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{Pour la petite histoire} Les réseaux sociaux, ces petits villages
20·03·21

{Pour la petite histoire} Les réseaux sociaux, ces petits villages

Une fois par mois, DaarDaar vous propose dans sa série {Pour la petite histoire} la traduction d’un texte littéraire, à lire tranquillement le dimanche, loin de l’agitation de l’actualité hebdomadaire.

Temps de lecture : 2 minutes Crédit photo :

(c) iStock

Ils n’avaient guère changé. Certes, les derniers boutons d’acné avaient été remplacés par les premières pattes d’oie, mais pour le reste, ils étaient pareils: même rire hoquetant, même mimique, même nez qui renifle. Lors de ces retrouvailles avec mes anciens camarades de classe, j’ai surtout été frappée par un détail. Malgré la décennie qui s’était écoulée, tous semblaient être au courant de presque tout: qui travaillait dans quoi, qui était marié, qui avait un chien, où les uns et les autres avaient récemment voyagé… Nous n’avions quasiment rien à nous dire, nous savions déjà tout. «Oh oui, la Thaïlande! J’ai vu passer les photos sur Facebook.» «Vous avez une petite fille, non? Léa, c’est ça? Elle est vraiment adorable…»

Je me souviens généralement de ce que j’ai raconté à quelqu’un. En revanche, j’ignore ce que les gens ont pu apprendre à mon sujet par des moyens dérivés. Mais, à chaque fois, la surprise est totale: ils en savent toujours plus! Il en résulte un étrange sentiment d’intrusion dans mon intimité. Comme si la personne à qui je parlais se retrouvait soudain, en un battement de paupières, beaucoup plus près qu’elle ne l’était un instant plus tôt. À chaque fois que ce phénomène se produit, j’éprouve comme un choc, et il me faut un moment avant que je me dise: «Ah oui, elle a dû l’apprendre par Instagram.»

Jusque-là, l’étendue des connaissances des autres à mon sujet s’était limitée à mon passé. Mais, récemment, j’ai rencontré quelqu’un qui pouvait même voir dans mon avenir. C’était à la boulangerie du village d’à côté, fermée depuis près d’un an pour cause de travaux.

Comme elle avait enfin rouvert, mon compagnon et moi avons décidé d’y aller. «Ah, s’est exclamée la femme du boulanger à notre entrée, c’est vous la dame qui a accouché chez elle?»

Que nous ayons été reconnus par une inconnue pouvait s’expliquer: mettre un enfant au monde chez soi est très rare en France. Toutes les femmes accouchent dans les hôpitaux des grandes villes. Sauf les Hollandaises, apparemment, ces drôles de dames… Quand je me suis rendue dans la minuscule mairie du village pour déclarer la naissance, ça a été la panique générale: le registre des naissances n’y avait pas été ouvert depuis cinquante ans, personne ne savait où il se trouvait, ni ce qu’il fallait en faire exactement. Une fois le choc initial passé, le maire a pris notre famille en photo et a appelé le journal local, qui a décidé d’afficher en première page le portrait de deux ahuris avec leur bébé.

J’ai confirmé, non sans éprouver une certaine fierté: «C’est ça, la dame qui a accouché chez elle!» Elle a répliqué: «Dans ce cas, votre rendez-vous chez le médecin de demain est annulé.»

J’ai d’abord cru avoir mal compris. Elle a insisté: la consultation du lendemain pour faire vacciner notre enfant avait bel et bien été reportée. «Comment le savez-vous?» ai-je bredouillé. «Le pharmacien est passé ce matin», a-t-elle répondu en souriant. «Il avait eu le docteur en ligne, il m’a demandé de vous le dire si je vous voyais.»

On l’oublierait presque, mais le réseau social originel, le bon vieux bouche-à-oreille, a encore de beaux jours devant lui.

J’ai remercié la femme du boulanger et, malgré ma surprise, j’ai tout de même songé à lui demander pourquoi le médecin avait annulé. «Il a le virus», a-t-elle rétorqué.

Nous sommes toujours liés physiquement, vous pouvez me croire.

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