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09·10·18

Films flamands et francophones: deux marchés cinématographiques aux antipodes

Temps de lecture : 5 minutes Crédit photo :

Pixabay

Aubry Touriel
Auteur

Le cinéma Palace à Bruxelles met en avant les films belges d’art et d’essai. Rencontre avec Nicolas Gilson, responsable programmation, qui met un point d’honneur à proposer des titres du nord et du sud du pays. Lors d’une interview avec DaarDaar, il évoque le cinéma belge, la différence entre le public francophone et néerlandophone en Belgique ainsi que les atouts des coproductions.

 

Le cinéma belge, c’est quoi ?

Il n’y a vraiment pas un cinéma belge. Nous avons de bons cinéastes, c’est assez éclectique, il y a des tonalités très différentes. On ne peut par exemple pas comparer Hélène Cattet à Felix Van Groeningen ou les frères Dardenne à Stijn Coninx.

Comment se porte le cinéma en Flandre ?

En Belgique, la moyenne de fréquentation est assez exécrable : les gens ne vont pas deux fois par an au cinéma. Cela varie aussi d’année en année. En Flandre, quand un film fait 100.000 entrées, c’est un échec, en Belgique francophone, c’est un succès.

Les séries TV ont un fort impact en Flandre. Le cinéma est plus commercial. Leurs acteurs et réalisateurs sont connus et populaires. Ils n’ont pas de concurrence avec les Pays-Bas. Un film flamand qui va fonctionner en Flandre ne sortira pas aux Pays-Bas, ou alors il y aura un remake avec des acteurs hollandais.

Les productions flamandes pour enfants fonctionnent super bien. Le Fonds audiovisuel flamand (VAF) donne chaque année l’impulsion pour avoir un film jeunesse. L’année dernière, c’était Rosie & Moussa, qui fonctionne bien dans les deux communautés à Bruxelles. Le film est employé par les professeurs de néerlandais. On est dans l’éducation par l’image et pas à l’image.

Et Belgique francophone ?

En Belgique francophone, on connait plus un succès en festival, de renom, ce qui est une super vitrine, mais il manque la connexion avec le public.

Dans les salles, le cinéma français domine aussi le marché, comme à la télévision. Les acteurs belges francophones deviennent des stars quand ils sont connus en France. Le statut de reconnaissance passe par nos voisins. Les Tuche 3 était par exemple le numéro un au box-office en Belgique francophone alors qu’il n’est pas sorti du côté flamand.

Pourquoi y a-t-il peu de films flamands à l’affiche en Belgique francophone ?

Les titres néerlandophones ne sortent généralement pas du tout en Wallonie. Je pense que c’est parce que cela ne fonctionne pas. Maintenant, c’est le principe de l’œuf et de la poule. Si on ne travaille pas là-dessus, ça ne fonctionnera pas.

Les francophones ne connaissent pas du tout les programmes télé flamands ou les stars flamandes. Je l’ai vu quand j’ai mis à l’affiche le documentaire sur Will Tura « Hoop Doet Leven ». Il n’y a eu aucun article dans la presse francophone sur la sortie du film. Tous les journalistes ignorent même que le film est sous-titré en français. C’est dingue, car c’est un film qui permet de découvrir tout un pan de la culture flamande qu’on ne connait pas du côté francophone.

C’était amusant de voir que c’est un film qui n’a attiré que les vieilles dames amoureuses de ce chanteur dans leur jeune temps. Ce sont des tentatives, je me suis dit que c’était intéressant de proposer un documentaire sur la star flamande. Après coup, on se rend compte qu’on n’a pas forcément des gens curieux.

À refaire ?

Oui, parce que c’était à tester. Ça ne fait pas du tout les chiffres de BlacKkKlansman, mais c’est intéressant. Si je connaissais les résultats à l’avance, je négocierais différemment avec le distributeur. C’est un film une fois par jour, on ne prend pas de grands risques. On essaie aussi de travailler sur les films enfants en néerlandais.

Comment ?

Je me dis assez naïvement qu’on a pas mal d’élèves francophones dans des enseignements néerlandophones. Peut-être qu’on peut avoir un public croisé. Aussi bien des néerlandophones qui vont voir des films francophones pour les 3-4 ans.

Ce qui est plus compliqué, c’est que pour les films en général, un distributeur couvre tout le territoire pour les droits des films. En ce qui concerne les films pour enfants, ils sont achetés de manière communautaire. Il y a donc deux distributeurs : un néerlandophone, un francophone. Généralement, ce ne sont pas toujours les mêmes dates de sortie.

Les chiffres sur la fréquentation des titres néerlandophones et francophones sont assez comparables, mais une fois qu’on arrive à des 7-8 ans, la version doublée néerlandaise ne fonctionne pas terriblement, voire pas du tout. Il y a un rapport culturel très différent : dès 8 ans, les néerlandophones commencent à s’habituer aux versions sous-titrées. Les Indestructibles en version néerlandaise était une catastrophe, la VO était fréquentée par des adultes, ados, néerlandophones et anglophones. C’est amusant de voir des ados francophones qui débarquent et voient que c’est la VO et la mère dit « Mince, c’est n’est pas en VF » et les gamins qui répondent « Ce n’est pas grave ». On remarque le clash des générations.

Les sous-titres jouent-ils une influence sur votre sélection de films ?

Le gros problème dans le réseau commercial francophone, c’est que tous les films sont doublés. Il n’y a que le secteur d’art et essai qui propose des films sous-titrés. En Wallonie, il y a très peu d’écrans art et essai et don très peu de films sous-titrés. À Imagibraine, il propose seulement une fois par semaine un film en VO.

Personnellement, je refuse de sortir un film francophone s’il n’y a pas de sous-titres néerlandais ou à défaut anglais. Pourtant, il y a certains distributeurs qui ne proposent jamais de sous-titres. Ils ne sont pas intéressés par le marché flamand et ne voient pas l’intérêt pour le faible pourcentage de néerlandophones à Bruxelles de faire une version sous-titrée en néerlandais. Ça me permet de faire une pré-selection, mais c’est parfois ennuyeux, car il y a des films intéressants.

La grande majorité du temps, nous proposons des sous-titres français-néerlandais. Il y a quelques distributeurs qui proposent des sous-titres français-anglais, mais c’est plus rare.

Comment promouvoir la collaboration entre cinéastes francophones et flamands ?

Les co-productions entre les parties francophone et néerlandophone sont vraiment intéressantes. C’est en partie une initiative du Centre du cinéma et du VAF. Cela fait quelques années que ça existe.

Avant, c’était à l’initiative des producteurs, maintenant, ce sont des fonds de financement qui motivent les producteurs, c’est une impulsion miroir : le même montant est alloué du côté francophone et néerlandophone.  Ça permet de nourrir 10 projets par an, de faire des rencontres et de croiser les talents. Ça pourrait théoriquement attirer un public mixte. Les francophones ne connaissent pas du tout les programmes télé flamands, les stars flamandes.

Avez-vous des exemples de co-productions qui vous ont marqué ?

« Engel » est par exemple un film de Koen Mortier où la majorité des acteurs sont flamands et où on parle majoritairement en français. Financé en grande partie par la Flandre, ce film co-produit par la société de production francophone Anonymes films.

Il y a aussi Girl, un film totalement bilingue. C’est chouette, il y a une fluidité dans le passage de langues qui est assez intéressant. À Cannes, cela a certainement perturbé pas mal de gens qui ne comprenaient pas pourquoi à un moment les acteurs parlent néerlandais et puis français. On voit ça assez rarement : généralement quand on est devant un film belge francophone, on parle français et néerlandais dans un film néerlandophone. Avoir des films qui font des ponts et qui montrent un mix un peu plus complexe qui est plutôt une réalité bruxelloise, c’est enrichissant.

C’est la même chose pour Rosie & Moussa. Le film se passe à Molenbeek. On y voit des Arabes que l’on pointe souvent du doigt. Ce sont pourtant les seuls à être parfaitement trilingue : français, néerlandais, arabe. C’est paradoxal dans le discours de certains politiques en cette période électorale. C’est dingue de se rendre compte que ceux qu’on pointe le plus souvent du doigt sont peut-être ceux qui sont les plus intégrés et reflètent le plus l’identité bruxelloise.

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