Turtelboom l’a appris à ses dépens : en politique, l’amitié n’existe pas. Par contre, il existe des alliances, mais celles-ci ne sont que provisoires et égoïstes.
Quel joli premier mai. Le soleil brille, plus généreusement encore que prévu. Je m’imagine Annemie Turtelboom au bord de l’Escaut, sur la Zuiderterras, lunettes solaires dans les cheveux et verre de blanc à la main. La tête en arrière, les paupières fermées, les pieds nus, la robe noire légèrement relevée. Enfin, un peu de soleil et de chaleur sur ces jambes blanchies par un hiver trop long. Enfin, un peu de temps pour ne rien faire.
« Ce n’est pas l’opposition qui a fait tomber Annemie Turtelboom. C’est son ange gardienne, Gwendolyn Rutten »
Avoir du temps pour ne rien faire, c’est exactement l’inverse d’avoir le temps de ne rien faire. Pendant ses huit années de mandats ministériels, la coryphée du Parti n’avait de temps pour rien ni personne. Dans sa famille bleue, au sein de ce nid chaleureux, certes, mais de vipères quand même, Annemie Turtelboom a appris à ses dépens que l’amitié, en politique, n’existait pas. Jean-Luc Dehaene le disait déjà, et Herman Van Rompuy l’a confirmé : « Les vrais amis se rencontrent rarement au travail, et encore moins en politique. L’amitié est trop précieuse pour faire partie de ce monde-là. » Au mieux, on peut y retrouver de la complicité, ce mélange de bonne entente et de co-culpabilité. C’est ce que Dehaene appelait une alliance. Le problème, c’est que par définition, une alliance est provisoire et mue par des intérêts égoïstes. Elle est davantage le fruit d’intérêts communs que de rapprochements idéologiques. Pas question d’âmes sœurs non plus : s’il faut trouver une âme sœur en politique, ce n’est certainement pas dans son propre parti qu’il faut chercher. Quant à l’ennemi, il ne se cache pas sur les bancs de l’opposition. L’ennemi se trouve en face de toi. Il siège au bureau du parti, il te sourit avec bienveillance et t’envoie un sms le premier mai depuis sa terrasse pour te dire à quel point tu as été une collègue formidable, Annemie.
Qu’a pu penser Gwendolyn Rutten hier, en ce rare moment de liberté, sur sa propre terrasse ? Que dans la pratique, la politique brise même les meilleures intentions ? Rutten, De Block, Turtelboom : ce n’est pas l’amitié qui lie ces trois femmes fortes. C’est tout au plus une alliance, qui n’a pas tenu face à une question de survie. C’est elle ou c’est moi. Ce n’est pas l’opposition qui a fait un croche-pied à Jacqueline Galant. C’est son propre ange gardien, Charles Michel, au moment où Galant risquait d’entacher son image de premier ministre. De même, ce n’est pas l’opposition qui a fait tomber Annemie Turtelboom. C’est son ange gardienne, Gwendolyn Rutten, au moment où Turtelboom risquait d’entacher son image de présidente.
La démission de Turtelboom est bien éloignée de toute exaltation idéologique et n’a certainement rien à voir avec le libéralisme. L’Open VLD a un problème avec les lignes de conduite. Jobs, jobs, jobs ? Ça dépend. Les idéaux politiques du parti ne pèsent pas bien lourd face aux chances d’être élu bourgmestre là où se créent lesdits jobs. Des jobs gratuits au nouveau centre commercial Uplace à Machelen ? Bart Somers, bourgmestre de Malines, ne voit pas cette concurrence d’un bon œil. Des jobs subsidiés, alors, à la centrale à biomasse Bee ? Quelle aubaine pour l’échevin gantois Mathias De Clercq ! Pour sa présidente, en revanche, quelle folie ! Submergée par cet enchevêtrement d’intérêts locaux, de carriérisme et de combats de basse-cour politique, Annemie Turtelboom a succombé. Dans l’intérêt du parti, comme elle a été obligée de le dire au moment de démissionner. Vraiment ? Est-ce vraiment une victoire pour ce parti qui ne représente qu’un Flamand sur sept, sous le beau ciel bleu de ce lundi au soleil ? Ce parti tente-t-il sérieusement de nous faire croire qu’aujourd’hui marque le début d’une ère nouvelle ? Y croit-il lui-même ?