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« Dire que Flamands et francophones ne s’entendent pas est le pire cliché qui soit »
25·10·19

« Dire que Flamands et francophones ne s’entendent pas est le pire cliché qui soit »

Temps de lecture : 6 minutes Crédit photo :

(c) DaarDaar

Joyce Azar
Auteure

Il est le premier artiste francophone à participer au célèbre jeu du « Slimste Mens ter Wereld » (La personne la plus intelligente du monde), un quizz télévisé qui existe depuis plus de quinze ans en Flandre. L’humoriste, auteur et chroniqueur, Alex Vizorek, continue ainsi de nous surprendre. Après avoir conquis le public belge francophone puis français, notamment sur les ondes de France Inter et à travers ses spectacles, il se retrouve aujourd’hui sous les projecteurs du nord du pays. Car notre Vizorek national est bilingue. Et c’est donc en néerlandais qu’il a participé à ce jeu dont les participants sont principalement des BV’s, des célébrités flamandes. Dans un long entretien accordé à DaarDaar, le français d’adoption exprime son profond attachement à la Belgique, et nous raconte sa perception d’un pays en proie à des divisions politiques.

 

Comment en êtes-vous arrivé à participer au Slimste Mens?

Ils m’avaient déjà contacté il y a deux ou trois ans. On m’avait dit que je ‘quizzais’ bien mais que mon néerlandais n’était pas ‘goed genoeg’ (suffisamment bon, ndlr), et que je n’étais pas assez connu en Flandre. Mais cette fois, ils sont revenus vers moi en me disant qu’on entendait pas mal parler de moi via ma chronique à la VRT (‘Coucou de France’, chaque semaine depuis 2 ans sur Radio 1, ndlr). J’ai tout de suite dit oui! Dès qu’il y a un truc comme ça, une main tendue de l’autre côté de la frontière linguistique, je le fais. C’était donc une super occasion.

Pourquoi cela vous tient-il à coeur? 

Je suis un belgicain absolu! J’ai une grand-mère qui est née à Pâturages près de Mons, et une autre grand-mère qui est née à Herentals près d’Anvers. J’ai été à l’école en néerlandais quand j’étais petit, c’est pour ça que j’ai une mauvaise orthographe en français (rire). Je suis resté dans une école de Lembeek jusqu’à ma 3e primaire. Le néerlandais je l’ai donc toujours entendu, et j’ai toujours aimé l’entendre. J’ai jamais trouvé ça barbare comme langue. Je comprends d’ailleurs beaucoup mieux le néerlandais que l’anglais. 

Qu’est-ce qui vous a motivé à participer au Slimste Mens?

C’est presque un acte politique. Je le dis de manière positive, je ne suis pas là pour conquérir la Flandre. Je pense que le problème de départ c’est la séparation idiote. Je comprends tout à fait qu’ils aient envie d’une sorte de nation flamande ou de culture flamande. Par contre la séparation idiote, qui consiste à dire que le mec qui donne cours de flamand près de la frontière est francophone, et que de l’autre côté c’est un néerlandophone, c’est pour moi idiot. Moins on se rencontre – comme le font les politiques flamands depuis les premières lois fédérales – moins on s’aime. Ils vont prendre le temps qu’il faut, mais ils vont y arriver. Et nous, bêtes comme choux, comme on a besoin d’argent, chaque fois qu’ils nous en donnent, on leur offre des compétences en échange. Résultat: on s’intéresse de moins en moins à ce qui se passe chez eux. On a pourtant une chance exceptionnelle d’être dans un pays à deux cultures. Tous les gamins de 12 ans devraient être comme moi: peut-être nuls en orthographe mais au moins ils parleraient deux langues. 

C’est compliqué sachant que le néerlandais n’est pas obligatoire dans les écoles wallones…

Oui et c’est nul, absolument nul! Et il faudrait que ce soit des Flamands qui viennent donner cours! Et l’inverse aussi. 

Vous êtes aujourd’hui très connu en France, et entre votre chronique à la VRT et votre participation au Slimste Mens, vous commencez aussi doucement à devenir un Bekende Vlaming (BV, Flamand connu). Cela vous tient à coeur?

J’adorerais… Mais ce n’est pas à moi de décider. J’étais fier de figurer dans la liste des 34 BV qui participent au Slimste Mens, parue dans le journal De Morgen. Je suis Bruxellois, donc que je veux bien cumuler les deux, être un Wallon connu et un Flamand connu. La combinaison des langues représente bien la région bruxelloise. 

Pour vous la Flandre, c’est quoi?

C’est le pays de ma grand-mère. C’est le pays, enfin plutôt la région (rire), où j’ai passé mes vacances. Pour moi Liège c’était loin. J’étais plus proche d’un Louvaniste ou d’un Gantois. J’ai passé ma jeunesse à Ostende. J’y allais même l’hiver, car mes parents y avaient un magasin de chaussures. Je n’y allais pas juste pour manger des glaces. J’ai vécu là-bas, je parlais avec des petits Flamands sur la plage.

Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous lie encore à la Belgique?

Tout. Ma famille, mes origines, ma culture… Si c’était un grand pays, France-Wallonie-Flandre, je serais totalement chez moi.

Qu’est-ce qui selon vous divise aujourd’hui Flamands et francophones?

Le système politique, sans aucun doute. Le fait de ne pas pouvoir voter pour un Flamand en tant que francophone, c’est juste fou. Chacun fait campagne de son côté, et ensuite on leur dit qu’il faut gérer l’autre moitié du pays. Je n’ai jamais vu ça nulle part. C’est pas une bonne chose. Il faudrait qu’ils puissent faire campagne partout, qu’ils puissent attraper des voix, au risque que Bart De Wever en fasse en Wallonie… Personnellement je deviens fou quand les politiques francophones ne parlent pas néerlandais. 

Que pensez-vous de ceux qui affirment que la Belgique est divisée en deux pays différents?

Je trouve ça bête. Cela va peut-être dans le sens de l’histoire, et j’en suis triste, mais ça va à l’encontre de l’intelligence. Un gamin de dix ans peut facilement apprendre quatre langues. Vous imaginez la force de frappe que ça lui offre? Mais on va vers la bêtise, c’est à dire le renfermement sur soi. Et les Wallons ne sont pas exempts de ça. Je n’accuse pas les Flamands, j’accuse les politiciens d’un peu attiser ça, des deux côtés.

Qu’est-ce qui unit encore francophones et Flamands?

Tristement, la famille royale… Et heureusement l’équipe de foot (rire). Je trouve ça d’ailleurs dingue que les footballeurs soient les meilleurs bilingues, c’est fantastique, et finalement aussi très normal. 

Et l’humour? Est-ce qu’il est partagé des deux côtés de la frontière linguistique?

J’en suis pas convaincu. Il y a un sens de l’humour absolu des deux côtés. En Flandre, il ressemble un peu plus à l’héritage anglais. Les comedy clubs ont par exemple beaucoup plus vite existé chez eux. Ils ont un humour un peu noir et violent. En Wallonie on est plus sur de l’humour absurde, autour de personnages, et dans l’autodérision absolue. Je crois que les deux sont en fait complémentaires.

Qu’est-ce qui selon vous pourrait unir davantage les Belges?

Je ne vais pas me prendre comme exemple, mais je crois qu’il faudrait peut-être penser en dehors de son village. Moins on se rencontre, moins on se comprend. Le présentateur du Slimste Mens, Erik Van Looy, a par exemple fait un film qui a attiré 1 million et demi de spectateurs, c’est-à-dire qu’un Flamand sur quatre a été le voir. Le Wallon, lui, ne sait même pas qui c’est, ou ne connait pas le titre du film, et même s’il voulait le voir, il n’y a pas le lieu pour. Il faut donc vraiment se battre aujourd’hui pour passer de l’autre côté, et les gens au pouvoir ne donnent pas l’exemple. Pour moi, c’est une défaite de l’intelligence. Et ça me déçoit.

Quel est le plus gros cliché que vous ayez jamais entendu sur les Belges?

Qu’on ne s’entend pas. Quand j’ai raconté que j’allais participer à une émission flamande, certains m’ont dit ‘mais vous les détestez non?’. L’image qu’on donne est celle de deux populations qui se détestent, alors qu’on ne se déteste pas! Et il y a beaucoup d’exemples qui le démontrent tous les jours. Le problème c’est que si on fait un référendum demain, les politiciens vont s’emparer du débat. Il y aura des campagnes, et quand on fait des campagnes c’est souvent la bêtise qui gagne.

Quel est votre regard sur la vie culturelle et médiatique en Flandre?

Je l’ai redécouverte un peu grâce au Slimste Mens. Et je me suis rendu compte qu’il y a en fait un vrai fossé. J’ai arrêté de suivre les médias flamands vers 12 ans et je le déplore. Je me dis d’ailleurs que devrais aller plus souvent voir des pièces de théâtre en néerlandais.

Suivez-vous encore l’actualité belge et par quels moyens?

Je vais surtout sur les sites internet des journaux Le Soir, La Libre, la DH pour le sport, mais c’est vrai que je ne consulte pas les quotidiens flamands. A part DaarDaar occasionnellement. Si sur la DH il y avait un article sur deux en néerlandais, ça me serait bien égal. Mais je suis effectivement un brin en tort. Je devrais par exemple regarder les journaux télévisés en néerlandais.

Quel est votre avis sur les dernières élections en Belgique? 

La N-VA creuse le sillon. Ils sont dans leur logique. En vérité, la vaseline est vraiment très bonne… Parce qu’on va réellement s’en rendre compte que quand elle va nous ressortir par la gorge. Pour l’instant, ils nous la mettent à l’aise, et de façon visible, à nous les belgicains. Après, on ne peut pas aller à l’encontre des électeurs flamands…

Y a-t-il selon vous une issue à l’imbroglio fédéral? 

Mis à part l’intelligence, je n’en vois pas. Et quand tu fais appel à l’intelligence collective, l’histoire nous a prouvé qu’elle n’arrive pas super souvent. Donc non, à mon grand désarroi, je n’en vois pas. 

Avez-vous un message à adresser aux Belges?

Rencontrez-vous en parlant de culture. Car c’est ça le problème. En réalité il existe pleins de ponts. Soit on ne les traverse pas et on les laisse pourrir, soit on les prend. 

De Slimste Mens avec Alex Vizorek est à voir mercredi 6 novembre vers 21h40 sur la chaîne Vier.

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