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25·06·15

Taylor Swift a-t-elle vraiment fait plier Apple ?

Temps de lecture : 7 minutes Crédit photo :

Photo : Taylor Swift/YouTube

Une lettre « assassine » a suffi pour forcer le géant technologique californien à mieux payer les artistes amenés à être diffusés sur son nouveau service de streaming. Comment la chanteuse de 25 ans a-t-elle réussi un tel tour de force ? Ou devons-nous plutôt craindre une nouvelle manipulation ?

« Nous ne vous demandons pas des iPhone gratuits, ne nous demandez donc pas de vous offrir notre musique. » Dans une lettre ouverte publiée dimanche soir [NDLR: 21 juin 2015] sur sa page Tumblr, Taylor Swift expliquait pourquoi elle refusait de diffuser son dernier album 1989 sur le site Apple Music, le nouveau service de streaming que lancera la marque à la pomme mardi prochain. Si le site sera bien payant, Apple avait initialement décidé de ne pas rémunérer les artistes au cours de la période d’essai de trois mois qu’elle offre à ses nouveaux abonnés. Le sang de la jeune chanteuse américaine n’a fait qu’un tour en apprenant la nouvelle, elle qui avait déjà interdit l’an dernier au site concurrent Spotify de diffuser ses chansons.

Et devinez quoi ? Une chose que personne ne pouvait imaginer arriva : à peine 24 heures plus tard, la société Apple, un colosse d’ordinaire inébranlable, annonce à Taylor Swift et au reste du monde qu’elle rémunérera finalement aussi les artistes pendant la période d’essai ! Cela faisait des jours que des labels indépendants étrillaient la politique de rémunération d’Apple Music, sans le moindre résultat. Mais c’était sans compter sur l’arrivée providentielle de la chanteuse de 25 ans, dont la plume incendiaire a donc mis le géant à genoux.

Une histoire absurde ? Pas tant que cela, quand vous savez que le magazine économique Fortune proclamait il y a quelques mois cette étoile montante comme l’une des femmes les plus influentes du moment. Seules cinq personnalités auraient plus d’emprise sur notre planète, et Taylor Swift dépasserait sur ce terrain allègrement Bill Gates et Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook.

Malgré son jeune âge, l’auteur-compositeur-interprète est donc parvenue à se rendre incontournable. Au moment de son accrochage avec Spotify, ses chansons y émaillaient plus de 19 millions de listes de lecture. Selon le magazine Forbes, grâce à son album 1989, vendu à un million d’exemplaires lors de sa première semaine de sortie, Taylor Swift peut se targuer d’être, à une exception près, l’artiste féminine la mieux payée de la planète après Beyoncé. Elle ne parvient pratiquement plus à compter les Grammy’s au-dessus de sa cheminée, sans parler des 8 nouvelles récompenses raflées dernièrement lors des Billboard Music Awards, dont le titre de Top Streaming Song avec sa chanson « Shake It Off ». Une distinction qui n’aura certainement pas échappé à Apple.

Pas mal pour une fille dont le nom était pratiquement inconnu en dehors des frontières des États-Unis en 2009. Fait amusant: c’est un coup de bec lancé en public par le rappeur Kanye West qui a lancé sa carrière internationale. Lors de la cérémonie des MTV Music Awards, au moment où elle s’apprêtait à recevoir la statuette récompensant le meilleur clip, Kanye West se saisit du micro pour annoncer que ce n’était pas elle, mais bien Beyoncé qui aurait dû remporter ce prix. L’incident fit le tour du monde et en quelques secondes, et la planète entière sut qui était Taylor Swift. Une notoriété que la petite blonde parvint immédiatement à monnayer.

Malgré les apparences, Taylor Swift est donc une redoutable femme d’affaires. « Aucun autre artiste et même aucune entreprise n’est parvenu à s’imposer à ce point comme marque commerciale de premier plan » écrit le magazine Fortune . Et elle ne manque pas non plus d’ambition. Dès son plus jeune âge, la petite Américaine est parvenue à convaincre ses parents de quitter leur exploitation agricole de Wyomissing pour déménager à Nashville, capitale de la musique. Sur place, elle a alors écumé toutes les maisons de disques de la ville jusqu’au moment où elle s’est vue offrir un contrat. Elle avait 14 ans.

Comment expliquer une ascension aussi fulgurante ? Taylor Swift connaît son public comme nul autre. Avec ses chansons de chagrins d’amour et de cœurs brisés, ou sur le harcèlement et le manque de confiance en soi, elle touche la corde sensible de plusieurs millions d’adolescents émotifs. Son passage de la country à la pop n’y a rien changé. Ses chansons se caractérisent par un refrain facile à chanter et une mélodie qui marque l’esprit de façon presque indélébile, qu’on le veuille ou non.

Et contrairement à d’autres idoles des jeunes, comme Miley Cyrus ou Rihanna, elle séduit aussi un public plus large et de nombreux parents, grâce à son image de fille ordinaire, avec juste ce qu’il faut de folie. Elle s’habille de façon tendance et sexy, mais veille soigneusement à ne jamais tomber dans l’excès. Elle fréquente des amis célèbres, mais ne s’exhibe pas comme eux dans des vidéos de sexe et ne se fait jamais prendre au piège par des paparazzi. Elle sait se faire entendre et montrer les dents, mais reste toujours courtoise. Et puis surtout : elle sait se faire admirer des filles et des jeunes femmes, tout en leur permettant de s’identifier facilement à elle. Elle se permet d’étaler un peu de sa vie amoureuse très glamour dans ses chansons, notamment avec d’autres stars comme Harry Styles, Johan Mayer et Calvin Harris. Une stratégie doublement bénéfique, par laquelle elle contrôle son image, tout en épargnant à ses fans l’achat de journaux à scandale.

Fans

Si vous lui demandez de dévoiler son secret, la réponse sera toute autre. L’année dernière, elle écrivait elle-même dans le Wall Street Journal que le principal ingrédient de sa réussite (et par corollaire de son pouvoir et de son influence) était le lien qu’elle entretenait avec ses fans, avec qui elle est en contact permanent sur les réseaux sociaux et à qui elle offre souvent des spectacles surprises et des petits cadeaux. « À l’avenir, les artistes décrocheront des contrats avec les maisons de disques parce qu’ils ont des fans, et non l’inverse », annonçait-elle dans la rubrique d’opinion. « Pour moi, c’est comme une relation amoureuse. (…) Chaque chanson devient un objet d’amour et d’attention. Ce lien qui m’unit avec mes fans s’assimile à un rêve éveillé. »

Avec 59 millions d’abonnés Twitter et 71 millions de fans Facebook, quelque chose nous dit que ce rêve est devenu réalité. Et ce lien d’amour semble inébranlable. DJ Diplo admettait récemment avoir commis l’erreur de sa carrière en la critiquant. Après avoir suggéré sur Twitter, « pour plaisanter », de lancer une campagne de crowdfunding pour offrir à Taylor Swift des fesses dignes de ce nom, il a subi les foudres de ses amis et de ses fans. Il a même reçu des menaces de mort. « Elle est soutenue par plus de 50 millions de fans qui sont prêts à mourir pour elle. C’est pire que les soldats de l’armée nord-coréenne. »

En dressant la liste de tous les facteurs, il ne semble donc pas si étonnant qu’Apple n’ait pas voulu se la mettre à dos. De l’avis des spécialistes, un désaveu public de Taylor Swift aurait été bien plus nuisible à l’image de l’entreprise qu’un manifeste signé par plusieurs maisons de disques.

Et comme le rappelait la chanteuse dans sa lettre ouverte : elle a moins besoin d’Apple Music que l’inverse. « Je ne suis pas la première concernée. J’ai la chance d’en être déjà à mon cinquième album et nous pouvons à présent vivre, mon groupe, mon entourage et moi-même, de nos concerts. (…) Mais ce n’est pas le cas du jeune auteur-compositeur, qui compte vraiment sur les royalties du streaming pour sortir la tête de l’eau. »

 

« 50 millions de fans sont prêts à mourir pour elle. C’est pire que les soldats de l’armée nord-coréenne. »

DJ Diplo

Tout cela semble donc bien chevaleresque. Mais sur les réseaux sociaux et quelques sites Web éclairés, des objections commencent à bourgeonner. Tout ce tintouin ne serait-il pas simplement un coup médiatique, savamment orchestré par Apple et la chanteuse ? Ou mieux : par Apple et Universal, la maison de disques de Taylor Swift ? Selon un fin connaisseur du monde de la musique, « cette lettre semble de prime abord avoir été écrite de façon impulsive, sur un coup de tête. Or, les superstars de cette trempe n’envoient pas ce genre de réactions de leur propre initiative et veillent toujours à ce que tout soit réglé dans les moindres détails par leurs avocats, leur maison de disques et leur entourage avant de s’exprimer publiquement . » En deuxième analyse, il est vrai que le ton employé par Taylor Swift se veut très « amical », sans parler de la réaction d’Apple, jugée bien rapide. Si la star a ainsi fait savoir qu’elle désapprouvait l’absence de rémunération pendant la période d’essai, elle n’a pas non plus manqué l’occasion de glisser au passage qu’Apple était « une entreprise historiquement généreuse et tournée vers l’avenir », « un de ses plus grands partenaires commerciaux, qu’il lui a permis de nouer des liens très forts avec ses fans », et « une entreprise incroyable, qu’elle admire et respecte profondément ». « Tout cela ressemble à un savant mélange de lutte d’influence et de déclaration d’amour, à un ballet virtuel entre deux multimilliardaires qui partagent de nombreux intérêts communs », écrit notamment Fortune sur son site Web.

En théorie, les deux parties semblent effectivement avoir toutes les deux à gagner d’un tel battage médiatique. En réagissant aussi rapidement, Apple parvient non seulement à limiter ou à éviter les dommages collatéraux éventuels, mais la société assure également à son service de streaming une excellente couverture médiatique, deux semaines avant son lancement. Qui disait qu’en matière de publicité, il importait finalement peu qu’on parle de vous en bien ou en mal, à condition d’avoir de la visibilité ? Aujourd’hui, ce genre de mea culpa public fait toujours bonne impression. En outre, en dépit des critiques initialement exprimées par Taylor Swift et sa bande, Apple Music passe finalement comme le service de musique qui défend les artistes, tandis qu’aux yeux du grand public, Spotify n’a jamais « cédé » face à la chanteuse.

Taylor Swift en ressort donc plus forte que jamais : elle passe pour une jeune femme de caractère qui ne craint pas d’exprimer son opinion, pour une ardente défenseuse du firmament de la musique qui se bat sans relâche pour les droits des musiciens et la survie de l’industrie. Une main de fer dans un gant de velours. Un nouveau statut, qui pourrait propulser cette fille comme les autres au rang de nouvelle reine de l’industrie de la musique. À la lecture de sa lettre ouverte, le musicien Elvis Costello avait d’ailleurs déjà tweeté : « voici une annonce de notre future présidente. »

Enquête en cours

Il est un autre élément qui apporte de l’eau au moulin des partisans de la théorie du coup médiatique : un article publié dans le New York Times deux semaines auparavant, où le quotidien américain indiquait que les ministères publics des Etats de New York et du Connecticut enquêtaient en secret sur de quelconques pressions qu’aurait exercées Apple sur les maisons de disques afin d’inciter celles-ci à tourner le dos à d’autres services de streaming, au profit de sa propre plateforme. Les enquêteurs chercheraient même à prouver l’existence d’un accord conclu secrètement entre Apple et les maisons de disques. Après la rupture entre Taylor Swift et Spotify , la presse avait déjà évoqué la possibilité d’un accord d’exclusivité conclu avec Apple Music. Le groupe Universal aurait déjà fait savoir qu’il entendait apporter tout son soutien aux enquêteurs et qu’il n’avait rien à cacher.

Affaire à suivre, même s’il faudra probablement des siècles pour savoir s’il s’agissait ou non d’un coup monté. Hier, il était impossible de joindre Universal pour obtenir des explications supplémentaires. Eddy Cue déclarait sur Twitter : « nous vous avons entendus, @taylorswift13 et les artistes Indie. Affectueusement, Apple. » Et le directeur d’Apple Media d’ajouter : « Apple veillera toujours à ce que les artistes soient payés ». Taylor Swift s’est quant à elle dite « ravie et soulagée ». « Ils nous ont vraiment écoutés. » La belle a ensuite retweeté un article de Vanity Fair : « Comment Taylor Swift a mis au pas l’une des plus grandes puissances du monde. »

 

De Kim Van de Perre pour De Morgen, 23/06/2015, page 10 et 11

Traduit du néerlandais par Guillaume Deneufbourg

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