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15·11·15

Pourquoi encore la France ?

Temps de lecture : 7 minutes Crédit photo :

(cc) thierry ben abed

[Analyse] De terribles attentats meurtriers auront donc frappé Paris quelques heures seulement après la joyeuse annonce par l’Occident de « victoires symboliques » sur l’État islamique et les déclarations optimistes de chefs d’État et de gouvernement, qui disaient se réjouir du renversement de la situation et du « repli » des djihadistes. Les attaques de vendredi nous rappellent que tout est loin d’être aussi simple et démontrent à quel point l’idéologie djihadiste radicale gangrène notre monde, au plus profond de ses entrailles. Mais pourquoi à nouveau la France ? Et la question que tout le monde se pose : éradiquerons-nous un jour ce fléau ?

Le premier ministre britannique, David Cameron, clamait vendredi que l’exécution de Jihadi John rendrait les rues de la patrie « plus sûres ». John Kerry déclarait de son côté que « nous avions franchi un pas décisif » dans le combat contre le terrorisme et que « l’EI battait à présent en retraite ». Selon le secrétaire d’État américain, la disparition de l’organisation terroriste n’était qu’une « question de temps ».

Si d’aucuns se félicitent de ces avancées, tout le monde conviendra qu’en tuant un tel nombre d’innocents, de façon aussi effroyablement orchestrée, les attentats perpétrés vendredi à Paris auront eu un impact autrement retentissant que l’élimination par un drone de Jihadi John et que la reconquête « stratégique » de Sinjar, une ville irakienne fantôme complètement dévastée par la guerre.

Plus de 300 autres victimes

N’oublions pas non plus que les attentats de Paris ne sont pas isolés : plus de 100 autres personnes avaient péri dans les précédentes 24 heures dans des attentats suicides commis au Liban et à Bagdad lors de l’enterrement d’un chef chiite. Tous deux ont été revendiqués par l’État islamique. Sans compter les 224 touristes russes de l’Airbus qui s’est disloqué en plein vol dans le ciel égyptien, des suites, selon toute vraisemblance, de l’explosion d’une bombe posée à bord par un extrémiste. C’était il y a deux semaines.

Ces horreurs sont survenues loin de chez nous (même si nous prenons tous l’avion pour partir en vacances), ce qui explique peut-être pourquoi nous nous y identifions plus difficilement, mais il s’agissait également d’innocents et de terrorisme aveugle. Cette fois, en mettant Paris à feu et à sang, les terroristes se sont approchés au plus près de nous, fait dont ils ne manqueront pas de s’enorgueillir : présent au stade de France, le président Hollande, diront-ils, aura même été obligé de prendre la fuite.

Si Jihadi John avait une valeur de propagande pour l’EI, s’il était un symbole international, il faut admettre que sa valeur opérationnelle dans la hiérarchie de Daesh était proche de zéro. Et si la courageuse reconquête de Sinjar par les Kurdes était bel et bien réelle, elle ne change rien à ce que nous avons une nouvelle fois dû constater ces dernières semaines : l’effrayante capacité de l’organisation islamiste à exporter la terreur, jusqu’à la riviera égyptienne, au Liban, à Bagdad et aujourd’hui à Paris. De toute évidence, l’État islamique ne manque ni de volontaires idiots ni de moyens opérationnels pour concrétiser sa folle vision d’un islam apocalyptique.

Honnêteté

Voyons les choses en face : nos responsables politiques n’ont jamais été vraiment honnêtes. Trop souvent, ils nous ont laissés entendre que la guerre contre le terrorisme était sur la bonne voie et que, pire encore, nous avions réalisé des avancées significatives dans notre combat contre le djihadisme.

Bush déclarait le 1er mai 2003 que la guerre en Irak était gagnée, avant de faire face à une insurrection qui coûta la vie à des dizaines de milliers de victimes. Obama a également affirmé haut et fort qu’en éliminant Oussama Ben Laden, Al-Qaïda et le djihadisme avaient été décapités.

La vérité est que nous n’avons réalisé aucune avancée contre le terrorisme. Tout comme dans la guerre contre les narcotrafiquants, des dizaines de milliards ont été dépensés, sans aucun résultat.

La vérité est que nous n’avons réalisé aucune avancée contre le terrorisme. Tout comme dans la guerre contre les narcotrafiquants, des dizaines de milliards ont été dépensés, sans aucun résultat. À y réfléchir, seules deux réalisations sont à dénombrer. Premièrement, ceux qui n’avaient rien à voir avec le terrorisme ont été surveillés à tort et ont progressivement perdu leur vie privée. Deuxièmement, nous vivons aujourd’hui dans un état de guerre permanent, dont seules deux parties ressortent gagnantes : les fabricants d’armes et les opportunistes qui existent politiquement grâce à la peur de l’autre.

Il faut avant tout d’admettre que le djihadisme est plus vivant que jamais et que nous ne parviendrons jamais à éradiquer ce fléau en lançant des bombes à distance, comme nous le faisons en vain depuis 14 ans.

Le djihadisme, plus vivant que jamais

Comment un drame d’une telle ampleur a pu se produire à Paris ? La réponse à cette question a de quoi déranger. Il faut avant tout admettre que le djihadisme est plus vivant que jamais et que nous ne parviendrons jamais à éradiquer ce fléau en lançant des bombes à distance, comme nous le faisons en vain depuis 14 ans.

Nous n’y réussirons pas non plus en niant le problème. Et le vrai problème, c’est que le djihadisme ne pourrait pas exister sans le soutien idéologique des communautés où les groupes terroristes recrutent leurs « combattants ». Le fait est que le djihadisme a plongé ses racines dans toute une génération de jeunes musulmans occidentaux en colère. Surtout en Europe, où des milliers de jeunes, nés et élevés sur nos terres, parfaitement intégrés à notre culture et parlant notre langue, sont partis en Syrie et ailleurs pour se faire bourrer le crâne de propos haineux sur la société dans laquelle ils ont pourtant grandi.

Pourquoi la France ?

Dans cette optique, il n’est pas étonnant que la France soit à nouveau victime d’attentats, moins d’un an après Charlie Hebdo. Entre 5 et 10 pour cent de la population française est d’origine musulmane. Il ne faut pas le nier : il y a de grands problèmes avec cette communauté, dont une bonne partie est économiquement défavorisée et socialement isolée. La réaction de cette tranche de la population est donc logiquement fondée sur de profondes rancœurs vis-à-vis de la société qui les entoure.

Il serait aussi stupide de nier l’existence d’authentiques ressentiments de haine dans le chef d’une minorité de musulmans d’Occident (et il s’agit bel et bien d’une minorité). Il serait également lâche de ne pas admettre que nos politiciens refusent de voir cette réalité en face. Certains nient purement et simplement le problème ou d’autres proposent des solutions faciles, allant de la fermeture des frontières à la stigmatisation de l’islam dans son ensemble.

Aussi longtemps que quelques centaines de musulmans, cachés au milieu d’une communauté de plusieurs millions, convertissent en djihadisme aveugle le rejet qu’ils éprouvent pour notre société, la France, de même que l’Europe dans son ensemble, aura un problème. Il faut à tout prix éviter de tomber dans la stigmatisation de toute la communauté musulmane d’Europe ou d’Occident. Mais si nous devons vraiment prendre conscience qu’une écrasante majorité de ces musulmans ne sont pas djihadistes, nous devons néanmoins rester réalistes et admettre que le problème prend naissance dans certaines tranches de cette communauté.

Nuances

Le problème n’est donc pas l’islam, mais l’islamisme. Les communautés musulmanes d’Occident sont exposées depuis des années aux prédicateurs de la haine. Nous ne soutenons pas suffisamment les musulmans qui s’opposent à cette idéologie, même s’il faut également déplorer qu’une trop grande proportion de musulmans modérés n’ont jusqu’à présent pas réellement essayé de combattre l’extrémisme et le radicalisme qui prospèrent dans leur giron.

Les attaques de Paris, nous l’avons très vite constaté sur les réseaux sociaux, ne feront que renforcer le sentiment d’anti-immigration qui se développe auprès d’une tranche croissante de la population européenne, qui est aujourd’hui devenue majoritaire. Les xénophobes se sentiront confortés dans leurs détestables convictions, ce qui ne fera qu’accroître la polarisation entre les communautés et par corollaire, renforcer le radicalisme. Les nuances qui sont encore apportées aujourd’hui risquent de ne plus l’être longtemps.

Allemagne

Ce n’est pas un hasard : aucun attentat djihadiste de pareille ampleur n’a jamais été perpétré en Allemagne, alors que le pays a accueilli un nombre incalculable de réfugiés syriens, soit tout le contraire de la France. L’Allemagne n’a pas joué les va-t-en-guerre en s’aventurant de façon hasardeuse sur le chemin militaire ces 14 dernières années. Elle a certes participé à quelques missions au Moyen-Orient et en Extrême-Orient, mais toujours de façon contrôlée. Nous n’avons entendu aucun responsable politique allemand, du moins parmi les plus en vue, clamer que le largage de bombes sur la Syrie, l’Irak ou l’Afghanistan rendrait nos rues plus sûres.

Les Français et les Britanniques sont les premiers à prendre part à des opérations militaires à distance et à s’impliquer dans des bombardements de précision. Le ministre français des Affaires étrangères encourageait encore David Cameron, il y a deux semaines à peine, à participer au bombardement de la Syrie. Et le président Hollande annonçait encore la semaine dernière, avec tambours et trompettes, que la France enverrait un porte-avions supplémentaire dans la région pour éliminer Daesh.

Soyons clairs : il ne s’agit aucunement de justifier ce qui s’est passé à Paris. C’est tout simplement injustifiable. Ces attentats sont l’œuvre d’un groupe de meurtriers diaboliques endoctrinés, dépourvus de toute humanité. Mais il n’en reste que rien n’arrive jamais par hasard. Si nous n’en prenons pas conscience, et si nous n’essayons pas de régler le problème à sa source, le prochain bain de sang ne sera qu’une question de temps.

Un problème d’ici et non d’ailleurs

En Allemagne, il n’y a pas de parti nationaliste de la trempe du Front national qui passe son temps à stigmatiser la communauté des immigrés et à exacerber constamment la polarisation et l’extrémisme. L’Allemagne a aussi ses problèmes et connaît elle aussi des actes de violence racistes et religieux, mais ces derniers sont presque exclusivement commis par des bandes d’énergumènes néonazis, qui ont déclenché des centaines d’incendies criminels à l’encontre des demandeurs d’asile.

Les attentats de Paris ont été perpétrés par des individus élevés en Occident, dont le cerveau a été lavé en Occident. Le problème est donc avant tout occidental. Nous nous battons en Occident contre une idéologie, et non contre une force nuisible clairement identifiée ou un ennemi militaire au sens traditionnel du terme. Ces horreurs ne s’arrêteront pas en éliminant l’État islamique, tout comme nous pensions qu’elles s’arrêteraient lorsque nous vivions dans l’illusion d’avoir « décapité » Al-Qaïda. Après l’IS, l’idée germera à nouveau au sein d’une nouvelle organisation.

Un avenir tout tracé

Les observateurs savent depuis longtemps ce qui nous attend : en utilisant (et en armant) les Kurdes pour combattre l’IS, le prochain conflit est déjà en préparation. Car les milices kurdes n’ont rien à voir avec les braves soldats que nous imaginons. Ces combattants ont déjà plusieurs actes barbares sur la conscience et n’ont pas hésité à commettre des attentats par le passé, en ce compris en Occident. Leur objectif est avant tout de fonder un État kurde, chose qu’aucun État de la région ne tolérera, et surtout pas la Turquie, un allié de l’OTAN. Cette perspective relève de la prophétie. Elle a aussi de quoi démoraliser.

Soyons clairs : il ne s’agit aucunement de justifier ce qui s’est passé à Paris. C’est tout simplement injustifiable. Ces attentats sont l’œuvre d’un groupe de meurtriers diaboliques endoctrinés, dépourvus de toute humanité. Mais il n’en reste que rien n’arrive jamais par hasard. Si nous n’en prenons pas conscience, et si nous n’essayons pas de régler le problème à sa source, le prochain bain de sang ne sera qu’une question de temps.

Par Mick Van Loon pour Newsmonkey
Traduit du néerlandais par Guillaume Deneufbourg

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