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26·11·15

Belgique : les raisons d’un échec imminent

Temps de lecture : 4 minutes
Ludovic Pierard
Traducteur⸱trice Ludovic Pierard

La réponse du monde politique flamand à la crise sécuritaire de Bruxelles est simple : rassembler les dix-neuf communes bruxelloises et fusionner les zones de police. Le deuxième volet du débat l’est en revanche beaucoup moins : pour la Flandre, la perspective d’un élargissement de Bruxelles est aussi irrecevable que ne l’est la fusion des communes en Belgique francophone.

« Le pays a beau avoir retrouvé une certaine stabilité, il reste prisonnier d’un débat institutionnel que l’on a pu trouver pittoresque, mais qui tourne au tragique et qui lui a fait perdre de vue l’importance de ses missions régaliennes. Confondant régionalisation et efficacité, cet Etat sans nation prend le risque de devenir progressivement une nation sans Etat. »

Tel est, ni plus ni moins, le jugement implacable que pose Le Monde sur notre pays. Le quotidien français reproche à la Belgique de refuser, au nom d’une prétendue « unité nationale », tout examen de conscience sur ses dysfonctionnements institutionnels. Des failles, dit-il, qui ont probablement contribué à négliger la montée en puissance du terrorisme en son sein.

Ces critiques sont blessantes à plusieurs titres, mais le plus grave est probablement que Le Monde a raison. Lorsque l’affaire Dutroux secoua le pays, l’indignation se porta rapidement sur les défaillances des services de police. Il en résulta une gigantesque réforme des polices, en bonne partie réussie. Un tel remède n’est toutefois pas encore à l’ordre du jour.

La police de la forêt de Soignes

Bien entendu, ce n’est pas « à cause » de la complexité de la structure d’État de la Belgique que 130 personnes ont été tuées à Paris dans le cadre d’attentats programmés au départ de Molenbeek. Mais, tout comme après l’affaire Dutroux, on peut légitimement se demander si cette structure ne laisse pas de trop grandes brèches dans la sécurisation de la capitale de l’Union européenne.

D’ailleurs, cette question a bel et bien été posée, même si ce n’est qu’à demi-mot. Du côté flamand, l’appel à fusionner les six zones de police existantes à Bruxelles ne se fit pas attendre. Et tant qu’on y est, ajoutons-y la fusion complète des dix-neuf communes bruxelloises. Cette revendication est légitime. Et depuis belle lurette. La Région de Bruxelles-Capitale compte aujourd’hui quelque 5 000 agents, un chiffre plutôt raisonnable. Mais le problème est que ces troupes sont beaucoup trop éparpillées. Alors que, dans la partie ouest particulièrement difficile de la ville (Molenbeek, pour ne pas la citer), la police croule sous la charge de travail, le promeneur croisera dans les quartiers riches, au sud-est, des agents occupés à balader leur cheval dans la forêt de Soignes, sans but précis.

Cet exemple démontre que ce n’est en rien l’éternel conservatisme du PS qui empêche tout projet de fusion, comme le clame haut et fort la N-VA. En effet, les bourgmestres libéraux du MR et du FDF, au pouvoir dans la périphérie est, sont au moins autant opposés à une telle rationalisation, tout simplement car ils sont conscients que leurs communes résidentielles seraient les probables perdantes d’une amélioration des structures de la police.

Anschluss

Mais est-ce uniquement la faute des francophones si tout débat institutionnel sur Bruxelles est impossible ? Et bien non. Pratique typique et éloquente dans toute querelle communautaire, la responsabilité est rejetée unilatéralement sur les épaules de la partie d’en face. La vérité est qu’il existe du côté flamand des tabous tout aussi importants concernant la transformation du monstre institutionnel qu’est Bruxelles. Il se pourrait même que ces tabous y soient encore plus coriaces.

Non ? Faisons le test. Le confinement de Bruxelles a eu un énorme impact sur les communes flamandes voisines de Vilvorde, Halle, Dilbeek et Wemmel, où des écoles ont aussi été fermées, où la circulation des bus était perturbée et où des événements ont été annulés. Ne serait-il pas dès lors logique d’intégrer ces communes dans cette zone de sécurité métropolitaine unifiée tant souhaitée en Flandre ? La « mini-métropole super-diversifiée » qu’est Vilvorde y trouverait indubitablement sa place.

Mais quiconque oserait proposer une telle rationalisation en Flandre buterait rapidement sur une immense résistance émotionnelle, avant que le mot « Anschluss » ne soit prononcé, car cette réforme résonnerait comme une première étape vers un abandon de son propre territoire régional face à la « tache d’huile de Bruxelles » (francophone). Enfin, l’annulation de ce fait d’une partie de la scission judiciaire de l’arrondissement de Bruxelles-Halle-Vilvorde rend la question encore plus douloureuse.

Fusionner l’enseignement

La sécurité n’est qu’une partie de la réponse. Du côté de la prévention aussi, Bruxelles pourrait être organisée avec davantage d’efficacité, notamment au niveau de l’enseignement. Pour faire bref, Bruxelles dispose d’un réseau d’enseignement néerlandophone relativement aisé et de petite taille, et d’un réseau francophone pauvre et énorme. Il ne sera pas simple de combler le fossé entre les deux. Pourtant, c’est dans les antres obscurs de ce fossé qu’un groupe de jeunes a grandi sans grandes perspectives de décrocher un diplôme prometteur, une place sur le marché du travail et une meilleure vie que leurs parents. C’est sur ce point-là que la frustration et la désillusion sont institutionnalisées.

Une solution pourrait être de confier aussi à la Région bruxelloise l’entièreté des compétences communautaires, que ce soit l’enseignement, le bien-être, la culture, etc. Ce qui permettrait alors de se défaire du labyrinthe institutionnel des commissions communautaires et autres commissions communautaires communes, ainsi que de la curieuse multiplication des mandats politiques qui les accompagne. Radicale, cette solution exige des garanties solides, certainement au niveau de la qualité et de la pérennité de l’enseignement néerlandophone dans la capitale. Mais, au moins, elle a le mérite d’apporter une bien meilleure réponse que le seul reproche récurrent adressé à la communauté française de ne pas financer correctement l’enseignement bruxellois. Si cet argent ne vient pas, c’est tout simplement parce qu’elle ne l’a pas. Continuerons-nous à former de petites bombes à retardement, juste parce qu’il serait inadmissible que Bruxelles devienne un état fédéré à part entière ?

Tel est le type d’arguments qui, dans un paysage politique flamand dominé par la N-VA, est soumis à un tabou pas moins absolu. En Flandre, malgré les attentats de Paris, nous n’osons pas davantage que nos concitoyens francophones réfléchir à l’inconcevable. Tout comme « ils » craignent de perdre leur pouvoir dans les communes, « nous » avons peur de la tache d’huile. Aujourd’hui pas plus qu’hier, tout débat fondamental et sans tabou sur la capitale se révélera impossible. Aujourd’hui pas plus qu’hier, toute la discussion se limitera à une partie de ping-pong retranchée sur des positions connues.

Le Monde a raison. Non, nous ne sommes pas un « failed state », un « État raté », mais nous sommes sur le point d’échouer. Et c’est vraiment dommage. Pour Bruxelles, mais aussi pour la sécurité dans le reste de l’Europe.

Bart Eeckhout pour De Morgen

Traduit du néerlandais par Ludovic Pierard

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