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22·11·19

Culture: Pourquoi Jan Jambon veut se débarrasser de l’avant-garde

Milo Rau est directeur artistique du théâtre NTGent. Cet éditorial a initialement paru dans le journal suisse Tages-Anzeiger.

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

(cc) ArtTower via Pixabay

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Plus que tout autre secteur, la culture a apporté ses lettres de noblesse à la Flandre. C’est pourtant précisément dans ce domaine que le nouveau gouvernement flamand a décidé de couper dans le budget.

Il y a une dizaine de jours, la nouvelle a secoué la Flandre : le nouveau gouvernement de centre-droit, sous la houlette du ministre-président Jan Jambon, réduira le budget alloué aux grandes institutions culturelles de 3 à 6 %, tandis que les subventions de projet diminueront à hauteur de 60%. Au total, ces économies représenteront 22 millions d’euros. Une action de protestation a dès lors été organisée au Beursschouwburg, à Bruxelles, réunissant le premier jour plus de deux mille travailleurs culturels issus des quatre coins du pays. Entre-temps, d’autres actions ont vu le jour sous le slogan #thisisourculture.

C’est dans ce contexte que la Flandre a appris, vendredi dernier, que le gouvernement allemand aurait décidé d’injecter 54 millions supplémentaires dans le budget de la culture, portant l’enveloppe à plus de deux milliards – un chiffre à peine crédible. « L’avant-garde artistique stimule le discours démocratique », s’est ainsi exprimée Monika Grütter, ministre allemande de la Culture, à travers un communiqué de presse. Des propos clairvoyants, dans la mesure où nul n’est meilleur allié d’une société ouverte qu’un secteur culturel indépendant. La droite en est évidemment consciente, elle qui entend en finir une bonne fois pour toutes avec l’avant-garde.

Contrairement à l’Allemagne ou à la Suisse, toutes deux dotées d’un réseau dense de théâtres municipaux, la force de la production artistique flamande réside dans une scène indépendante. Seuls trois théâtres municipaux sont à recenser en Flandre, dont le NTGent, que je dirige. Tous les grands noms de l’art flamand proviennent de cette scène indépendante. En d’autres termes, une diminution drastique des subventions de projets conjuguée à un affaiblissement d’institutions bien ancrées conduit à la mort des arts de la scène en Flandre à l’échelle internationale. Car ces deux mesures constituent le dernier chapitre d’une vague d’austérité qui dure depuis plus de dix ans au sein du secteur culturel flamand.

L’ironie veut qu’aucun autre secteur de l’économie belge ne produit autant de valeur ajoutée tout en contribuant au rayonnement international du pays, et ce pour une si modique somme. Une lettre adressée à Jan Jambon par des curateurs internationaux, du Tate Modern en passant par le Festival de Vienne, résume les arguments précités sans hésiter à égratigner la droite libérale en évoquant « l’émancipation flamande » et « l’excellence internationale ». Ce qu’un artiste de gauche n’aurait jamais dit il y a quinze ans est devenu une rhétorique récurrente dans le secteur artistique.

Lutte pour la culture

À travers des dizaines d’autres déclarations et de lettres ouvertes, le milieu artistique a souligné son attachement à la Flandre.  Mais l’unification néolibérale et identitaire ne suffit plus à la droite. Celle-ci veut se débarrasser de l’avant-garde, aussi flamande et rentable soit-elle. Pour la simple raison qu’elle « stimule le discours démocratique ».

À l’heure de l’avènement de gouvernements de droite, voire d’extrême droite fasciste à travers le monde – en Hongrie, au Brésil, aux États-Unis et depuis peu en Bolivie, pour ne citer que quelques exemples – la lutte pour la culture s’intensifie désormais également dans la capitale de l’Europe.

Car quoi que la propagande de droite veuille nous faire croire – propagande qui, soit dit en passant, est inutilement reprise par la gauche – les restrictions budgétaires ne se limitent pas à des « expériences artistiques ». Il en va du maintien d’une culture démocratique en dehors des opéras et des monuments de guerre. Si nous ne gagnons pas cette lutte, tous nos autres combats en faveur de l’égalité ou de la diversité seront vains.

 

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