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30·10·19

Quand VTM ment aux politiques pour les inviter à une émission-choc

Temps de lecture : 5 minutes Crédit photo :

Capture d’écran de l’émission Make Belgium Great Again (VTM)

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Une émission de VTM a cherché à soumettre des responsables politiques à une « thérapie de choc » : elle est parvenue à appâter cinq dirigeants flamands de premier plan en les induisant en erreur et en usant de faux prétextes.

Cinq éminents responsables politiques ont été victimes d’une drôle de mise en scène durant une émission sur la sécurité routière.

Que s’est-il passé, au juste ? Make Belgium Great Again est un programme de la chaîne VTM qui réunit entre 400 000 et 500 000 téléspectateurs le dimanche soir. Mais le numéro de la semaine dernière a créé une véritable onde de choc rue de la Loi : cinq éminents responsables politiques de la N-VA, du CD&V, de Groen, de l’Open Vld et du sp.a ont été victimes d’une drôle de mise en scène durant une émission sur la sécurité routière. Un moment de télévision qui faisait mal aux yeux : lors d’une confrontation visuelle très dure, les politiciens se sont heurtés à la souffrance des familles d’enfants morts sur la route, se retrouvant soudain face à face avec elles dans un vaste champ, la rencontre captée par des drones. Le montage, opposant des politiques pédalant gaiement à la douleur indicible de parents ayant perdu leurs enfants, s’est chargé du reste : l’émission a été vécue par les cinq intéressés pris pour cible comme une véritable mise au pilori. Mais c’est surtout la manière dont l’enregistrement a eu lieu, la façon dont les producteurs ont manipulé le dossier et l’ont ensuite exploité encore davantage dans leur communication, qui provoquent une crise de confiance entre VTM et le monde politique.

Le responsable : PIT., la société de production interne de VTM, était aux commandes de l’émission. La majeure partie de l’épisode de dimanche dernier a été tournée fin août avec cinq responsables politiques : les ministres flamands Ben Weyts (N-VA) et Hilde Crevits (CD&V), les présidents de parti John Crombez (sp.a) et Meyrem Almaci (Groen) ainsi que le vice-Premier ministre fédéral Alexander De Croo (Open Vld). Tous sont pour le moins consternés par la méthode utilisée par la société de production de VTM. Aucun d’entre eux ne souhaite pour le moment revenir ouvertement sur les événements, mais tous confirment l’approche adoptée par les producteurs :

L’été dernier, PIT. demande à ces responsables politiques de participer à une émission dont l’objectif est clairement annoncé : « encourager les Flamands faire plus de vélo ». Pas un mot sur la sécurité routière.

Les e-mails des organisateurs de l’émission, que nous avons pu consulter, soulignent à nouveau la tromperie : il y est question de « discussions à bâtons rompus aux points de départ et de repos ». Les questions qui seront abordées sont résumées ainsi : « Faites-vous du vélo pendant votre temps libre ? Vous déplacez-vous à vélo ? Avez-vous déjà accompli une grande performance cycliste, par exemple l’ascension du mont Ventoux ? Quel est votre parcours cycliste favori ? » Pas un mot sur les cyclistes tués sur la route ou même sur la sécurité en général.

On explique littéralement ce qui suit : « Le reportage portera évidemment sur la manière d’encourager l’utilisation du vélo. Je connais la position de votre parti sur le cyclisme, mais il serait judicieux que vous choisissiez un angle spécifique. »

« Pourquoi les politiciens ne peuvent-ils pas s’en tenir aux accords conclus ? »

Un fâcheux problème d’agenda survient pour quatre des cinq participants : le jour du tournage, le 28 août, les informateurs Johan Vande Lanotte (sp.a) et Didier Reynders (MR) convoquent les responsables de premier plan à une table ronde à Val Duchesse. Tous demandent que l’enregistrement soit avancé pour pouvoir arriver au rendez-vous à 19 heures. La société de production s’agace : « Pourquoi les politiciens ne peuvent-ils pas s’en tenir aux accords conclus ? » Mais aussi : « D’autres responsables restent » — ce qui se révélera faux par la suite : tous ont le même problème et veulent pouvoir partir à temps. Du côté des politiques, c’est l’incompréhension : pourquoi ne peut-on pas avancer un simple tournage ? La société de production finit par accepter de modifier l’horaire. Pas un mot sur le motif réel de leur frustration : une production impliquant des centaines de personnes.

Durant l’enregistrement, les vélos s’aventurent sur toute une série d’endroits dangereux et de pistes décrépites

Durant l’enregistrement, les vélos s’aventurent sur toute une série d’endroits dangereux et de pistes décrépites pendant que la présentatrice fait des « interviews » — et, elle aussi, feint la gaieté.

À un moment donné, il est 18 h 15, alors que le rendez-vous avec les informateurs à Val Duchesse est prévu à 19 heures. Certains politiques indiquent devoir partir, suscitant à nouveau l’irritation de la production, qui les somment de « faire un kilomètre de plus ».

Une fois arrivés, ils se retrouvent, dans un vaste champ, face à des centaines de proches de victimes de la route, entourés de caméras et de drones. La scène, qui provoque un malaise incroyable, est suivie, hors montage et donc sans diffusion à la télévision, par des conversations entre les responsables politiques et les parents des victimes. Certains reconnaissent des familles de leur région, même des camarades de parti. Ils réagissent avec étonnement, surprise, un peu de stupéfaction, aussi.

Sinon, nous n’aurions pas participé.

Différents politiques entendent la même remarque : « Nous ne savions pas non plus que les choses se dérouleraient ainsi, nous n’étions pas au courant du sort qui allait être réservé au “monde politique”. Sinon, nous n’aurions pas participé. »

En définitive, tous les quatre sont arrivés en retard à Val Duchesse parce qu’ils ont pris le temps de discuter avec le groupe.

Par la suite, tous les dirigeants concernés s’interrogent : comment les images seront-elles mises en scène ? Que cherchaient à démontrer les producteurs, au juste ? L’émission sera-t-elle réellement diffusée ainsi ?

VTM ignore les questions des politiques, le spectacle se poursuit et la chaîne vend même l’émission comme une « thérapie de choc ».

La grande question ? La manière dont « la politique » est mise en scène est à tout le moins douteuse, pour ne pas dire populiste, affirment les personnes concernées. Aucun des dirigeants ne souhaite se soustraire à ses responsabilités, affirment-ils en chœur. Mais de là à mentir éhontément sur la structure, l’intention, le but de l’émission ? Les rapports entre les médias et la politique en sont-ils réduits à cela ? Voilà la grande question qui se pose rue de la Loi. Cette manière de faire conduit à la méfiance, à la suspicion, au sentiment que les responsables politiques sont du gibier, des hors-la-loi, que tout est permis.

Qui devait (et ne devait pas) être dans le stand de tir ? Quel était l’objectif des producteurs, à part faire de l’audience ? Une « thérapie de choc », selon leurs propres dires. Le résultat semble surtout susciter de la rancœur et alimenter un sentiment antipolitique. On remarque d’emblée que les deux partis qui se nourrissent le plus du ressentiment et du rejet de « la politique », le Vlaams Belang et le PTB, n’ont pas été placés dans ce stand de tir. Ils n’ont pas été appelés par VTM, les autres oui. Le fait que l’émission mélange indifféremment des ministres compétents et non compétents en la matière ainsi que des présidents de partis d’opposition témoigne également d’un manque de discernement politique.

La réaction de VTM : différentes questions adressées aux responsables de VTM, notamment concernant l’approche adoptée et les considérations d’ordre déontologique, mais aussi le drôle de choix des partis, sans que l’extrême gauche ou l’extrême droite soient représentées, restent sans réponse. La responsable de la société de production PIT., Inge Kluft, a réagi par e-mail : « Je pense que l’on mélange différentes choses. Il ne s’agit pas d’une émission de journalisme, mais d’un programme qui entend rendre notre pays meilleur d’une autre manière. (…) Cette fois, nous avons voulu nous adresser aux décideurs au sujet des investissements dans la sécurité des cyclistes. On peut gloser à l’infini sur la question de savoir qui aurait dû participer ou non et pourquoi, mais l’essentiel, c’est que l’on parle à nouveau de la sécurité des cyclistes. Une dernière chose : les présidents de parti avaient bien été informés qu’il serait question de cyclisme et de mobilité. On a également demandé aux partis de communiquer leur position au préalable. »

Sur le fond : par rapport à d’autres démocraties, les médias belges jouissent d’un accès plutôt direct aux politiciens et aux décideurs. Se pose désormais la question de la pérennité de cette relation si les responsables politiques estiment ne plus pouvoir faire confiance aux médias et devoir être sur leurs gardes chaque fois qu’ils sont invités à intervenir.

Retrouvez la bande-annonce de l’épisode sur la sécurité routière des cyclistes :

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