jouissent de la commodité d’un ouvrage publique (Note du traducteur : sic), contribuent aux frais de son entretien » – « il est très juste et raisonnable que toute personne jouissant du confort de travaux publics participe aux frais d’entretien de ces derniers ».

Présenter ce concept de tarification routière comme une tracasserie va également à l’encontre de l’expertise scientifique, comme le démontre l’analyse de l’économiste des transports Bruno De Borger publiée l’an dernier dans ce journal (DS du 8 décembre 2019).

Il reste des pierres d’achoppement, c’est vrai, à commencer par l’accessibilité sociale. Bruxelles est l’une des capitales européennes qui génèrent les plus hauts revenus, mais le revenu moyen de sa population est inférieur de 25 % à celui de la Fandre. Une partie de la richesse créée dans la capitale fait chaque jour « la navette » vers la Flandre et la Wallonie, mais tous les navetteurs ne gagnent pas de l’or en barre, loin de là.

La tarification routière n’est que l’un des nombreux dossiers concrets où il faudra faire mieux en termes de lutte contre les dérèglements climatiques et les inégalités sociales. Mais quand on veut, on peut ! Au dix-huitième siècle également, on a dû accorder des réductions aux fermiers afin qu’ils puissent emprunter les chaussées. Créer une adhésion au sein de la population, c’est possible !

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