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Dans le bâtiment, le « sale boulot », c’est pour les étrangers
22·06·21

Dans le bâtiment, le « sale boulot », c’est pour les étrangers

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

(cc) Cegoh via Pixabay

Joanie De Rijke
Auteur⸱e
Fabrice Claes
Traducteur Fabrice Claes

L’effondrement d’une école en construction dans le quartier de Nieuw Zuid à Anvers a fait cinq morts : quatre Portugais et un Moldave. Les nationalités des victimes ne sont pas le fruit du hasard. En effet, il n’est pas rare que les sous-traitants du secteur de la construction embauchent des ouvriers étrangers.

Étant donné le manque de main d’œuvre locale, le secteur du bâtiment belge doit, depuis des années, faire appel à des travailleurs étrangers. La législation européenne impose que ceux-ci gagnent un salaire identique à celui des travailleurs belges, mais aussi, en principe, qu’ils travaillent dans des conditions de sécurité dignes de ce nom. Pourtant, il s’avère souvent que, pour des raisons financières, la sécurité soit compromise.

Trois méthodes

« Les travailleurs étrangers dans le bâtiment coûtent souvent moins cher, explique Stijn Baert (UGent). Et malgré la législation européenne, il existe des échappatoires permettant d’engager des travailleurs d’autres pays de l’UE à moindre coût. Par le biais de la sécurité sociale, par exemple : lorsqu’un entrepreneur engage un travailleur de Pologne ou du Portugal, où la sécurité sociale coûte bien moins cher que chez nous, il paie évidemment moins de cotisations sociales. Une autre méthode est d’engager un sous-traitant étranger qui paie ses ouvriers conformément aux normes salariales et sociales de son propre pays. C’est ainsi qu’une entreprise belge peut parfaitement demander à une société polonaise d’exécuter certains travaux dans notre pays. Une troisième méthode pour diminuer les coûts consiste à engager un travailleur indépendant qui n’a pas été enregistré en Belgique. »

Les cinq victimes du chantier anversois travaillaient pour des sous-traitants engagés par Democo, l’entrepreneur principal, comme le confirme l’entreprise limbourgeoise. « Bien entendu, cela ne signifie pas automatiquement que la société n’a pas respecté les règlements en vigueur, nuance Patrick Vandenberghe, président de la CSC Bâtiment-Industrie-Énergie (CSCBIE). D’ailleurs, ces dernières années, la Belgique n’a fait que renforcer le contrôle et les réglementations en la matière. Il faut attendre les résultats de l’enquête, mais nous sommes prêts à soutenir les travailleurs touchés et leurs familles. Normalement, nous ne le faisons que pour nos membres, mais cette fois-ci, nous souhaitons nous constituer partie civile. »

En effet, pour la CSCBIE, lorsque les sous-traitants n’assurent pas les incidents tels que ceux survenus à Anvers, c’est à l’entrepreneur principal d’assumer la responsabilité.

Problème du dumping social

Quoi qu’il en soit, l’accident soulève des questions sur le système du détachement. Selon la CSCBIE, le secteur du bâtiment emploie 70 000 travailleurs étrangers pour 200 000 travailleurs belges.

« Parmi eux, beaucoup travaillent à titre d’indépendant, déclare P. Vandenberghe. C’est tout à fait légal : au niveau européen, il suffit d’une attestation A1 pour détacher un travailleur dans le secteur de la construction. Mais il y a aussi un problème de procédures d’embauche illégales, ou, en d’autres termes, de dumping social : des travailleurs détachés perçoivent un salaire moindre de la part d’employeurs souvent véreux qui s’organisent en réseaux de sous-traitants. »

La sécurité des étrangers doit faire l’objet d’une attention supplémentaire, estime P. Vandenberghe, « car avec une longue chaîne de sous-traitants, on ne sait plus, à la longue, qui travaille sur certains chantiers. Puis, comme beaucoup de travailleurs ne maîtrisent pas l’anglais, ils ne comprennent pas les règles de sécurité. »

Salaires d’un côté, sécurité sociale de l’autre

La sécurité sociale représente un autre risque pour la sécurité tout court. Même lorsque l’embauche est tout à fait légale, dans la mesure où la loi ne s’intéresse qu’au paiement correct des salaires, la sécurité sociale des travailleurs étrangers dépend de leur pays d’origine, vu qu’ils ne sont pas inscrits dans notre pays. Et dans leur pays, la situation est souvent très différente. Lorsque quelque chose tourne mal pour le travailleur, celui-ci perçoit alors beaucoup moins d’argent que s’il avait payé ses cotisations sociales en Belgique. « Les travailleurs étrangers font le bonheur des employeurs parce qu’ils coûtent moins en sécurité sociale. Mais en cas de problème, le travailleur sent qu’il a moins cotisé », relève Stijn Baert.

La CSCBIE souhaite encourager le ministre du Travail Pierre-Yves Dermagne (PS) à exiger une amélioration des conditions de travail : « Nous plaidons pour une attestation qui prouverait qu’une formation à la sécurité a bien été suivie par les travailleurs d’un chantier. Nous pensons également que des interprètes pourraient être engagés afin de bien pouvoir faire comprendre les instructions. Il faudrait également instaurer un système de check-in et de check-out lorsqu’un travailleur arrive sur le chantier ou le quitte, afin de savoir à tout moment qui travaille sur le chantier. »

Rendre le « sale boulot » plus attirant

Apparemment, les solutions simples n’existent pas. Aussi, dans le secteur du bâtiment, de nombreux métiers sont en pénurie. « Il s’agit du « sale boulot » que les Belges n’aiment pas faire, précise Stijn Baert. Je pense par exemple aux enleveurs d’amiante, aux charpentiers, aux plafonneurs et aux placeurs de conduites. Vu que ces métiers n’intéressent pas les nombreux chômeurs flamands, les sociétés de construction cherchent leur main d’œuvre à l’étranger. Il faut dire que ce ne sont pas toujours les emplois les mieux payés. Compte tenu des frais de déplacement et de garderie pour les enfants, le revenu ne diffère pas beaucoup des allocations de chômage. »

Si nous voulons rendre le travail plus attirant, il faut augmenter les salaires, conclut Stijn Baert. « Mais il s’agit d’un exercice périlleux pour les politiques, car s’ils baissent les impôts sur le travail, ils vont devoir chercher l’argent ailleurs. Aussi, il serait intéressant que les marchés du travail de l’UE s’harmonisent davantage afin que disparaissent ces différences entre les différents systèmes de sécurité sociale. »

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