L’ancien garage Citroën a rouvert le 5 mai. L’art et la culture y seront réunis sous un même toit au sein d’un espace de 35 000 m². Il s’agira de la plus grande infrastructure belge consacrée à l’art contemporain (et moderne). Avec des répercussions positives pour Bruxelles, la Flandre, la Belgique, les artistes ainsi que leur public belge et étranger. Mais Bruxelles a opté pour une structure de gestion complexe, à la belge.
Je me suis rendu à Kanal-Centre Pompidou vendredi dernier et n’ai pas vraiment été impressionné par les œuvres choisies. S’il est toujours agréable de revoir les créations de Franz West, Bruce Nauman ou Ron Arad, j’ai trouvé que l’ensemble manquait d’aventure contemporaine. Le plus fascinant, là-bas, c’est le bâtiment et la promenade à travers un fragment d’héritage urbain industriel. Mais les dimensions de l’édifice seront aussi son plus grand défi. Car l’art qui y sera exposé devra inévitablement rivaliser avec un cadre qui n’a rien de neutre. Pour concevoir la scénographie et la dramaturgie qui s’imposent, il faudra donc se livrer à de sérieuses réflexions — et disposer d’un budget solide.
Marketing urbain culturel
Le ministre-président bruxellois, Rudi Vervoort (PS), n’a pris aucun risque en désignant comme chef de projet Yves Goldstein, son chef de cabinet aussi sympathique qu’enthousiaste. En concertation avec le Centre Pompidou de Paris, il aura la charge de mener à bien ce projet ambitieux qui ouvrira sous sa forme définitive en 2020.
En plus des arts visuels, le complexe fera la part belle à l’architecture, au graphisme, à la musique, aux arts de la scène et au cinéma. Dans ce lieu implanté sur la ligne de fracture entre les quartiers riches et pauvres de Bruxelles, on insiste sur les qualités fédératrices des arts. La coopération intense engagée avec le temple culturel parisien est un exercice de marketing urbain de haute volée. Mais à terme, je me demande si ce partenaire s’avérera le meilleur choix pour Bruxelles.
Shanghai
Depuis Louis XIV, qui aimait à régaler ses sujets de ses propres performances de danse, les arts font partie de la boîte à outils politique et diplomatique de la France. Il est d’usage que les présidents marquent la fin de leur mandat par l’édification d’un ou de plusieurs édifices emblématiques. Pompidou a enfanté Beaubourg, Mitterrand la pyramide du Louvre ainsi que la Bibliothèque nationale de France et Chirac le musée du quai Branly. Quant à Sarkozy et Hollande, le fait qu’ils aient passé leur tour ne me surprend pas. Pour ce qui est de Macron, il avait déjà une surprise dans ses valises lors de sa dernière visite au président chinois, Xi Jinping : l’ouverture du Centre Pompidou de Shanghai au printemps 2019.
Après Málaga et Metz, Bruxelles deviendra donc la prochaine dépendance de la grande marque d’art parisienne. Je crains que le PS bruxellois ait appelé Paris à l’aide pour faire obstacle à l’ascension de la N-VA en Belgique. Mais j’aurais espéré que les responsables politiques de la capitale s’allient à un partenaire plus proche de chez eux.
En seulement dix ans, Dirk Snauwaert a fait du Wiels un prestigieux centre européen de présentation et de création. Avec le flair et l’expérience internationale de Chris Dercon, le charisme intelligent de Catharina Gregos et l’efficacité tranquille d’Eva Wittocx, la Belgique a toutes les connaissances et les capacités nécessaires à portée de main. Cette alliance « stratégique » avec le temple des arts parisien traduit un complexe d’infériorité déplacé plutôt qu’une saine humilité.
Le tour de l’Europe
Le recours à l’art et à la culture pour rendre les villes plus attrayantes et renforcer leur attrait touristique est une formule qui a fait ses preuves. Mais je m’interroge sur le choix du Centre Pompidou comme partenaire, notamment parce que les Belges qui s’intéressent à l’art se rendent à Paris deux fois par an. En matière d’art contemporain, la Ville Lumière a très peu de secrets pour Bruxelles. Une alliance avec Vienne ou Berlin aurait donné lieu à davantage de surprises.
Ou avec Londres, moins connue que Paris à l’heure actuelle. Je me rappelle encore ma première visite à la Tate Modern. La reconversion de cette centrale électrique est l’une des plus réussies d’Europe. Bruxelles aurait pu choisir Herzog & de Meuron, les maîtres suisses chargés de la conception du bâtiment. À la place, elle a choisi d’organiser un concours d’architectes et de consultants. À titre de comparaison, Mitterrand avait fait appel à I.M. Pei pour la rénovation du Louvre après avoir envoyé un émissaire faire le tour de l’Europe pour demander çà et là qui était l’architecte le plus apte.
Kanal doit devenir autre chose que le Palais de Tokyo, ce laboratoire d’art expérimental annexé à Beaubourg en 2002. Le site bruxellois est à la fois magique et délicat. Pour ne pas devenir les architectes de leurs désillusions, les décideurs politiques doivent trouver les fonds qui permettront de terminer le chantier en beauté. Le complexe devra également être doté de ressources régulières pour assurer son bon fonctionnement. Si ces conditions sont remplies, Kanal pourra devenir une référence d’importance pour l’art et l’urbanisme en Europe, avec une vision et un style bruxellois bien à lui.