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Traiter Jan Jambon de fasciste: un choix de mot malheureux
21·02·20

Traiter Jan Jambon de fasciste: un choix de mot malheureux

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

(cc) Pixabay

Auteur⸱e
Dominique Jonkers
Traducteur Dominique Jonkers

La soirée de remise des Prix de la Culture de la Région flamande, les « Ultimas », bat son plein. Dans un instant, le ministre-président flamand chargé de la Culture, Jan Jambon (N-VA) va subir un lancer de tomates. Depuis la salle, jaillit le cri d’un spectateur : « Fasciste ! ». Pour l’écrivain et poète Christophe Vekeman, le choix de l’insulte est particulièrement malheureux.

La véritable nostalgie que ressentent certaines personnes – pourtant indubitablement progressistes – pour des temps bel et bien révolus a une fois de plus été mise en lumière lors de la cérémonie de remise des Ultimas. Ou plutôt, pour certains, de non-remise de ce prix. En l’occurrence, cette nostalgie visait l’époque où la langue de Vondel préférait encore le « k » au « c », et plus précisément l’année 1969, l’année de l’« Aktie Tomaat » : l’action du « Lancer de Tomates ».

Cette « action » était née d’un profond mécontentement au sein du monde théâtral de langue néerlandaise, que les lanceurs jugeaient – ô combien, et par tant de côtés – excessivement classique. Tout avait commencé lors d’une représentation de la « Tempête », car bien sûr, jouer Shakespeare en respectant les intentions de Shakespeare, c’était d’un autre temps, complètement désuet, et cela méritait les pires mesures de rétorsion. C’est ainsi que l’acteur néerlandais Willem Nijholt, entre autres, s’était pris quelques tomates bien blettes sur le coin de la cafetière. 

Mardi soir, certains se seront probablement dit que « c’était le bon vieux temps ». Ou bien que « lancer une tomate, ça me plairait bien, à moi aussi ». Et pourquoi pas ? C’est tout à fait faisable. La tomate n’a-t-elle pas valeur d’éternité ? En route pour les Ultimas !

Une pluie de projectiles

Les choses se sont-elles véritablement passées comme je viens de l’esquisser ? Évidemment non. Le ressentiment d’une bonne partie du secteur culturel à l’égard de Jan Jambon, ministre N-VA de la Culture, est évidemment sincère. Il en était probablement de même chez ceux qui, une fois le ministre sur scène, l’ont copieusement hué puis bombardé à gogo des projectiles qu’ils avaient introduits dans la salle en cachette. 

Il y a de quoi se poser des questions sur le sens de tels écarts de conduite, que la majorité silencieuse n’hésitera pas à cataloguer de vandalisme. Bien entendu, on n’a jamais vu un lanceur de tomates tant soit peu résolu perdre le sommeil devant l’opinion de la majorité silencieuse. Après tout, il arrive qu’on pète un câble, mon bon Monsieur, tout simplement, d’un coup, sans prévenir ; on ne se connaît plus, on invective, on plonge la main dans sa poche, et ce que l’on y trouve par le plus grand des hasards se transforme instantanément en moyen d’expression, apte à manifester toute l’ampleur de son exaspération. Ce sont des choses qui arrivent. J’ai même lu quelque part que certains en venaient à se jeter de la vaisselle à la tête voire, dans un moment de rage aveugle ponctuant une dispute trop animée, à traiter de « fasciste » un scélérat dont l’opinion ne leur convenait pas. 

Un fasciste, un point, c’est tout ! Houuuuuu !

Trêve de plaisanteries. C’est justement ce simple mot, ce « fasciste », qui a déclenché l’averse de tomates qu’a essuyée Jan Jambon. Le Mot a fusé d’abord…. après quoi les tomates ont pris leur envol. Sans ce mot, je ne serais pas là à vous écrire. Mais au commencement était le Mot, incontestablement, aussi sonore et clair que tout autre signal de départ. Et c’est de là, pour moi, que naît le problème.

Parole contre parole

Comme tant d’autres, j’éprouve de grandes réticences devant le recours massif – et généralement gratuit – à l’étiquette de « fasciste ». Les raisons de ces réticences me paraissent trop évidentes pour les énumérer ici. Cela dit, et compte tenu des conséquences, le choix de cette insulte, au Concertgebouw de Bruges, se révèle particulièrement malheureux.

En toute sincérité, le problème, c’est que la notion de « fascisme » évoque en moi des tas de choses, des idées très diverses, mais surtout une connotation parfaitement évidente de violence. Une violence qui, tout d’abord, prend le pas sur la parole, donc sur l’échange, la discussion et la polémique. Une violence menée à l’encontre de personnes qui, de l’avis de ceux qui l’exercent, méritent d’être exclues de l’univers démocratique de la divergence d’opinion.

Une violence qui rompt le mode normal de communication entre les êtres, à savoir le langage, cet outil que l’on peut résumer par l’expression « parole contre parole ». Une violence qui, d’une certaine manière, existe et germe sous les huées et le chahut qu’un (ex-)interlocuteur entend imposer à l’autre pour le réduire au silence, mais qui ne prend tout son sens de violence que lorsqu’elle s’exprime sous sa forme physique.

Le lancer de tomates – par de meilleurs lanceurs que ceux de mardi, par exemple – relève-t-il de ce type de violence ?  N’exagérons pas. Évitons les comparaisons avec les années 1930.

Notons simplement que ceux-là même qui ont poussé ces cris de « fasciste » se sont surtout tiré une balle dans le pied. Cette vérité-là mérite d’être dite.

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