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06·06·16

« Les musulmans radicaux ne nous détestent pas »

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

(c) Pixabay

Le terrorisme est un symptôme, mais l’islam n’est pas le problème : telle est la thèse que soutient l’islamologue américain John Esposito, qui considère le mécontentement à propos de l’Occident comme un moteur bien plus important de l’action terroriste. La question de savoir dans quelle mesure un musulman se présente ou non comme radical ne nous apprend pas grand-chose à propos de son inclination pour le terrorisme.

Esposito (76) étudiait déjà l’islam à une époque où personne d’autre ne le faisait. Cela fait 45 ans, déjà, qu’il s’intéresse à cette religion dans le cadre de ses travaux de recherche. Des travaux qu’il a menés dans l’anonymat, dans un premier temps, jusqu’à ce qu’éclate, en 1979, la révolution islamiste en Iran, qui allait transformer Esposito en un analyste très demandé.

« Ma première voiture de sport Lexus, c’est à l’ayatollah Khomeini que je la dois », plaisante-t-il. « Quant à ma seconde, je n’aurais pas pu me l’offrir sans Oussama Ben Laden. »

Ce trait d’humour est exemplatif de la personnalité de cet Italo-américain hyperkinétique de Brooklyn, qui se balade en chaussures de sport et est tout le contraire d’un « savant barbant ». Après une carrière académique très éclectique, Esposito est aujourd’hui rattaché à la Georgetown University à Washington, où son travail ne consiste pas tant à étudier les interprétations possibles des textes coraniques qu’à essayer de décrypter ce qui se passe dans la tête du musulman moyen, quel que soit l’endroit où il vit. La semaine dernière, Esposito était de passage à Bruxelles, à l’invitation de l’Institut royal des relations internationales Egmont.

9/11

Esposito affirme que l’idée que nous avons de ce que pensent les musulmans est souvent totalement erronée. Dans leur grande majorité, les musulmans désapprouvent les actes terroristes tels que ceux du 11 septembre. La minorité de radicaux qui soutient ces actes – environ 7% de la population musulmane totale – n’est pas composée de marginaux qui se jettent sur le Coran par ignorance ou du fait de leur pauvreté. Au contraire, cette minorité radicalisée a, en règle générale, un niveau d’éducation et des moyens financiers supérieurs à ceux des musulmans modérés. Elle se caractérise également par un plus grand optimisme et par une foi plus forte dans le changement et, plus étonnant, dans la démocratie.

Le lien que le monde occidental établit entre radicalisme et terrorisme n’est pas justifié, soutient Esposito. « La question de savoir dans laquelle mesure un musulman se présente ou non comme radical ne nous apprend pas grand-chose à propos de son inclination pour le terrorisme ».

Double jeu 

Ce que dit Esposito n’a rien de paroles en l’air. L’islamologue dispose de données rigoureuses concernant les opinions qui agitent la communauté musulmane aux quatre coins du monde. Ces données sont le résultat d’une enquête réalisée à grande échelle (50 000 musulmans vivant dans 35 pays ont été interrogés) pendant plusieurs années par un chercheur du nom de Gallup spécialiste de la question des opinions. L’étude, qui a été finalisée en 2008 et a donné lieu à un livre et à un documentaire, a valeur de référence quant au regard que porte la communauté musulmane internationale sur le monde.

Les musulmans radicaux ont des sentiments religieux plus forts que les musulmans modérés. Mais c’est précisément cette foi plus affirmée qui, souvent, les rend moins enclins à basculer dans le terrorisme, affirme Esposito dans un entretien paru dans De Standaard. « L’implication religieuse peut justement être une raison pour ne pas tuer. Si vous observez les interprétations courantes de l’islam, vous ne pouvez que condamner avec force le terrorisme. »

Les radicaux, ajoute encore Esposito, sont mus par des motivations essentiellement politiques. Ils supportent mal le double jeu de l’Occident et son besoin irrésistible (particulièrement marqué dans le chef des États-Unis) de s’imposer par la force aux pays musulmans. « On me demande souvent pourquoi les musulmans nous haïssent. La réponse à cette question est qu’ils ne nous détestent absolument pas. Ils nous admirent pour notre degré élevé d’évolution technologique et notre liberté, qu’ils aimeraient également avoir dans leur propre pays. Ce qu’ils détestent, ce n’est pas nous, mais notre stratégie géopolitique et notre manque de respect envers leur religion. »

Un centre de recherche sponsorisé par un prince saoudien 

Le regard que porte Esposito sur les musulmans est en contradiction avec la vision de beaucoup d’adeptes d’une ligne dure aux États-Unis. Ceux-ci ne ménagent par conséquent pas leurs critiques envers l’islamologue de Brooklyn. Certains mettent notamment en doute l’assertion selon laquelle 93 pour cent des musulmans seraient modérés – cette assertion ne serait pas justifiée sur la base des chiffres de Gallup. Le fait que le centre de recherche d’Esposito reçoit de l’argent du milliardaire prince saoudien Alwaleed bin Talal, ne plaide pas pour sa crédibilité. Ce prince sponsorise le « Center for Muslim-Christian Understanding » de la Georgetown University, qui a été créé par Esposito et qui lutte notamment contre l’islamophobie. Alwaleed bin Talal sponsorise également des chaires dans les universités de Harvard, Cambridge et Édimbourg.

Malgré cette controverse, Esposito reste un orateur très sollicité. Pendant sa tournée européenne, il a donné pas moins de onze discours, notamment pour quelques institutions européennes. Il a quelques conseils à donner à l’Occident pour empêcher le terrorisme islamiste : cesser d’intervenir militairement dans les pays musulmans, montrer davantage de respect pour les musulmans, essayer de mieux comprendre l’islam, afficher une plus grande honnêteté et moins de préjugés dans les relations internationales, etc.

Les bonnes relations qu’entretient l’Occident avec l’Arabie saoudite constituent un exemple de ce double jeu dont s’offusquent les musulmans. « Saviez-vous que chaque année, les Saoudiens décapitent un plus grand nombre de personnes que l’État islamique ? Pourtant, on n’en parle pas. Il est plus facile de parler des droits des femmes. »

En conclusion, pointe Esposito, le terrorisme n’est pas toujours le symptôme d’une foi qui dérape, mais parfois également d’un profond mécontentement trouvant son origine dans des problèmes politiques, sociaux ou économiques. « Mais il est bien évidemment plus facile de pointer un doigt accusateur en direction de l’islam. Désigner un bouc émissaire permet d’éluder les vrais problèmes. »

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